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Quand les citoyens freinent l’achat d’un camion

Ancien village paysan des environs de Berne, Fraubrunnen voit pousser ses zones résidentielles. André Locher

Pour une petite commune, l’achat d’un nouveau camion peut se transformer en exercice périlleux. Fraubrunnen en a fait l’expérience, lorsqu’elle a voulu compléter sa modeste flotte de véhicules de service. Les nombreux obstacles qu’elle a dû surmonter en disent long sur la participation des citoyens à la gestion quotidienne de leur village.

Fraubrunnen, à mi-chemin entre Berne, la capitale de la Suisse, et le massif jurassien. En pleine campagne, entouré de grandes étendues de champs et de forêts, le village n’a pas moins de quatre gares ferroviaires. La vie quotidienne des 4’800 habitants se déroule dans un environnement rural, tout de même proche des centres urbains.

Il y a moins de deux ans, Fraubrunnen a fusionné avec sept plus petits villages, dispersés sur 32 km2 du Plateau Suisse. L’une des premières acquisitions planifiées par les nouvelles autorités locales était un camion multiusages pour transporter des chargements lourds et des objets encombrants ou encore pour déblayer la neige sur les routes. Son coût était estimé à 265’000 francs suisses – ce qui représente environ deux pourcent du budget annuel, selon le maire de la commune Urs Schär.

Toutefois, un rival politique du maire a décidé de faire usage de ses droits démocratiques pour convoquer une assemblée communale, afin de permettre à la population d’avoir le dernier mot sur cet achat. Même si l’ennemi d’Urs Schär a échoué de justesse lors du vote, qui a eu lieu en décembre dernier, ce n’était pas la fin de l’histoire. 

Autonomie

Le système fédéraliste suisse est basé sur les niveaux national, cantonal et local. Les 26 cantons ont un large degré d’autonomie par rapport au gouvernement fédéral. Les plus de 2’350 communes sont les plus petites unités administratives. Avec des pouvoirs limités, elles peuvent prendre des décisions à propos des taxes, du plan des zones, des constructions, de l’éducation, ainsi qu’en ce qui concerne les services sociaux, de sécurité et d’urgences. 

A la suite de l’assemblée communale, un journal local a rapporté qu’une troisième partie, restée anonyme, avait fait irruption dans cette affaire. Elle avait déposé une plainte pénale auprès des autorités, déplorant le fait que l’exécutif communal n’ait pas fourni assez de détails sur le projet d’achat.

«C’est un problème plus controversé qu’une hausse des taxes», constate Urs Schär. Le politicien à temps partiel, également paysan avec 18 ans d’expérience à son actif, s’est défendu en rejetant les allégations de manque de transparence et en affirmant que les autorités avaient mis tous les détails à la disposition des citoyens.

La plainte anonyme a finalement été rejetée cet été, ouvrant la voie à une évaluation du véhicule. Mais avec tous ces retards, il faudra attendre l’an prochain pour voir le hangar de maintenance des routes accueillir le camion à côté de ses quelques tracteurs et tondeuses à gazon. L’histoire de ce véhicule est un exemple du pouvoir politique des citoyens suisses à l’échelle locale. Un pouvoir qui leur donne la possibilité de retarder de plusieurs années ce qui semblerait être une acquisition simple.

Vigilant

L’anecdote de l’acquisition de ce camion n’est pas inhabituelle dans un pays où le système politique donne aux citoyens de nombreuses opportunités d’avoir leur mot à dire dans la politique nationale, régionale et locale. Cela fait partie des facteurs qui ralentissent la vitesse du processus décisionnel.

Le maire de Fraubrunnen reconnaît que les membres de l’exécutif communal ont dû s’habituer à diriger une nouvelle municipalité, formée de huit différents villages, avec un petit budget. Il regrette deux choses: que les personnes derrière la plainte n’aient pas contacté directement les autorités et que le village doive se passer d’un véhicule supplémentaire l’hiver prochain. «Cela montre toutefois que les citoyens s’intéressent activement à la politique locale et tiennent les autorités à l’œil», commente-t-il, considérant le côté positif de l’affaire.

Peu ordinaire, mais…

«Les plaintes contre des décisions politiques au niveau local sont assez rares, mais elles ne posent pas vraiment problème», affirme Adrian Ritz du Centre de compétence en administration publique de l’Université de Berne. Il note qu’en règle générale les autorités s’assurent que la problématique en question est soigneusement préparée en amont.

Dans la plupart des cas, la décision d’une assemblée communale est respectée. Néanmoins, il peut être utile de tester les autorités politiques et de garder l’administration sous contrôle. «C’est bien pour la stabilité du système politique de donner aux citoyens la possibilité de remettre en cause une décision», estime Adrian Rytz. 

(Traduction de l’anglais: Katy Romy)

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