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A La Tour-de-Peilz, une promenade lacustre bute sur de riches propriétés

Les propriétés privées bordant le lac entre La Tour-de-Peilz et Montreux empêchent le droit de passage public le long des rives du Léman. Keystone

Les Suisses votent sur à peu près tout. Mais la mise en œuvre de décisions controversées peut être un véritable casse-tête, en particulier sur le plan local. Cinq ans après le vote des citoyens de La Tour-de-Peilz permettant d’aménager un sentier ouvert au public le long des rives du lac Léman, le dossier est enlisé.

Depuis la ville de Vevey au bord du lac Léman, les promeneurs peuvent suivre un sentier lacustre qui serpente le long de la commune de La Tour-de-PeilzLien externe, tout en admirant les Alpes. Mais les rêveries du promeneur se volatilisent brusquement, car le sentier débouche sur une impasse. A partir du port de La Tour, on ne passe plus.

Accès aux lacs

On estime que la moitié seulement des rives des lacs suisses sont accessibles au public. Selon une enquête de 2007, 61,4% des Suisses veulent un accès illimité aux rives des lacs. Ce chiffre monte à 71,6% dans les régions francophones, comparativement à 58% dans les zones germanophones. Les jeunes, eux, y sont favorables à 80%.

Selon plusieurs lois fédérales et cantonales, dont certaines sont très anciennes, les rives sont publiques. Les autorités et les riverains doivent y laisser un passage «à pied ou à char». Tous les obstacles se trouvant sur les rives sont donc illégaux.

En 2000, le canton de Vaud a adopté un plan visant à rendre les rives du Léman entièrement accessibles au public, mais sept ans plus tard, on n’a aménagé qu’un seul kilomètre de sentier nouveau.

«Nous apprécions vraiment de pouvoir marcher le long du lac et nous aimerions beaucoup continuer un peu plus loin. Il y a eu pourtant une votation sur cette question; je ne comprends pas ce qui se passe» s’interroge une promeneuse accompagnée de son mari. Elle préfère l’anonymat par crainte des conséquences de sa prise de parole. Pour retrouver la rive, le couple est obligé de faire un détour pour contourner les nombreuses et luxueuses propriétés qui bordent le lac en direction de Montreux.

En théorie, ce détour ne devrait plus être nécessaire. Le 28 novembre 2010, 55% des électeurs de La Tour-de-Peilz, une commune de 10’500 habitants, ont voté en faveur d’une initiative lancée par un groupe de citoyens pour aménager un sentier public de deux kilomètres le long des résidences de luxe et du lac.

Mais depuis le vote, sa mise en œuvre s’enlise. Selon certains habitants, les autorités locales responsables du développement urbain continuent à traîner les pieds. En 2012, le conseil communal (législatif), qui dispose d’une majorité de droite, a voté contre l’étude de faisabilité de la municipalité (exécutif). Les critiques assurent que le plan a été délibérément mal conçu, avec des coûts élevés d’expropriation des propriétaires, pour s’assurer que l’étude soit rejetée.

«Il y a une inertie grave, déclare un résident local qui requiert également l’anonymat. Elle est liée aux élections communales de février 2016. Le conseil municipal veut faire échouer l’application de l’initiative, car il y a de très nombreux intérêts privés en jeu».

Progrès «douloureux»

La municipalitéLien externe de La Tour-de-Peilz assure que la proposition avance, quoique «douloureusement». «Plusieurs partenaires doivent encore se mettre d’accord. Les propriétaires ont besoin de garder certains droits. Il y a aussi les services cantonaux de l’eau et de la faune. Cela nécessite une grande volonté politique que de mettre en œuvre cette initiative. On n’y est pas encore.», a déclaré Lyonel Kaufmann, syndic (maire) de La Tour-de-Peilz à la télévision publique suisse (RTSLien externe) en septembre.

Une nouvelle étude décrivant plusieurs variantes de chemin a été présentée à la Commission des rives du lac (CRLLien externe) pour consultation en juillet. Pour autant il n’est pas certain qu’une position commune de l’ensemble des partenaires émerge d’ici la fin de cette année.

Nicole Rimella, cheffe de la planification urbaine à La Tour-de-Peilz, est personnellement opposée aux propositions de l’étude. Elle estime que la commune a l’obligation d’avancer, tout en accusant la CRL de retarder le processus décisionnel. «Nous continuons de faire un pas en avant et deux en arrière, dit-elle. C’est une question politique, une bataille entre la gauche et la droite.»

De son côté, la CRL assure ne rien vouloir retarder et souligne que la responsabilité ultime est entre les mains de la municipalité de La Tour-de-Peilz.

A partir du port de La Tour, on ne passe plus. swissinfo.ch

«Nous sommes en faveur du chemin lacustre, mais la solution doit être proportionnée, déclare Philippe Hohl, responsable de l’économie hydraulique au Service des eaux, sols et assainissement de l’Etat de Vaud. Techniquement, ce n’est pas compliqué. Mais ce qui freine le projet, c’est de trouver le juste équilibre avec un chemin qui ne soit pas trop près des résidences privées et qui n’ait pas d’impact sur le paysage le long du lac. C’est un affrontement entre intérêts privés et publics.»

Un ping-pong fatigant

Fatigué par ces retards interminables et ce jeu de ping-pong, une association locale (Rives du LacLien externe) est montée au créneau avec son propre plan, minimaliste et moins cher. Elle propose notamment de déverrouiller les portes et les clôtures installées par les propriétaires le long du rivage, et, si possible, d’utiliser la voie naturelle existante sur les rochers et les plages de gravier. Ce projet devrait coûter 1.5 million de francs, moitié moins que le budget initial.

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Selon l’association, le droit de passage public existe sur plus de la moitié du tronçon de 2 km concerné. Elle fait valoir qu’il n’est pas nécessaire d’exproprier les propriétaires. Il suffit d’appliquer les lois existantes.

Geneviève Pasche, présidente de l’association, qualifie l’impasse actuelle de «gifle» infligée aux électeurs locaux: «A quoi bon voter si les politiciens n’en font qu’à leur tête». En août 2013, l’association a interpellé le gouvernement vaudois qui a publié une déclaration exhortant la municipalité locale à «agir sans délai».

Un canton impuissant

«Mais il n’y a pas de contrainte possible. La planification urbaine en Suisse est toujours de la responsabilité des communes», déplore le conseiller communal socialiste Jacques Vallotton. Geneviève Pasche ajoute: «Sur le plan communal, il est regrettable que le droit d’initiative ne soit pas accompagné de sanctions juridiques, si les autorités locales ne remplissent pas les exigences de l’initiative.»

Andreas LadnerLien externe, spécialiste de la démocratie locale à l’Université de Lausanne, explique qu’en théorie, il est possible, dans cette situation, de saisir les tribunaux. Mais il serait très difficile de prouver que les autorités entravent la construction du chemin lacustre. A ses yeux, la seule sanction possible, et le moyen le plus rapide de faire bouger les choses, serait d’en faire un enjeu politique en vue des prochaines élections locales (février 2016).

Reste que l’aménagement du chemin lacustre risque de toute façon de prendre des années. Selon Jacques Vallotton, la phase de planification est prévue pour durer jusqu’en 2022. De plus, les citoyens suisses ont un droit de regard sur les décisions de planification urbaine. Les propriétaires du bord du lac et d’autres opposants peuvent introduire des recours en faisant valoir que le chemin porte atteinte à leurs droits.

Un point pour Rives publiques

Les défenseurs d’un accès public aux rives du lac Léman ont gagné une bataille dans la commune vaudoise de Tannay. La Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal a blanchi un militant de cette cause. Victor von Wartburg, ancien directeur de la logistique d’une multinationale et président de l’association Rives publiques était accusé de dommages à la propriété, car il avait découpé à l’aide d’une pince un treillis et un portail qui empêchaient l’accès à la grève. Il avait été condamné en mars 2015 à 40 jours-amende avec sursis, avant d’être acquitté en appel.

La justice estime qu’«il a agi de manière licite, en vue de rétablir une situation de droit.» L’une des clôtures avait été érigée en violation de la servitude de passage public. L’autre devait rester ouverte, mais elle ne l’était pas. Les juges blâment aussi les autorités, estimant que Victor von Wartburg a agi ainsi parce qu’il n’a pas réussi à obtenir gain de cause par les voies légales, malgré de multiples tentatives. La commune et le canton «se sont constamment renvoyé la balle», note la cour.

Rives publiques prépare pour 2017 le lancement d’une initiative fédérale sur l’accès aux rives.

(Source: Le Temps)

Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand

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