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L’agglomération genevoise débordée par sa croissance

Le manque de logements à Genève, un problème récurrent. Reuters

Portée par ses succès économiques, Genève voit sa population augmenter plus fortement que prévu. Des habitants qui s’installent de plus en plus dans sa périphérie française et vaudoise. Les communes concernées veulent un meilleur partage des charges.

Palpable depuis plus d’une dizaine d’années, le manque de logements à Genève se transforme aujourd’hui en pénurie critique, entrainant une hausse des loyers et des prix des propriétés, y compris dans sa périphérie française et vaudoise.

Face à cette pénurie, élus et autorités se renvoient la balle, les uns pointant des politiques jugés incapables, des promoteurs privilégiant les riches, les autres des écolos bloquant les constructions, des socialistes obnubilés par les logements sociaux et le refus d’immeubles en hauteurs.

«Est-ce vraiment un problème?», ose la socialiste Yvette Jaggi, ancienne syndique (maire) de Lausanne au milieu de ce concert de cris et de lamentations.

«La région connait un boom économique manifeste. Les familles cherchent des espaces plus grands pour se loger. Les petits ménages se multiplient, les divorces aussi. L’ensemble de ces facteurs économiques et démographiques se conjuguent, amenant à une pénurie de logement et une hausse des coûts», ajoute cette combattante de la première heure de la cause des villes en Suisse.

Le tempo s’accélère

Centre bancaire et financier de haut niveau, première place mondiale de négoce pour plusieurs matières premières comme le café, le sucre, les céréales et bientôt le pétrole, Genève attire également un grand nombre de quartiers généraux de multinationales.

Mais si la ville (et l’ensemble de l’arc lémanique) profite pleinement de la globalisation, elle peine en revanche à suivre son rythme.

«Nous payons aujourd’hui l’absence de grands chantiers au début des années 2000», relève Francesco Della Casa, futur architecte cantonal au sein du gouvernement genevois.  

Président du Conseil d’Etat (gouvernement) genevois, Mark Muller ajoute: «Il s’agit de tout mettre en œuvre pour accroître le nombre de logements construits, en exploitant pleinement le potentiel des zones à construire et se dotant sans retard du nouveau plan directeur cantonal Genève 2030 (en consultation) qui prévoit 50’000 logements dans les 20 ans à venir.»

La pression démographique, elle, ne cesse d’augmenter. Selon les prévisions de l’Office cantonal de la statistique, la population genevoise pourrait augmenter de 72’000 à 155’000 personnes entre 2010 et 2040,  alors qu’elle était de 463’919 à la fin 2010.

Un ambitieux projet d’agglomération

Pour adapter les structures politiques et administratives à son développement organique, la région a mis sur les rails un ambitieux projet d’agglomération franco-valdo-genevoise à même de répondre aux besoins de la naissante métropole.

Mais ce projet, qui doit jongler avec les dispositions légales de deux pays (Suisse, France) et de deux cantons (Etats) de la Confédérations, n’en est qu’à ses débuts. Or le temps presse. Submergées par le trafic automobile, les communes périphériques françaises peinent aussi à repourvoir certains postes d’enseignants ou de personnel soignant, les loyers devenant hors de prix pour des salaires français.

«Comme Genève ne construit pas suffisamment, les personnes en quête de logement vont s’installer dans le district de Nyon et en France voisine», rappelle Guy Mettan, qui a présidé début avril la première réunion d’une commission mise sur pied l’année dernière lors des premières assises transfrontalières franco-valdo-genevoises. Une rencontre durant laquelle les partenaires français n’ont pas ménagé leurs critiques.

Les Français s’estiment lésés

«Selon ces collectivités publiques, Genève exporte ses problèmes, puisque les coûts engendrés par ces nouveaux habitants (scolarité, routes, équipement, infrastructures) sont à la charge des communes et conserve l’essentiel de ce qu’ils rapportent en encaissant leurs impôts. Et ce même si 3,5 % de la masse salariale de ces personnes est rétrocédé à leurs communes résidantes. Ce qui correspond aux conventions de l’OCDE en la matière», affirme Guy Mettan.

Et d’ajouter: «Il faudra donc trouver d’autres solutions pour un meilleur rééquilibrage des coûts et des charges, comme la création d’un fonds de développement transfrontalier. »

Particulièrement remonté, un élu centriste du Conseil général de Haute-Savoie tire à boulets rouges depuis une année sur les autorités genevoises, les accusant de ne pas prendre leurs responsabilités et de manquer sérieusement de volonté politique. Et ce via son blog abrité par le site de la Tribune de Genève.

Excédé par les lenteurs genevoises, Antoine Vielliard entend passer à l’offensive: «L’idée que je défend au sein du Conseil général de Haute Savoie, de l’Ain et du District vaudois de Nyon est de donner un an à Genève pour que le canton  démontre sa détermination à construire de nouveaux logements, sinon nous ne signerons pas le prochain volet du projet d’agglomération prévu en juillet 2012. Dès lors, Genève risque de perdre la participation du gouvernement suisse au financement des infrastructures de l’agglomération.»

Une menace qui laisse Mark Muller de marbre: «Les voix critiques qui s’élèvent en France ne sont pas représentatives des collectivités avec lesquelles nous travaillons. Certains élus feraient bien de commencer par balayer devant leur porte, en favorisant la création d’emplois en France comme le prévoit le projet d’agglomération. La décence voudrait qu’ils remercient Genève, qui offre actuellement près de 60’000 emplois bien payés à nos amis français.»

Le Mouvement Citoyens Genevois (MCG) est sorti grand vainqueur des élections municipales genevoises de mars dernier. Le parti populiste a raflé 73 sièges, dont 11 sur 80 au parlement de la ville de Genève , faisant basculer la majorité à droite après 16 ans d’hégémonie de la gauche.

Parti à l’assaut de 19 communes, le MCG a réussi à entrer dans les législatifs de 13 communes. Il a par ailleurs renforcé le nombre de ses élus à Onex, Lancy et Vernier.

Né en 2005 avec le slogan  «Genève et les genevois d’abord, le MCG a comme première cible les travailleurs français frontaliers.

«A Genève, comme ailleurs, la densification de l’habitat, la construction en hauteur continuent de faire horreur.

Ce climat alimente les blocages et les oppositions aux projets de construction. 

C’est la manifestation contemporaine du rejet viscéral du monde urbain, traditionnellement très forte en Suisse, mais qui se manifeste dans le monde entier.»

Réponse à swissinfo.ch d’Yvette Jaggi, professeure de géopolitique urbaine à l’Université de Lausanne, l’une des auteurs de «Antiurbain, Origines et conséquences de l’urbaphobie», Presse polytechniques et universitaires romandes,  2011

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