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Les risques d’inondations dans les Tatras

Inondation en Pologne en 2010. Reuters

Un mauvais aménagement du territoire et le changement climatique sont à l’origine des inondations dramatiques des deux dernières décennies dans les Tatras, entre la Pologne et la Slovaquie. C’est ce que révèle une équipe de chercheurs polonais et suisses.

Un petite plaque de métal fixée sur un bâtiment de Wroclaw, au sud-ouest de la Pologne, indique que, le 13 juillet 1997, l’eau est montée à environ 70 centimètres au-dessus du niveau de la rue. Même presque inaperçue de la plupart des passants, cette plaque rappelle un événement clé pour la ville du bord de l’Oder.

Lors de la deuxième moitié de juin 1997, des pluies torrentielles se sont abattues sur de vastes territoires de l’Allemagne, de la République tchèque et du sud de la Pologne, provoquant les inondations parmi les plus graves jamais vues dans cette région d’Europe centrale. A certains endroits, l’Oder s’est élevée à 4 mètres au-dessus de son niveau normal, en douze heures seulement. Avec ou sans digues de protection, quelque 2600 villes et villages ont été inondés.  

Les dégâts ont été estimés à 2,75 millions de francs suisses, soit 1% du PIB polonais à l’époque, ont provoqué l’évacuation de 162’000 personnes et la mort de 54 personnes.

A Wroclaw, quatrième ville de Pologne, les digues n’ont pas tenu le choc. Un tiers de la ville s’est retrouvé sous l’eau. Sept années seulement après la transition démocratique de la Pologne, la mobilisation de 100’000 civils et bénévoles avait représenté un moment important pour la société. Un mémorial a été érigé en l’honneur des victimes. Il rappelle aussi que l’effort communautaire a permis de sauver la ville.

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«Davantage à perdre»

Les inondations ne sont rares en Pologne, explique Zbigniew Kundzewicz, chef du Département «Climat et ressources aquatiques» de l’Institut pour l’environnement agricole et la forêt de l’Académie polonaise des sciences à Poznan. «Il est en outre avéré que les dégâts dus aux inondations augmentent partout en Europe, ajoute-t-il. Mais ceci est grandement dû au fait que nous avons aussi davantage à perdre.»

Les pertes économiques dues aux inondations ont augmenté avec la croissance des richesses. Mais, faute d’aménagement du territoire digne de ce nom, des infrastructures de valeur ont été construites dans des zones exposées, selon le chercheur. «Des pluies qui n’auraient provoqué aucun dégât autrefois font aujourd’hui d’importants dommages car le système est plus vulnérable.»

De plus, le changement climatique aggrave les choses. Les inondations étaient courantes en Pologne durant les mois d’été. Aujourd’hui, elles font leur apparition en mai et en juin déjà. La fréquence des inondations brèves et intenses, très locales, a aussi augmenté depuis 1995, révèlent les chercheurs.

Ido Liven

Etablir les risques

Depuis la Deuxième Guerre mondiale, «des inondations fluviales catastrophiques au plan régional» sont survenues tous les six ans et demi en Pologne, la plupart du temps suite à des pluies torrentielles. C’est ce qu’écrit Zbigniew Kundzewicz dans un ouvrage paru en 2012. La dernière catastrophe remonte au printemps 2013.

Les rapports que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) commence à publier montrent une augmentation des inondations, tant en niveau d’eau qu’en écoulements, un peu partout dans le monde, indique Zbigniew Kundzewicz, qui participe aux travaux du GIEC.

La Suisse participe aux travaux des chercheurs polonais au sein du projet «FLORIST», sous la houlette de Zbigniew Kundzewicz. L’objectif est d’établir les risques d’inondation dans la partie nord des montagnes Tatras, où les précipitations contribuent à la formation des inondations. Le projet s’inscrit dans un large programme de coopération helvético-polonais.

«Nous avons plusieurs points communs, souligne Ryszard Kaczka, de l’Université de Silésie. L’environnement montagneux, ici, au sud de la Pologne, est très semblable à celui de la Suisse. L’idée est de profiter du savoir-faire suisse pour examiner les risques d’inondation dans nos montagnes.»

Ce projet est une collaboration scientifique helvético-polonaise visant à établir les risques d’inondation au nord de la chaîne des Tatras. Les chercheurs analysent les processus et élaborent des modèles de projection pour l’avenir, en tenant compte de plusieurs scénarios de changement climatique.

Il s’agit notamment d’établir la probabilité d’inondations, de fortes précipitations et de désastres dus aux torrents, leur magnitude et leur fréquence d’ici 2050 et 2100.

Pour cela, ils doivent collecter des informations telles qu’archives, observations et enquêtes de terrain.

Ces analyses vont permettre de comprendre les mécanismes à l’œuvre lors d’inondations et de mieux prévoir l’évolution des conditions météorologiques, tant en ce qui concerne les événements passés que futurs.

Les inondations ne peuvent pas être évitées, soulignent les chercheurs, mais il est possible de minimiser les dégâts. Leur étude pourrait aider les responsables politiques en leur fournissant des scénarios pour l’élaboration de mesures préventives. 

Inondations éclairs

Côté suisse, Markus Stoffel et son équipe de l’Université de Berne ont étudié les inondations éclairs dans les Alpes suisses. A ses yeux, le projet FLORIST, auquel l’Université de Genève participe également, permet d’échanger des connaissances avec les chercheurs polonais et de travailler dans un environnement différent.

«Pour nous, le fait que les torrents des Tatras ne sont pas véritablement canalisés est intéressant. Ils se déploient dans un environnement sauvage et naturel, un contexte que l’on ne rencontre pas souvent en Suisse [où] de nombreux torrents ne sont plus à l’état naturel.»

Autre différence: même si leur nombre augmente depuis la fin des années 1970, la Suisse n’a connu que peu de graves inondations entre 1920 et 1970. «Mais, dans les deux environnements, nous voyons que les changements climatiques peuvent affecter l’intensité des précipitations, explique Markus Stoffel. En Suisse et en Pologne, nous faisons face aux mêmes problèmes.»

Mais à quel point la prévision des risques est-elle possible? Réponse de Markus Stoffel: «Vous ne pouvez jamais contrôler une inondation, mais vous pouvez vous assurer un certain contrôle en prenant les bonnes mesures avant que les flots n’arrivent en plaine. Vous pouvez au moins adopter des plans d’évacuation plus efficaces en améliorant votre compréhension de l’évolution des flots et des inondations.»

Par exemple, ajoute le professeur de Berne, «il est possible, en montagne, de laisser plus de place aux rivières, par exemple au pied des collines, ce qui permet de diminuer le volume de l’eau.»

La directive 2007/60/EC sur les inondations est entrée en vigueur le 26 novembre 2007.

Le texte oblige les Etats membres à examiner leurs cours d’eaux et leurs côtes maritimes pour déterminer les risques. Les Etats doivent aussi réaliser des cartes des possibles étendues d’eau et établir les risques pour les vies humaines, puis prendre et coordonner les mesures préventives adéquates pour minimiser les risques.

La directive ancre aussi les droits des citoyens d’avoir accès aux informations et d’avoir leur mot à dire dans les processus de planification.

Le but de la directive est de réduire les risques que les inondations entraînent pour la santé humaine, pour l’environnement, l’héritage culturel et les activités économiques.

(Source: European Commission)

Ne pas oublier

La Pologne est en train de mettre en œuvre la directive européenne sur les inondations, qui prévoit précisément une amélioration de la prévention. Les chiffres sur l’évolution des risques d’inondation que les chercheurs entendent mettre à jour pourraient fournir une bonne base d’information aux décideurs politiques.

Quant à la plaque commémorant l’inondation de 1997, elle pourrait aussi servir d’avertissement à l’intention des négociateurs du prochain sommet annuel de l’ONU sur les changements climatiques, prévu ce mois à Varsovie.

«De temps en temps, il faut une inondation pour nous souvenir que même lorsque nous traversons une longue période sans catastrophe, elle va arriver un jour», déclare Zbigniew Kundzewicz avec fatalisme.

(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon)

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