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Le difficile retour d’une marque suisse en mains chinoises

La manufacture Eterna est localisée à Granges, dans le canton de Soleure, tandis que sa direction siège à Hong-Kong. Gaosheng Yan

En mains chinoises depuis trois ans, l’entreprise horlogère Eterna veut retrouver son lustre perdu et rejouer dans la cour des grands. Elle s’emploie pour cela à surmonter les problèmes de communication et les différences d’approches entre dirigeants suisses et chinois.

Autrefois aussi connue qu’Omega, cette marque de tradition sise à Granges, dans le canton de Soleure, est quasiment tombée dans l’oubli lorsqu’elle est rachetée, en 2011, par le groupe chinois Haidian Holdings Ltd. Qui entend insuffler «du sang frais chinois» à celle que l’on attribue parfois le surnom peu flatteur de «belle au bois dormant».

Représentant du groupe Haidian chez Eterna, Gaosheng Yan explique qu’«au début, personne ne savait exactement ce qu’il fallait faire pour apporter une nouvelle vie à une si vieille marque. Mais ce qui a attiré Haidian, c’est le savoir-faire et la valeur de la marque Eterna».

Reste que tout n’a pas été simple. «Nous avons rencontré des problèmes. Probablement parce que dans la phase d’acquisition initiale, Haidian s’est concentré sur la situation financière d’Eterna, tout en négligeant les conditions uniques de l’industrie horlogère et les divergences de philosophie d’entreprise dans les cultures orientales et occidentales. Par conséquence, des problèmes de communication et de compréhension ont émergé entre les équipes de management suisse et chinoise», admet, honnêtement, Gaosheng Yan.

Le 7 novembre 1856, le docteur Joseph Girard et l’enseignant Urs Schild fondent  la manufacture d’ébauche «Dr.Girard & Schild». La marque Eterna apparaîtra pour la première fois sur le cadran d’une montre de poche en 1889.

Eterna a largement contribué à l’histoire de l’horlogerie suisse. En 1948, elle invente le rotor – masse oscillante activée par les mouvements du bras destinée à remonter le mouvement mécanique – monté sur roulement à billes permettant de réduire les frictions et à la montre de fonctionner pendant plus de 40 heures même si son porteur ne bouge pas beaucoup. 

Dans les années 1970, lorsque les montres à quartz déferlent sur le marché, Eterna produit les montres-bracelets les plus fines du monde (0,98 mm). Eterna est l’une des rares manufactures horlogères capables de développer ses propres mouvements de manière indépendante.

En 1995, Eterna est rachetée par l’allemand Porsche pour produire les montres de la marque Porsche Design. En juin 2011, le groupe chinois Haidian Holdings Ltd. acquiert toutes les parts d’Eterna détenues par Porsche. Cette reprise en mains d’une marque horlogère suisse par des Chinois constitue alors une première. 

Après avoir acquis Codex à Bienne, Haidian s’empare également en 2013 de la marque Corum à La Chaux-de-Fonds. Haidian entend se positionner comme un groupe horloger détenant plusieurs marques internationales et chinoises de renommée.

Changements fréquents de personnel

Pour améliorer la situation, Haidian décide d’inclure Jianguang Shang, son CEO, dans le management d’Eterna. Gaosheng Yan doit lui apporter son soutien à la coordination et à la communication entre les équipes de management. Il fait ainsi office de pont entre la société suisse et le groupe Haidian.

Celui qui a étudié aux Etats-Unis et est au bénéfice de 20 ans d’expérience dans la branche (il a été directeur adjoint de la marque Ebohr de Haidian) résume ce qui différencie l’approche des deux côtés: les Chinois poursuivent une politique de contrôle des coûts et de hausse des bénéfices. «C’est comme cela que nous faisons de l’argent», disent-ils. Les Suisses affirment au contraire que lorsqu’on plante un arbre fruitier, il faut attendre plusieurs années avant d’obtenir la première récolte. «C’est comme cela que nous fabriquons des montres», répondent-ils.

«Pour établir un lien de confiance et une compréhension mutuelle, j’ai dû expliquer les idées venant d’Haidian aux Suisses de l’entreprise, puis les craintes des Suisses et leurs raisons à l’équipe de direction d’Haidian. Aujourd’hui, la situation s’est grandement améliorée», affirme Gaosheng Yan.

«Il y a eu des changements de personnel fréquents dans notre équipe de direction suisse depuis la reprise par Haidian», relate Bruno Jufer, nouveau directeur des ventes globales et du marketing, qui a débarqué en janvier 2014. Lorsqu’on le questionne sur le style de management des Chinois, qui serait différent, Bruno Jufer affirme: «J’en ai entendu parler, mais je ne l’ai pas ressenti personnellement. Mon plus gros souci est la communication. Je préférerais pouvoir m’entretenir directement avec la direction du groupe plutôt que par l’intermédiaire de Mr.Yan ou d’un interprète».

Percée espérée à Baselworld

Après la première phase d’ajustement, les deux équipes de management d’Eterna sont sur la même longueur d’onde. Désormais, il est essentiel de réaliser une percée à Baselworld, affirme Gaosheng Yan.

Ce dernier estime que la relance de la marque passe par l’identification du cœur du problème. «Avec une histoire de plus de 150 ans et sa position de pionnière dans l’industrie, Eterna est assise sur un trésor énorme. Elle a toutefois échoué à faire pleinement usage de celui-ci. Au lieu d’accroître la valeur de la marque, il semble que ce trésor soit devenu un fardeau. Comme la marque et les prix n’étaient pas positionnés correctement, cela a causé beaucoup de difficultés aux détaillants», dit-il.

Eterna a désormais réévalué sa marque, réajusté ses prix et clarifié sa stratégie. «Nous sommes prêts à présenter une marque Eterna flambant neuve à Baselworld», affirme, plein d’espoir, Gaosheng Yan. «Quoi qu’il advienne, nous allons trouver des réponses dans cette bataille.»

La plus grande foire horlogère du monde se tient du 27 mars au 3 avril 2014 à Bâle.

Baselworld est un baromètre important pour les tendances de l’industrie. Durant les 8 jours de la manifestation, plus de 1400 exposants, 150’000 visiteurs et 3500 journalistes du monde entier y sont attendus.

Source: Baselworld.com

Confiance dans l’avenir

Bruno Jufer est également confiant. Il espère que la manifestation bâloise permettra de «dépoussiérer Eterna». De retour d’Hong-Kong, où il a obtenu le feu vert du groupe pour la nouvelle stratégie de la marque, il estime essentiel de tirer avantage de sa longue histoire. «A mon sens, une bonne montre est une montre mécanique et non un produit électronique. Eterna peut compter sur une technologie de pointe et sur une ligne de produits indépendante. Elle a la capacité de rivaliser avec des marques de luxe telles que Zenith, Jaeger-LeCoultre ou IWC.».

En 2015, Eterna prévoit de livrer de nouveaux produits destinés spécifiquement aux jeunes, affirme Bruno Jufer. «Et alors que toutes les autres marques ont les yeux rivés vers la Chine, nous avons décidé de continuer à nous concentrer sur le marché européen et de réinvestir le marché nord-américain».

Gaosheng Yan relève toutefois qu’«Eterna est encore un patient en phase de convalescence». Le fait que cet héritage suisse soit désormais en mains d’une société chinoise va-t-il avoir un impact négatif sur les produits de la marque? «Je ne pense pas, répond Bruno Jufer. Les quartiers généraux d’Eterna sont en Suisse, ses usines également. Certes, son patron est à Hong Kong, mais c’est assez habituel. D’autres marques de montres suisses connaissent cette situation, à l’image de Tag Heuer ou de Zenith [qui appartiennent au groupe français LVMH]».

(Traduction et adaptation: Samuel Jaberg)

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