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Une expérience de cinéma collective pour jeune public

Ils sont peut-être petits mais ces enfants ne sont pas en reste, question cinéma. magic-lantern.org

Faire découvrir le septième art à de jeunes enfants: c’est l’objectif de la Lanterne magique, un club de cinéma né en Suisse et qui, avec le temps, s’est aussi établi à l’étranger. Les fondateurs ont reçu le Prix d’honneur des Journées de Soleure.

Une demi-heure déjà avant le début de la représentation, des dizaines d’enfants de 6 à 12 ans attendent impatiemment devant le cinéma ABC de Berne, une des 75 salles accueillant la Lanterne magique en Suisse. Ils viennent avec des amis ou sont amenés par des parents ou des grands-parents. Mais les adultes resteront à la porte: ils ont l’interdiction formelle d’entrer dans la salle.

Luc, 9 ans, est là avec son petit frère Louis. Ils sont membres du club pour la deuxième année consécutive. Luc a lu le magazine du club et sait que le film «Hasenherz» sera projeté. Les membres du club reçoivent le journal avant chaque représentation. Luc est très excité.

Peu avant 14 heures, les 200 jeunes cinéphiles sont autorisés à entrer. Un bisou rapide à maman et à papa, et les voilà qui se poussent pour retrouver leur place favorite. Dans la salle, les enfants sont entre eux. Une des animatrices reste debout sur le côté pour rassurer ceux qui auraient peur.

Tourné en 1987 en RDA, «Hasenherz» de Gunter Friedrich parle de courage et de premiers émois amoureux. Une jeune fille ressemblant à un garçon, qui est le souffre-douleur de sa classe, obtient un rôle de prince dans un film et finit par s’épanouir.

Juste avant le début de la représentation, les enfants ont droit à une présentation interactive sur le thème du film. Deux actrices  jouent des scènes du film et présentent les thèmes centraux. Ensuite, les animateurs répètent les règles d’or de la Lanterne magique: ne pas coller de chewing-gum sur les sièges, ne pas manger, ne pas boire et ne pas déranger les voisins. Enfin, le film commence.

La formule magique

La Lanterne magiqueLien externe offre chaque année à ses membres une sélection de classiques du cinéma. Ses animateurs veulent aussi transmettre les notions de dramaturgie, de style et de techniques du film. Il y a des films pour rire, d’autres pour rêver, pour pleurer ou pour avoir peur. Des films muets au premier film parlant, du premier film en couleurs à l’animation par ordinateur: tout y est. Les courts métrages sont aussi très appréciés du jeune public. Les responsables de la Lanterne magique ont aussi à cœur de montrer des œuvres étrangères que les enfants ont rarement l’occasion de voir.

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Le programme propose des films pour enfants comme «Fifi Brindacier» ou «Mon nom est Eugène». Mais le club montre aussi des films «pour adultes» et accessibles aux enfants, comme les films muets de Charlie Chaplin ou de Buster Keaton. N’est-ce pas trop pour les plus petits?

«Absolument pas», répondent Francine Pickel et Vincent Adatte, co-fondateurs et directeurs de la Lanterne magique, que le Festival de Soleure vient d’honorer. Il est important de proposer cette introduction ludique et de préparer les enfants au film. «Les plus grands ont même parfois plus peur que les plus jeunes, note Vincent Adatte. Même si les petits ne comprennent pas toujours tout, ils sont fascinés par ce qu’ils voient.»

Sélection délicate

Il est toutefois déjà arrivé que des films soient retirés du programme, soit parce que le film n’était pas digitalisé ou parce que les parents avaient émis des critiques. C’est ce qui est arrivé à «Nosferatu» de Friedrich Wilhelm Murnau (1922), qui raconte l’histoire d’un vampire. «Les réactions ont été violentes, surtout en Suisse alémanique, alors que les enfants voient des films bien pires à la télévision, estime Francine Pickel. Nosferatu parle de la tristesse d’être un monstre, mais il raconte aussi beaucoup de choses positives.»

La Lanterne magique

1992: Création à Neuchâtel

1994: Lancement en Suisse alémanique

1995: Lancement au Tessin

Suisse: 75 salles

Suisse: 22’000 – 24’000 membres

A l’étranger: 20 pays, dont le Mexique, l’Argentine, le Sénégal, le Maroc, la France, l’Espagne, la Pologne et la Géorgie.

Depuis 1992, quelque 200 films ont été montrés et expliqués aux 6-12 ans. Ils étaient en majorité européens (51%), américains (25%), d’autres continents (10%), des classiques (9%), suisses (5%).

Cotisation: 40 francs par enfant, pour 9 films par année. Le deuxième enfant d’une même famille paye 30 francs et l’abonnement est gratuit à partir du troisième.

Budget annuel de l’association mère à Neuchâtel, qui compte 20 collaborateurs chargés de la sélection des films, de la programmation, de la promotion, de l’accompagnement en salles, des traductions et de la formation: 1,5 million de francs. Les clubs de chaque ville ont leur propre budget.

La Lanterne magique est soutenue notamment par l’Office fédéral de la culture, section Cinéma, et par la Loterie romande. La Poste mettra un terme à son sponsoring cette année.

Les 50es Journées de SoleureLien externe ont attribué leur Prix d’honneur à Francine Pickel et Vincent Adatte. Le prix distingue des personnalités qui s’investissent en coulisses pour le cinéma suisse. Il sera remis le 28 janvier à Soleure.

Nina O., de Berne, a aujourd’hui 26 ans. Elle se souvient d’avoir vu le chef d’œuvre de Murnau à la Lanterne magique. «Mon amie Marie-Louise n’avait pas eu le droit de venir car sa mère avait trouvé que le film faisait trop peur. J’y suis allée finalement avec mon voisin. Et je n’ai pas eu peur.»

Autre élimination de la sélection: un film de Luigi Comencini tourné dans les années 1950 était «tellement triste que trop d’enfants se mettaient à pleurer. Nous ne voulions quand même pas qu’ils rentrent traumatisés chez eux», raconte la fondatrice.

Le choix reste une affaire délicate. Fellini ne peut pas être montré à cause des scènes érotiques. La sélection est particulièrement difficile dans les pays arabes, car il faut faire attention à la censure. Née en 1992, la Lanterne magique est en effet présente au Maroc et au Sénégal, mais aussi en Géorgie, en Pologne, en France, en Espagne, en Argentine et au Mexique.

Les temps changent

Lorsque le club est né, il n’y avait pas autant d’activités pour enfants. Aujourd’hui, la concurrence est plus grande. De plus, peut voir des films partout et en tout temps, à la télévision et sur tous les écrans mobiles. A ce défi, s’ajoute le fait que les parents d’aujourd’hui ne connaissent plus les classiques montrés aux enfants, ce qui ne facilite pas le choix.

«Nous devons faire un gros effort pour atteindre les parents, admettent les responsables. Le contact dans les écoles est essentiel. Toutefois, il est aujourd’hui plus difficile de faire distribuer les formulaires d’inscription dans les écoles, surtout en Suisse alémanique.» Il faudrait un engagement sur plusieurs saisons afin que les enfants restent aussi d’une année à l’autre. «Les petits clubs locaux doivent faire encore plus de publicité.»

Un vecteur social

Les fondateurs se décrivent comme idéalistes, ce qui ne les empêche pas de continuer à croire en leur formule magique. «Nous nous adaptons. La Lanterne est aussi présente à la télévision romande, par le biais d’une émission. Elle propose aussi des offres ludiques sur internet et dans les écoles.»

Surtout, le cinéma est mis en avant en tant que vecteur social, souligne Vincent Adatte. «Etre assis avec d’autres enfants devant un grand écran, partager ses émotions et ses opinions, c’est une expérience que la télévision ne peut pas apporter. On devrait leur insuffler la passion du cinéma lorsqu’ils sont encore petits». 

Marie-Louise B., de Berne, se souvient très bien de ses après-midis à la Lanterne magique, même si elle avait, à l’époque, raté «Nosferatu». «Nous voyions toujours des films extraordinaires que je n’aurais jamais vus, sinon, raconte-t-elle. Une fois par mois, le cinéma appartenait aux enfants. Les petites mises en scènes théâtrales, au début, étaient adorables et transformaient l’après-midi en événement unique.

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(Traduction de l’allemand: Ariane Gigon)

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