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Italie et Suisse main dans la main pour diffuser la langue de Dante

«Ici, maintenant, on parle italien». Message sibyllin des ouvriers durant les travaux de réfection du Palais fédéral en 2006. Bien que langue officielle, l’italien n’est en effet que peu utilisé au siège du gouvernement et du parlement. swissinfo.ch

La Confédération helvétique est un terrain fertile pour la langue de Dante. Mais pour une floraison abondante sur l’ensemble du territoire, il faut semer avec soin. Et surtout, la Suisse et l’Italie ne doivent plus cultiver chacune leur propre jardin, mais unir leurs forces pour agir de concert, dans leur intérêt réciproque. Un pas décisif dans cette direction a été accompli le 24 octobre à l’Ambassade d’Italie à Berne.

Le moment n’a été choisi au hasard: c’est dans le cadre de la Semaine de la langue italienne dans le mondeLien externe que l’ambassadeur Marco Del Panta a organisé une table ronde dans le but de jeter les bases pour une stratégie commune. Une discussion fondée sur des données très concrètes, grâce à un document informatif et constructif: le «Rapport sur l’italien en Suisse: contexte, législation et initiatives».

Semaine de la langue italienne dans le monde

«L’Italien et la créativité: marques et coutumes, mode et design», tel est le thème de l’édition 2016 de la Semaine de la langue italienne dans le monde, qui se déroule la troisième semaine d’octobre. La manifestation pour la promotion de l’italien comme langue de culture est organisée en Suisse par l’ambassade d’Italie, en collaboration avec la Confédération. A Berne, le vaste programme a accordé aussi une place à d’autres thématiques. Ainsi, deux soirées ont été dédiées aux migrations, un thème historique et toujours de grande actualité tant en Italie qu’en Suisse, et on a inauguré la nouvelle bibliothèque de la Société Dante Alighieri. «Le cœur» de la manifestation, selon l’expression de l’ambassadeur Marco Del Panto, a été néanmoins la table ronde pendant laquelle a été présenté le Rapport sur l’italien en Suisse.

Réalisé par l’AmbassadeLien externe, ce document offre pour la première fois un inventaire complet et détaillé sur la diffusion de la langue italienne dans la Confédération et les outils servant à sa propagation. En outre, il met en évidence la convergence de trois objectifs dans la promotion de la connaissance de cet idiome: «celui de l’Italie de diffuser sa langue et sa culture; celui de la Suisse de promouvoir le plurilinguisme et les propres langues nationales; celui du Tessin et des Grisons de favoriser l’italien également hors des propres frontières». Pour finir, le document donne des pistes pour atteindre ces objectifs et propose des instruments opératifs.

«Nous n’entendons pas promouvoir l’italien pour faire concurrence à l’anglais comme langue de communication, mais nous voulons le positionner comme langue de culture», précise l’ambassadeur. Un domaine dans lequel l’Italie jouit d’un certain prestige, et un élément particulièrement intéressant pour la Suisse, «seul pays au monde avec l’Italie à avoir l’italien comme langue nationale».

L’arbre qui cache la forêt

En dépit des données statistiques qui, en Suisse, semblent indiquer que l’italien est en constante perte de vitesse en dehors de ses propres territoires (soit le Tessin et une partie des Grisons), le potentiel d’intérêt pour cette langue existe bel et bien. On peut le constater dans la demande pour les cours de langue et de culture italienne organisés par le Ministère des affaires étrangères et ses organes de gestion, a précisé le coordinateur de ceux-ci, Roger Nesti, à l’occasion de la table ronde. Le nombre de cours est toutefois en baisse pour différentes raisons: tout d’abord les coupes continues dans les subsides de l’Etat italien et l’incertitude financière, mais aussi la difficulté à trouver des salles ou des horaires pour ces cours dans certains cantons ou localités.

Mais il y a autre chose encore: l’italien jouit «d’une bonne vitalité» dans les régions germanique et francophone de la Suisse, ont relevé lors de la table ronde certains des auteurs de l’ouvrage «Italien par hasard», résultat d’une recherche sur les différentes formes de l’«italianità» dans la Confédération.

L’image de l’italien comme langue ayant perdu de son attrait car évincée par l’anglais, telle qu’elle ressort des statistiques, cache en fait une réalité bien plus complexe: celle d’une «italianità diffuse et sédimentée» dans les autres régions linguistiques de Suisse et celle «compacte» au Tessin et dans les vallées italophones des Grisons, observe Verio Pini, co-auteur du livre. Le conseiller en politique linguistique auprès de la Chancellerie fédérale rappelle que «sur quelque 550’000 italophones résidant en Suisse, environ 300’000 vivent outre-Gothard». S’y ajoutent de très nombreuses personnes qui, «pour de multiples raisons», ont une relation avec la langue ou la culture italienne et contribuent à sa vitalité, mais n’apparaissent pas dans les statistiques»; parmi elles, de nombreux descendants d’Italiens, de la seconde à la quatrième génération.

Cohésion et coordination

Il existe donc un intérêt qu’il faut alimenter et un précieux patrimoine linguistico-culturel qu’il faut valoriser et consolider. La Suisse, tant au niveau fédéral que cantonal, et l’Italie par l’intermédiaire de l’ambassade et des consulats disposent chacune de d’instruments pour agir dans ce sens.

«L’idée est très simple: il s’agit de les regrouper, de les renforcer et de faire une programmation coordonnée, au lieu de disperser les ressources humaines et financières en travaillant chacun de son côté», explique l’ambassadeur Marco Del Panta.

L’idée a été accueillie avec enthousiasme par les représentants politiques et académiques actifs dans la promotion de l’italien en Suisse, qui ont animé la table ronde. «Pour l’Italie, la Suisse, le Tessin et les Grisons, c’est une obligation morale et culturelle de promouvoir ensemble l’italianità», a relevé Filippo LombardiLien externe, président de la Délégation pour les relations avec le Parlement italien.

Au niveau opératif, le sénateur tessinois a encouragé la création d’une fondation au sein de laquelle il faudrait «réunir les ressources humaines et les fonds des deux pays», tant étatiques que privés, de façon à disposer d’un «instrument efficace» pour appliquer une stratégie commune de promotion de l’italien dans la Confédération. «Nous devons unir nos forces en faisant en sorte qu’elles soient liées à des contributions financières», a souligné M. Lombardi.

Alors que les représentants tessinois sont tombés d’accord sur la nécessité d’une telle option, l’ambassadeur d’Italie Marco Del Panto et la députée grisonne Silva SemadeniLien externe ont quant à eux donné la priorité à la conclusion d’un accord stratégique bilatéral entre les deux pays, à travers un mémorandum d’entente qui fournirait le cadre juridique nécessaire.

Une opportunité qui va au-delà de la langue

Ces divergences de vues n’enlèvent néanmoins rien à l’esprit de collaboration qui a caractérisé l’initiative de l’Ambassade d’Italie et qui a été partagé par les interlocuteurs helvétiques. «Je ne me souviens pas d’une manifestation de ce genre par le passé, empreinte d’une volonté aussi forte de coopération comme c’est le cas aujourd’hui», s’est réjoui le professeur Bruno MorettiLien externe, co-directeur de l’Institut de langue et littérature italiennes de l’Université de Berne.

Le premier pas sur la voie de la collaboration a été accompli, et le mois prochain, le dialogue se poursuivra probablement dans le cadre du Forum pour l’italien en SuisseLien externe. Ce ne sera certainement pas une promenade de santé, aussi parce que le fédéralisme helvétique rend les sentiers plus tortueux. Il ne suffira pas de trouver une entente avec la Confédération, le Tessin et les Grisons.

Chacun des 26 cantons est en effet compétent sur son propre territoire en matière d’instruction et de culture, a ses propres règles et ses particularités. Bien que pleinement conscient de cet aspect, l’ambassadeur Marco Del Panto reste toutefois confiant: «Nous avons des consulats dans les principales régions de Suisse. J’ai déjà communiqué aux consuls qu’ils doivent travailler de façon assidue sur ce projet», nous assure-t-il.

Le diplomate considère cette tâche prenante et complexe comme une opportunité: «Une telle action permettant une connaissance plus approfondie de l’autre est utile également pour développer des relations bilatérales entre les deux pays».

Bilingues, comme les écoles suisses à l’étranger

Sur la base de l’expérience personnelle faite avec ses enfants, qui ont fréquenté l’école primaire et secondaire à l’Ecole suisse de Rome, et d’expériences observées ailleurs, l’ambassadeur Marco Del Panta estime qu’il faut miser sur les écoles bilingues et biculturelles. «C’est le modèle que nous devons promouvoir. Il est impensable d’envisager des écoles exclusivement italiennes à l’étranger, parce que les Italiens eux-mêmes ne s’y intéressent plus. En outre, nous ne voulons pas créer le ghetto des Italiens. Les Italiens aussi doivent s’intégrer dans le pays d’accueil. L’école biculturelle est sans aucun doute l’instrument le meilleur», a indiqué le diplomate à swissinfo.ch.

Contenu externe

(Traduction de l’italien: Barbara Knopf)

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