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«L’Allemagne a brisé le tabou de la frontière»

L'Allemagne a rétabli dimanche soir le contrôle de sa frontière avec l'Autriche après avoir ouvert ses portes aux réfugiés. Keystone

Les journaux suisses étaient sous presse avant l’issue décevante du sommet ministériel européen (dont la Suisse). Pas de commentaires sur l’«accord de principe» obtenu à Bruxelles sur une répartition des réfugiés. Les analyses reviennent sur l’attitude de Berlin, déplorable pour les uns, fine tacticienne pour d’autres.

«Hors contrôle, les réfugiés inondent l’Europe!», cet énorme titre sur photo géante d’une foule en marche barre la une du «Blick».

«Les Accords de Dublin? En miettes. L’espace Schengen? A genoux. La ‘crise des migrants’ est en train de faire voler en éclats le cadre vieillot par lequel l’Union européenne entendait se mettre à l’abri du monde extérieur», résume «Le Temps».

«Concrètement, poursuit le quotidien francophone, des centaines de milliers de réfugiés syriens, irakiens ou afghans ont reçu l’appui, tardif mais décisif, d’Angela Merkel. Ils ont conquis le cœur de l’Europe. Il n’y aura plus moyen de les déloger. Face à pareil mouvement, les Accords de Dublin – conçus pour d’autres temps – apparaissent pour ce qu’ils sont réellement, dans toute l’étroitesse de leurs arrière-pensées. Les réactions de panique sont à la mesure de ce chamboulement. Sur la route ouverte des ‘migrants’, les murs réapparaissent, mettant à mal, comme jamais, l’espace Schengen. Chacun se méfie maintenant de son voisin, quand il ne le vilipende pas pour de bon.»

«Danger venu d’Allemagne»

Pour le «Blick», le danger vient d’Allemagne. «Les Allemands ont montré leur grand cœur et leur grande gueule: il y a une semaine ils proclamaient qu’ils finiraient avec un demi-million de réfugiés par an. Attirés par l’appel, les premiers migrants ont échoué à Munich, le chaos est déjà parfait. […] La réalité a imposé un changement de cap: les frontières refermées d’un coup pour des raisons de sécurité. Le chaos reste, mais dehors – aux autres de payer les pots cassés.» Mais ce que le quotidien de boulevard reproche surtout à l’Allemagne, c’est d’avoir «dangereusement ébranlé l’entité européenne». 

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Plus encore, la «Basler Zeitung» estime que l’Allemagne a carrément «brisé le tabou de la frontière»: elle «veut bien sûr faire pression sur les autres pays de l’Union, surtout ceux de l’Est si timides face à la migration. Mais elle n’y réussira pas et, au contraire, les autres fermeront aussi leurs frontières.» Pour le quotidien bâlois, le seul moyen de rouvrir les frontières intérieures est de développer un autre dispositif de contrôle sur sa frontière extérieure. Et ça, «ce n’est pas près d’arriver».

L’«Aargauer Zeitung» se montre un peu moins sévère que ses confrères alémaniques, estimant au contraire que Berlin a fait preuve d’une «grande finesse tactique». Certes, le gouvernement allemand a commencé à «faire tomber les dominos» en réintroduisant les contrôles. «Mais il ne s’agit pas d’un freinage d’urgence, poursuit le quotidien argovien. La mesure apporte au contraire cet effet d’annonce important: ‘nous n’y arriverons pas seuls’. Autrement dit: si nous voulons conserver la libre circulation des personnes, nous devons trouver un système commun de contrôle des flux et de répartition des réfugiés.» Conclusion: «il y a bien des chances que le grand marchandage se prolonge à Bruxelles.»

«La Regione Ticino» parle d’une faillite, dont les «responsabilités se répartissent entre les gouvernements frileux de la ‘vieille’ Europe et les gouvernements agressifs de la ‘nouvelle’. Une preuve de mesquinerie qui retombe injustement sur des milliers de gens livrés à la merci de passeurs sans scrupules et d’autorités sans vergogne.»

Mais surtout, le quotidien italophone juge que la décision des Vingt-Huit de renvoyer tout le paquet à une date «que l’on espère plus favorable (..) ne semble rien d’autre qu’une énième pauvre tentative de sauver ce qui compte le moins, c’est-à-dire la face.»

«L’Europe à la croisée des chemins»

«L’Europe se trouve à la croisée des chemins», estiment le «Tages Anzeiger» et le «Bund». «Il y a des pays comme l’Allemagne ou la Suède qui adoptent une position libérale et un traitement humain des demandeurs d’asile. D’autre part, il y a les partisans de l’isolement et de la dissuasion, comme la Hongrie.»

Et, avec un optimisme qui le distingue, le quotidien alémanique espère que «les bouchons aux frontières réveillent les consciences des Européens de l’Est. Ce qui permettrait que la crise actuelle donne une poussée à une politique d’asile et de migration européenne. La première tentative de redistribution des réfugiés sur laquelle se sont mis d’accord les Vingt-Huit lundi à Bruxelles, est un premier pas dans la bonne direction».

La «Neue Zürcher Zeitung» estime qu’en revenant sur sa décision d’ouverture des frontières, «Berlin a lancé un signal clair» à l’Union, mais aussi à l’intérieur: «Une démarche compréhensible, car il est difficile de faire face aux peurs diffuses de la population et ce n’est pas une solution de les ignorer».

La «Tribune de Genève» et «24 Heures» vont dans le même sens: «Berlin n’a pas changé de politique (les demandeurs d’asile y sont toujours reçus). Elle n’a pas non plus dérogé aux règles juridiques de Schengen, qui prévoient la possibilité de rétablir les contrôles en cas de force majeure. […] Mais elle donne un signal encourageant à ceux qui ne veulent plus de Schengen, à commencer par la Hongrie. Une tentation qui existe aussi en Suisse.»

Mais les deux quotidiens lémaniques constatent surtout que «dans cette crise, l’Europe qui s’est construite sur la confiance et la solidarité est à l’épreuve de ses égoïsmes. Et elle va payer cher son inaction au Proche et au Moyen-Orient.»

«Et la Suisse? Elle doit se préparer»

«Et la Suisse? Elle doit se préparer» avertit «Le Matin». «Angela Merkel a habilement manœuvré en ouvrant ses frontières avant de les refermer (ou presque) quand le nombre de migrants qu’elle avait estimé pouvoir accueillir a été atteint. Aux autres de faire face à leurs responsabilités. Très fort.»

Ce qui est sûr, pour le quotidien de boulevard, c’est que «la Suisse va être secouée par cette déferlante. Qu’on le veuille ou non. Elle doit s’y préparer. Les digues et les barrages politiques rigides comme les actes de générosité non coordonnés n’y changeront pas grand-chose. La Suisse a tous les moyens à sa disposition. Elle doit désormais montrer sa volonté. En contrôlant ses frontières, mais aussi en montrant ce qu’elle sait être humaine. »

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