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Transparence fiscale: la Suisse doit accélérer le tempo

Une ombre continue de planer sur le monde bancaire suisse. Keystone

Pour éviter de nouveaux dommages à sa réputation, la Suisse doit mettre les «bouchées doubles» en matière d’entraide administrative pour les délits fiscaux. La pression internationale continue pourtant d’augmenter. Cela se verra cette semaine lors du Forum mondial de Jakarta, où les efforts de 50 premiers pays seront évalués.

«La Suisse est déjà un bouc émissaire privilégié au niveau international. Même si elle a accompli des progrès notables dans divers secteurs ces dernières années, ceux-ci ont été inférieurs à ceux d’autres pays. Raison pour laquelle elle reste dans le collimateur», déclare Peter V. Kunz, professeur de droit économique et de droit comparé à l’Université de Berne.

Dans les faits, les autorités helvétiques ont progressivement levé le secret bancaire au cours des dernières années. Dernier épisode en date: la révision de la Loi sur l’entraide administrative fiscale, entrée en vigueur le 1er février dernier et qui permet des demandes d’entraide groupées.

Et une nouvelle révision est déjà sur les rails. Elle sera traitée au Parlement en décembre. Principale nouveauté: la possibilité, pour les cas urgents, d’informer seulement a posteriori les clients étrangers que des données concernant leur compte ont été transmises à un Etat tiers. Actuellement, les personnes qui font l’objet d’une demande d’entraide administrative doivent en être informées à l’avance.

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Banque suisse

Ce contenu a été publié sur Son reportage nous emmène au coeur d’un secret à 7000 milliards de francs. La place financière suisse recèle un tiers des actifs offshore en raison de la stabilité politique et d’une stricte réglementation du secret bancaire. A elles seules, UBS et Credit Suisse occupent la moitié de ce marché et règnent sur le secteur bancaire.

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Le précédent UBS

Les partis de droite ont déjà clairement pris position contre ce changement. Mais Peter V. Kunz relativise. «Après tout, il faut admettre que nous avons créé le pire des précédents il y a quelques années, avec la transmission par l’autorité de surveillance des marchés financiers (FINMA) des données de clients américains d’UBS. Les personnes concernées n’en avaient été averties que lorsque ces informations étaient déjà en possession des autorités américaines. A l’époque, cela avait été à juste titre critiqué comme une violation du droit. Il convient toutefois de préciser que ce n’est que pour des cas exceptionnels que la nouvelle loi permettrait de renoncer à l’information préventive des intéressés.»

Le gouvernement fédéral transmettra prochainement aux Chambres un autre projet de révision. La modification concernera les possesseurs d’actions au porteur qui, à l’avenir, ne pourront plus rester anonymes. Le Parlement traitera de cette affaire au printemps 2014.

Depuis mars 2009, date à laquelle le gouvernement a décidé de fournir une entraide administrative non plus seulement pour les cas de fraude fiscale, mais aussi pour ceux de soustraction fiscale, la Suisse a conclu avec 42 Etats de nouvelles Conventions de double imposition (CDI) conformes aux standards de l’OCDE.

Nouvelles pressions

Malgré tous ces progrès, le Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales (SFI) s’attend à ce que la Suisse soit à nouveau mise sous pression lors du Forum mondial sur la transparence, une institution liée à l’OCDE qui se réunira les 21 et 22 novembre à Jakarta. Cinquante premiers pays se verront attribuer des notes en matière d’échange de renseignements fiscaux.

La Suisse ne sera quant à elle notée qu’en 2014 au plus tôt et n’est donc pas directement concernée par Jakarta. Cependant, le SFI craint que les pays qui auront reçu de mauvaises notes n’insistent pour que les pays pas encore évalués ne soient pas avantagés.

A Jakarta, les notes seront notamment attribuées au Luxembourg, à l’Autriche, à la Grande-Bretagne, à la Principauté de Monaco et aux Iles Caïmans, autant de pays dont les places financières sont en concurrence avec celle de la Suisse.

La prochaine réunion plénière du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements aura lieu à Jakarta les 21 et 22 novembre.

La Suisse y sera représentée par la délégation suisse auprès de l’OCDE, par le Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales (SFI) et par le Département fédéral des affaires étrangères.

«Il s’agira pour la Suisse de démontrer qu’elle a accompli des progrès importants depuis son rapport d’évaluation en 2011 et de souligner son engagement à présenter dès que cela sera possible un rapport supplémentaire, ce qui pourrait lui permettre de passer en phase 2 d’évaluation», précise Anne Césard, porte-parole du SFI.

Sur le même bateau que Panama et le Liberia

Le Forum réunit 120 pays. La Suisse en est membre depuis 2009. Sont évalués, c’est-à-dire admis à la seconde phase, les pays qui satisfont à tous les critères législatifs en matière d’entraide administrative dans le domaine fiscal. L’évaluation porte sur l’efficacité de leur mise en œuvre.

La Suisse doit encore apporter des améliorations législatives et augmenter le nombre de CDI conformes aux standards de l’OCDE. C’est pourquoi elle reste encore dans la première phase, avec treize autres pays, dont le Botswana, le Liban, le Liberia et Panama.

Pour accéder à la seconde phase, la Suisse doit améliorer au moins l’un des trois points critiques (entraide administrative en matière fiscale, droit des sociétés anonymes et nombre de CDI correspondant aux standards de l’OCDE).

Au Parlement, la résistance contre ces modifications législatives est d’ores et déjà programmée. Même s’il est très probable que les élus donneront finalement leur aval en grinçant un peu des dents, comme cela s’est déjà vu dans des dossiers similaires, il leur faudra avaler une nouvelle couleuvre.

Données volées

L’été dernier, le gouvernement avait l’intention de transmettre au Parlement un projet de révision permettant l’entraide administrative aussi par rapport à des demandes basées sur des données volées, à condition que l’Etat qui la demande les ait obtenues passivement, par exemple d’un pays tiers. Mais depuis, en raison d’une véritable levée de boucliers, il a renoncé au projet. Mais la question n’est vraisemblablement que renvoyée.

L’Inde en particulier souhaite pouvoir utiliser par le biais de l’entraide administrative les données concernant des évadés fiscaux qui se trouvent sur un CD de la HSBC, volé par un ancien employé de la grande banque britannique à Genève. Jusqu’à présent, la Suisse a refusé ces demandes en invoquant la Loi sur l’entraide administrative fiscale.

«Il s’agit d’une politique ambigüe que conduisent de vieux conservateurs au Parlement. Les données sur le CD sont absolument centrales tant qu’il n’y aura pas d’échange automatique des informations», déclare Andreas Missbach, responsable de la section matières premières, commerce et finances de l’organisation non gouvernementale Déclaration de Berne.

Quant au caractère légal douteux de l’utilisation de données bancaires volées, Andreas Missbach rétorque que la Suisse «a aidé systématiquement et pendant des années à enfreindre la loi d’autres pays. C’est l’incohérence morale de la position suisse qui a engendré un marché pour de telles données. Il n’est pas acceptable que la Suisse fasse désormais tout un drame sur l’utilisation de ces données qui servent à quelque chose d’utile, c’est-à-dire poursuivre l’évasion fiscale.»

Recommandations pressantes

Andreas Missbach et Peter V. Kunz s’accordent à penser que l’entraide administrative basée sur des données bancaires volées sera inéluctable. Cette question arrivera forcément sur la table lorsque la Suisse sera évaluée par le Forum mondial. En d’autres termes, Berne devra aussi céder dans ce domaine. En effet, bien que le Forum se contente de recommandations, le G20 a demandé aux Etats de les mettre en œuvre.

«Même s’il ne s’agit que d’exhortations, il est indispensable que la Suisse atteigne la seconde phase et mette en œuvre les recommandations qui s’y rapportent. Faire cavalier seul ne poserait pas seulement un problème de réputation, mais pourrait tôt ou tard entraîner des sanctions», avertit Peter V. Kunz.

(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)

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