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Pas facile de redéfinir les Objectifs du millénaire

Rédaction Swissinfo

Les Nations unies ont lancé de nouvelles méthodes innovantes pour identifier les objectifs en matière de développement après 2015. Mais reste à voir dans quelle mesure l’ONU a la capacité institutionnelle de gérer et de soutenir cet effort, écrit Thomas Biersteker, professeur de relations internationales et sciences politiques.

Le Premier ministre chinois Wen Jiabao lors du Sommet de l’ONU sur les Objectifs du millénaire, le 22 septembre 2010 à New York. Keystone

Les huit Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), adoptés à l’issue du Sommet du Millénaire des Nations unies en 2000, ont défini, pendant plus d’une décennie, les tâches prioritaires de l’ONU en matière de développement international et façonné les politiques et pratiques de développement tant des Nations Unies que de la communauté internationale. Si, à ce jour, la réalisation des OMD est inégale selon les secteurs, les régions ou les pays envisagés, la définition de ces objectifs devait servir à obtenir d’ici 2015 des résultats mesurables dans le domaine du développement. Comme souvent dans le cas des institutions internationales, l’idée d’établir des objectifs mondiaux pour le développement international contient une logique autoreproductrice qui a conduit le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, à lancer, il y a plus de trois ans, des discussions formelles et informelles sur le renouvellement des OMD après 2015.

Questions essentielles

Si la définition d’objectifs globaux fait intuitivement sens, qui décide de ces objectifs? Quel est le processus qui détermine les objectifs prioritaires? Il s’agit de questions essentielles car la définition des objectifs permet d’élaborer la pratique politique et crée de ce fait des gagnants et des perdants institutionnels. En dernière analyse, la définition des objectifs est fondamentalement une question de gouvernance globale.

Thomas Biersteker, professeur de relations internationales/science politique; chaire Curt Gasteyger sur l’étude de la sécurité internationale et des conflits; directeur du Programme for the Study of International Governance à l’Institut de hautes études internationales et du développement. graduateinstitute.ch

La gouvernance globale est un ordre intersubjectivement reconnu, doté d’une finalité et situé à l’échelle mondiale, qui circonscrit et façonne les attentes des acteurs dans un domaine donné. C’est un système de règles qui font autorité (avec des degrés variables d’institutionnalisation), opérant au niveau mondial. Pour qu’un système de règles autoritaires fonctionne à ce niveau, il n’est pas nécessaire que ces règles soient universellement appliquées ou que leur légitimité soit universellement reconnue. Il suffit qu’elles soient largement partagées et pratiquées à l’échelle mondiale (sur plusieurs continents) par des acteurs pertinents et importants.

Les systèmes de gouvernance ne sont pas tous forcément «bons» ou désirables sur le plan normatif. Une grande partie du débat sur la gouvernance globale a pour postulat implicite que la gouvernance de ce monde est normativement positive, ce qui n’est pas forcément le cas. Un domaine peut être mal gouverné, mais il est néanmoins gouverné. C’est pourquoi il est important de formuler des critères pour évaluer la qualité normative de la gouvernance à l’échelle mondiale. Explorer les aspects normatifs de la gouvernance est aussi une manière de ramener la politique dans le débat sur la gouvernance. Trop de publications sur la gouvernance globale se cantonnent aux aspects gestionnaires, techniques et descriptifs, sans s’aventurer sur le terrain de la politique de la gouvernance globale ni se demander à qui bénéficieraient les diverses configurations de cette gouvernance et pourquoi. 

La gouvernance mondiale peut – et devrait – être évaluée en fonction de critères découlant de normes, justifiés et reconnaissables, parmi lesquels l’inclusion, la représentativité, l’adaptabilité, l’efficience, l’efficacité, la responsabilité, la légitimité et l’équité. 

Comment le processus d’extension des OMD à l’après-2015 répond-il à ces critères d’évaluation de la gouvernance globale? A la suite des critiques formulées de toutes parts sur la manière dont avaient été déterminés les huit OMD initiaux, les Nations unies ont lancé un processus mondial de consultation sans précédent auprès des multiples parties prenantes. En sus des consultations menées auprès des États aux niveaux national et régional, l’ONU a également eu recours à une grande variété de moyens – dont les médias sociaux, la participation des citoyens, des consultations formelles et des sondages internationaux de l’opinion publique portant sur plus d’un million de personnes – pour intégrer les acteurs de la société civile au processus de définition de ses onze points thématiques. Les entreprises, les jeunes et d’autres interlocuteurs non étatiques ont été largement interrogés pour générer des idées et se mobiliser en faveur du «monde que nous voulons». 

En ce qui concerne l’inclusion, les Nations unies ont fait ce qu’il fallait pour un engagement global, non seulement par le biais de mécanismes traditionnels comme la consultation des États membres et l’ultime approbation de l’ensemble des membres de l’Assemblée générale, mais également en interrogeant les acteurs de la société civile, comme indiqué plus haut.

Reste à voir le résultat

Comme d’habitude, il a été plus difficile de parvenir à une véritable représentativité. Si le profil démographique du Groupe de haut niveau de personnalités éminentes sur le Programme de développement pour l’après-2015, nommé par le secrétaire général, est relativement équilibré s’agissant de la dimension Nord-Sud et du genre (sinon en termes de représentativité démographique), la rédaction des principaux documents du groupe a été dominée par ceux qui étaient en mesure d’articuler des idées dans un langage familier à la communauté mondiale des praticiens du développement. La Brookings Institution de Washington et le siège du Programme des Nations unies pour le développement ont ainsi assumé en grande partie la rédaction du rapport du Groupe de personnalités de haut niveau, aux côtés d’universitaires d’Oxford, de l’Université de New York et de l’Institut Nord-Sud du Canada.

«Point de vue»

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Il reste à voir à quel point ces objectifs seront adaptables. Une fois qu’ils auront été formellement énoncés, il est peu probable qu’ils fassent l’objet de grandes modifications, tout comme les objectifs initiaux adoptés à l’issue du Sommet du Millénaire ont été conservés tels quels en dépit des critiques leur reprochant d’être trop étriqués, imposés d’en haut et simplistes. Si le maintien en l’état de ces objectifs leur donne une plus grande légitimité et renforce leur probabilité de se traduire en résultats, il ne favorise pas une adaptation flexible aux nouvelles exigences du développement mondial qui ne manqueront pas de survenir au cours des quinze prochaines années. De plus, aussi prometteuse soit-elle, la fusion du programme de viabilité environnementale et du programme de développement réunit deux communautés distinctes dont les priorités et les objectifs ne seront pas nécessairement complémentaires. 

La mesure dans laquelle les objectifs de l’après-2015 cibleront les besoins les plus fondamentaux en matière de développement au cours de la prochaine décennie déterminera leur efficacité, un élément-clé de leur légitimité finale en tant qu’objectifs. Tout à leur honneur, les Nations unies ont tenté d’appliquer de nouvelles méthodes de mobilisation dans la définition des objectifs de développement de l’après-2015. Il reste toutefois à voir dans quelle mesure l’ONU elle-même a la capacité institutionnelle de gérer cet effort dans la durée. 


©The Graduate Institute, Geneva
Cet article a été publié dans GlobeLien externe, la revue de l’Institut de hautes études internationales et du développement.

(Traduction de l’anglais: Julia Gallin)

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