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«La souffrance des Palestiniens s’appelle occupation»

«Chaque minute, pendant des jours entiers, nous entendons les explosions des bombes et des obus d’artillerie. C’est un enfer», témoigne Abu Akram, directeur de la Palestinian Medical Relief Society. afp

Tandis que les armes se sont momentanément tues à Gaza, la reconstruction reste un travail de Sisyphe La Suisse y contribue. Recueillis ces derniers jours en pleine offensive israélienne, quelques témoignages de la violence et des destructions qui pendant quatre semaines auront encore obscurci un quotidien déjà bien sombre.


«J’ai vécu différentes attaques en six ans, mais celle-ci est la pire. Elle est massive, prolongée et vicieuse, avec des femmes et des enfants pris pour cible», dénonce Maha Banna, une journaliste qui vit à Gaza. Elle relate qu’en plus des coupures d’eau et d’électricité et du manque de nourriture et de médicaments, la population a dû affronter quotidiennement des tirs d’artillerie et des bombardements aériens. En quatre semaines, le conflit a fait plus de 1850 morts palestiniens et 67 israéliens, selon les derniers bilans, livrés à quelques heures du début de la trêve qui commence ce mardi 5 août.

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Boucliers humains?

Israël accuse le Hamas d’utiliser la population civile comme bouclier en installant ses rampes de missiles au cœur des zones habitées. S’exprimant sur le service mondial de la BBC, Abner Gidron, conseiller politique d’Amnesty International à Londres, a indiqué qu’il n’existe pas de preuves suffisantes sur l’utilisation de boucliers humains par le Hamas. Toutefois, selon lui, il y a suffisamment d’informations montrant qu’il faut prendre ce problème au sérieux.

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Abner Gidron a cependant estimé qu’Israël ne peut pas, ni moralement ni légalement, ignorer qu’il y a des civils dans les zones bombardées. «Une violation grave du droit humanitaire international n’autorise pas l’autre partie de commettre une autre violation grave du dit droit», a-t-il déclaré à la BBC.

Surpris d’être encore en vie

«Beaucoup de gens arrivent à l’hôpital en état de choc. Ils sont surpris de savoir qu’ils sont encore en vie. Ils ont de la peine à y croire», raconte le docteur Yasser Abu Jamei, directeur du Gaza Community Mental Health ProgrammeLien externe, une organisation active dans la santé et les droits de l’homme, soutenue par la Direction suisse du développement et de la coopérationLien externe.

Ce médecin a perdu 28 membres de sa famille le 21 juillet dernier, lorsqu’un obus a touché la maison dans laquelle ils étaient réunis pour dîner, après une journée de jeûne du Ramadan. Mais même face à cette souffrance, Yasser Abu Jamei parvient encore à aider les autres. «Ce n’est pas facile, reconnaît-il. Mais nous devons surmonter cette situation pour notre santé mentale et parce qu’il est extrêmement important de fournir de l’aide en ces heures difficiles.»

A Gaza, les destructions sont massives. Reuters


La trêve après l’enfer

Un cessez-le-feu de 72 heures accepté par Israël et le Hamas est entré en vigueur mardi à 8h00 locales dans la bande de Gaza d’où l’armée israélienne s’est retirée. Dans les dernières minutes avant la trêve au 29ème jour de guerre, les deux ennemis se sont livrés à une démonstration de leurs forces respectives. Les combattants palestiniens ont lancé leurs roquettes vers une dizaine de villes israéliennes, tandis que l’aviation israélienne menait une série de raids contre plusieurs localités de la bande de Gaza, sans faire cette fois de victimes.

Au total, plus de 1850 Palestiniens ont été tués depuis le 8 juillet, selon les secours locaux. Côté israélien, 64 soldats et trois civils ont trouvé la mort.

Les belligérants vont entamer des négociations au Caire, avec des exigences difficilement conciliables. Si Israël veut le désarmement du Hamas, le mouvement palestinien réclame la levée du blocus qui étouffe l’économie d’un territoire de 41 kilomètres de long sur 12 de large au maximum, sur lequel s’entassent 1,8 millions de personnes.

(Source: AFP)

Frappes aveugles

«J’ai vu des images terribles, raconte Maha Banna. Je connais beaucoup de cas de personnes qui ont été tuées à l’intérieur de leur maison, comme cette femme enceinte qui était avec sa belle-mère et ses enfants dans son appartement. Ils ne faisaient rien de mal. Ils n’étaient pas dans la rue et ne résistaient pas. C’était des civils installés chez eux.»

La journaliste est à Gaza avec ses deux filles encore petites, son père, sa sœur, son frère et la famille de ce dernier. «C’est le cas pour beaucoup de gens. Chaque famille vit avec deux ou trois personnes de plus qui ont été évacuées», dit-elle.

«Les petites s’ennuient et sont effrayées, poursuit-elle. Ce sont les vacances et elles aimeraient aller à la plage.» Mais quelle mère peut oublier les quatre enfants tués par des tirs alors qu’ils jouaient près d’une cabane de pécheurs au bord de la mer? Pour la journaliste, il est clairement faux de dire que les attaques frappent la population civile «par erreur».

Jaber Wishah, directeur du Centre palestinien pour les droits de l’homme, est du même avis. «Avec la technologie à sa disposition, Israël ne peut pas manquer ses cibles», estime-t-il.

Défi humanitaire

«Les blessures des victimes prouvent l’utilisation de nouvelles armes qui détruisent totalement le tissu interne. Il est très difficile pour les médecins locaux de soigner ce type de lésions», précisent le sociologue Abu Akram et le docteur Aed Yaghi, directeurs de la Palestinian Medical Relief SocietyLien externe, partenaire de Medico International SuisseLien externe.

Nos interlocuteurs décrivent également l’angoisse des familles lorsque les Israéliens avertissent d’une attaque imminente. «La confusion est totale. Les gens courent sans savoir où aller. Beaucoup s’enfuient. D’autres trouvent refuge dans des maisons ou dans des écoles transformées en abris par l’Agence de l’ONULien externe pour l’Aide aux réfugiés palestiniens ou même des hôpitaux», décrit Jaber Wishah.

«Une femme a donné naissance à un enfant parmi une cinquantaine de personnes dans l’un de ces abris, poursuit-il. Il n’y a pas d’autre choix. Les gens n’ont nulle part où aller et finissent dans les écoles. Il n’y a pas de vie privée et les installations sanitaires sont insuffisantes.»

A l’entrée, d’une école gérée par les Nations unies, ces familles cherchent refuge. Mais plusieurs de ces écoles ont été bombardées par l’armées israélienne. Reuters

Que fait la Suisse?

A la demande de la Palestine, la Suisse est en train de mener des consultations pour la tenue d’une conférence avant la fin de l’année sur la protection des civils dans les Territoires occupés. Selon un communiqué publié le 30 juillet, Didier Burkhalter, chef de la diplomatie suisse, a répondu le 25 à la lettre de Mahmoud Abbas. Le président palestinien s’est adressé à la Suisse en tant qu’Etat dépositaire des Conventions de GenèveLien externe, visant à protéger les civils lors de situations de conflits. «Des consultations informelles, portant sur le principe d’une telle conférence, sont actuellement menées par la Suisse», indique le communiqué.

Par ailleurs, la Suisse s’engage depuis 1950 pour les réfugiés palestiniens au Proche-Orient, principalement par l’intermédiaire de l’ONU. Depuis 1994, la Direction du développement et de la coopération soutient également divers projets de développementLien externe sur place.

«Un énorme scandale»

«C’est un enfer, résume Abu Akram. Nous manquons de médicaments et de matériel médical. Nous avons besoin de tout, mais avant tout de la protection internationale contre l’agression continue d’Israël contre des gens innocents.»

Les (rares) moments de trêve ont permis de constater les dégâts. «Le cessez-le-feu du 26 juillet a révélé l’ampleur des destructions à Shijaeya, dans la banlieue de Gaza. Les maisons ont été rasées et à mesure que nous avancions, nous étions entourés par une odeur de mort indiquant qu’il y avait encore des corps en dessous des décombres», raconte Aed Yaghi.

«Le monde observe ce qui se passe sans y mettre un terme. C’est un énorme scandale», s’indigne Abu Akram. «Il est temps que la communauté internationale réagisse, renchérit Jaber Wishah. Que la Suisse, dépositaire des Conventions de Genève, convoque une conférence internationale sur les droits de l’homme.»

Et de poursuivre: «Le mot-clef de la souffrance des Palestiniens est l’occupation. C’est le nom de notre souffrance. La communauté internationale doit exercer une pression sur Israël pour faire cesser cette occupation, la plus longue de l’Histoire, et la dernière, j’espère…»

Traduction: Olivier Pauchard

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