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Une pluie de milliards! Vraiment, M. Berlusconi?

Silvio Berlusconi à Rome en juin 2011, lors d’une visite de la présidente de la Confédération de l’époque, Micheline Calmy-Rey. Keystone

Rembourser la taxe immobilière aux citoyens italiens et compenser les pertes par le biais d’un accord fiscal avec la Suisse. Avec cette proposition, Silvio Berlusconi est encore une fois parvenu à faire braquer les projecteurs sur lui. Mais l’idée risque de se heurter à la dure réalité des chiffres.

«Lors du premier Conseil des ministres, nous parlerons de la manière de compenser la restitution de la taxe immobilière payée par les citoyens sur leur première maison. Puis, dans les cinq ans, nous réduirons et éliminerons l’impôt régional sur les activités productives». A Milan, le dimanche 3 février, à trois semaines des élections législatives, l’ancien premier ministre a encore une fois réussi à surprendre. Ou plutôt à dire une énormité, comme du moins l’affirment la plupart de ses adversaires.

D’où viendra l’argent pour compenser les quatre milliards d’euros de la taxe immobilière à rembourser pour 2012? Et les quatre autres pour 2013? Et les 35 milliards de recettes de l’impôt régional sur les activités productives? «D’un accord avec la Suisse portant sur l’imposition des fonds détenus par des citoyens italiens dans ce pays. Cela correspond à une entrée de 25 à 30 milliards d’euros, puis à un flux annuel de 5 milliards», a expliqué Silvio Berlusconi.

Combien de capitaux italiens en Suisse?

Le Secrétariat d’Etat pour les questions financières internationales (SFI), chargé des négociations de ces accords fiscaux, préfère ne pas commenter les chiffres avancés par l’ancien Président du Conseil italien. Mais de nombreux milieux les qualifient de hasardeux, pour ne pas dire extravagants.

Cette «proposition choc», comme l’ont nommée quelques quotidiens de la Péninsule, serait probablement qualifiée en Angleterre de wishful thinking, un travestissement optimiste de la réalité.

Secret bancaire oblige, personne ne sait à combien se montent les capitaux italiens non déclarés déposés dans les banques suisses. On peut cependant faire des hypothèses. En 2009, à l’occasion du lancement du bouclier fiscal, les autorités fiscales italiennes avaient estimé que cette mesure permettrait de rapatrier en théorie presque 300 milliards d’euros, dont 125 en provenance de Suisse. Un an plus tard, la Banque d’Italie avait annoncé que le bouclier fiscal avait permis de récupérer environ 85 milliards, dont 60 depuis la Suisse.

Si ces données reflètent bien la réalité, il resterait donc encore quelque 70 milliards non déclarés dans les coffres suisses. Plus éventuellement quelques autres milliards cachés au fisc italien au cours des derniers mois.

En appliquant le taux de l’impôt libératoire prévu par l’accord fiscal entre la Suisse et l’Allemagne, qui se situe entre 21 et 41%, entre 14 et 28 milliards finiraient dans les caisses de l’Etat italien. A première vue, les chiffres avancés par Silvio Berlusconi ne sont donc pas si farfelus.

L’impôt libératoire (contenu dans des accords de double imposition) permet de régulariser l’argent au noir déposé en Suisse par des contribuables étrangers.

 
Concrètement, un pourcentage d’impôt est prélevé sur les avoirs déposés en Suisse et remis à l’Etat de domicile du détenteur du compte. Une fois cet impôt payé, le contribuable est «libéré» de ses obligations fiscales pour la somme concernée, d’où le nom d’impôt libératoire. Les revenus futurs (intérêts, dividendes…) produits par cet argent seront imposés à la source.
 
Avec l’impôt libératoire, l’anonymat des détenteurs de compte est respecté.
 
La Suisse a conclu ce genre d’accord avec la Grande-Bretagne et l’Autriche (entrés en vigueur au 1er janvier 2013).
 
L’Allemagne a finalement refusé cette solution, suite à l’opposition de la Chambre haute de son Parlement. La France n’y est pas non plus favorable. Des discussions ont lieu avec l’Italie et la Grèce.

Chiffres hasardeux

Le postulat de départ est cependant pour le moins hasardeux. Il présuppose que tous les capitaux italiens seront mis en règle et qu’il sera possible d’appliquer de tels taux. Mais pourquoi quelqu’un qui n’a pas rapatrié ses capitaux lorsque le bouclier fiscal, qui prévoyait le payement d’une taxe de 5%, était en vigueur, légaliserait-il cet argent maintenant, avec un taux nettement plus élevé?

«Nous n’avons pas encore discuté de la question du taux», précise Mario Tuor, porte-parole du SFI. Le monde bancaire suisse penche cependant pour un taux entre 10 et 15%. «Un taux autour de 10% serait supportable. Au-delà, la clientèle fuirait et l’Italie n’encaisserait rien du tout», a déclaré Franco Citterio, directeur de l’Association des banquiers tessinois, dans une interview accordée au Corriere del Ticino.

Mais en période de campagne électorale, la prudence n’est probablement pas la préoccupation première des candidats. En Allemagne, où l’on avait à un certain moment même parlé de 200 milliards d’euros déposés en Suisse, les autorités s’étaient montrées beaucoup plus prudentes.

Avant que la Chambre des Länder ne rejette l’accord en novembre dernier, le ministre des Finances Wolfgang Schäuble avait en effet déclaré que la somme totale versée pour la régularisation des avoirs cachés en Suisse représenterait environ 10 milliards d’euros. Et il s’agissait probablement déjà d’une estimation optimiste, afin de convaincre les Länder d’accepter l’accord. Les responsables de l’opposition avançaient plutôt des chiffres de l’ordre de 4 à 5 milliards.

La volonté de Silvio Berlusconi d’arriver le plus rapidement possible à un accord fiscal avec la Suisse contraste fortement avec l’attitude de son ancien ministre de l’Economie et des Finances Giulio Tremonti.

Durant son mandat, celui-ci s’est opposé à la conclusion d’un accord avec la Suisse. Récemment encore, il a affirmé être «en accord avec l’Union européenne, qui s’est toujours déclarée opposée à des accords fiscaux tels que celui que l’Italie voudrait faire avec la Suisse.»

Florilège de ses déclarations contre la place financière suisse:

«C’est un thème sérieux, qui va être traité de manière sérieuse, pas à la manière suisse.» (durant un débat au Conseil des ministres européens de l’Economie à propos de la taxation des intérêts sur l’épargne)

«Il y a davantage de sociétés de Cayman à Lugano que dans les îles Cayman.»

«La Suisse est comme la caverne d’Ali Baba.»

«L’argent déposé en Suisse? Il est mort. Le secret bancaire tombera en 2002.» (interview au Corriere della Sera en décembre 2001)

5 milliards supplémentaires par an?

Plus intéressant encore serait de savoir comment Silvio Berlusconi est arrivé à la somme de 5 milliards par an que l’Italie devrait encaisser au titre de l’impôt sur les rendements du capital (intérêts, dividendes…).

Dans les accords signés par la Suisse, le taux d’imposition correspond à celui qui est en vigueur dans les pays d’origine des détenteurs de capitaux. Pour le Royaume-Uni, par exemple, on applique un taux de 48% pour les intérêts et de 40% pour les dividendes. En Allemagne, le gouvernement avait pour sa part estimé les recettes annuelles à 750 millions d’euros.

Alors, d’où sortent ces 5 milliards pour l’Italie? Mystère. En théorie, pour arriver à un tel chiffre, les capitaux italiens en Suisse devraient rapporter au moins trois fois plus, car le taux d’imposition que l’Italie pratique sur les rendements financiers est nettement inférieur à ce qui se pratique en Allemagne et au Royaume-Uni. Le service de presse du Popolo della Libertà, le mouvement de Silvio Berlusconi, n’a pas répondu à nos sollicitations pour avoir des éclaircissements.

En partant de l’hypothèse que les capitaux italiens se montent à 100 milliards, le rendement annuel devrait donc être de 15%! Un rendement peut-être possible en achetant des titres d’obscures entreprises dans des pays à risque. Mais certainement pas avec les comptes bancaires normaux qui proposent actuellement, dans le meilleur des cas, des intérêts annuels de 1,5%.

Point mort

Quoi qu’il en soit, les discussions sur un éventuel accord entre la Suisse et l’Italie en sont pour l’heure au point mort. Après la démission de Mario Monti et l’annonce d’élections anticipées, «il était clair que le gouvernement italien ne pouvait plus prendre des décisions politiques et continuer des négociations formelles. Depuis, nous n’avons des contacts qu’avec des techniciens, afin d’éclaircir quelques questions et faire des analyses. Nous n’avons pour notre part pas de limite de date», indique Mario Tuor.

Et si Berne et Rome trouvent un terrain d’entente, l’accord devra encore être approuvé par leurs parlements respectifs. En Suisse, le texte pourrait être combattu par référendum. La Ligue des Tessinois a du reste déjà menacé de recourir à cette arme si l’impôt libératoire était trop élevé.

En somme, avant de voir l’argent de la Suisse, l’Italie pourrait bien devoir attendre au moins 4 ou 5 ans.

(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)

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