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Des corbeaux noirs après les moutons… et alors?

Keystone Archive

Des moutons blancs expulsant un mouton noir, et maintenant des corbeaux roumains et bulgares prêts à dévorer la Suisse en cas de «oui» à la libre circulation. L'UDC (droite conservatrice) cultive l'affiche-choc. Mais qui cela choque-t-il encore ?

L’affiche est apparue au passage de la nouvelle année. Trois corbeaux bien noirs, à la mine bien patibulaire s’apprêtent à fondre sur la petite Suisse, que deux d’entre eux attaquent déjà de leur bec crochu.

«Les corbeaux sont des rapaces, agressifs et voleurs, qui menacent l’existence des autres oiseaux. Et dans la mythologie, ils sont souvent associés aux sorcières», a commenté le président de l’UDC Toni Brunner en présentant la campagne à la veille de la St-Sylvestre.

Pour l’UDC, voter «oui» le 8 février à l’extension de la libre-circulation à la Roumanie et à la Bulgarie, c’est céder au «chantage» de l’Union européenne, tout en ouvrant la porte aux abus, à plus de chômage et de criminalité, à la baisse des salaires et à la ruine des institutions sociales.

Et pour bien enfoncer le clou, le vice-président du parti Yvan Perrin ajoute qu’il serait «totalement irresponsable» d’accorder la libre-circulation à deux pays qui sont «le tiers monde au sein de l’Europe».

Nous et les autres

Discours musclé, affiche pour le moins explicite: rien de bien nouveau en somme. Pour le politologue Oscar Mazzoleni, ces corbeaux sont tout à fait dans la lignée du mouton de 2007, de «cette stratégie de communication que développe l’UDC afin de rendre son discours tout à fait clair. Ils sont noirs, symboles du danger, de l’inconnu, du maléfique».

«Ce type de symbologie reflète la polarisation accrue des campagnes politiques dans laquelle nous sommes depuis quelques années sur les questions concernant l’Europe et les étrangers, poursuit le spécialiste de l’UDC. Cette dimension manichéenne des messages visuels est un reflet d’une tendance présente plus généralement dans le système politique suisse».

Un mode de communication qui n’est d’ailleurs pas propre à la droite nationaliste, mais qui serait plutôt «dans l’air du temps».

«Le principe est d’avoir un message en rupture, visible, démarqué des adversaires, ajoute Oscar Mazzoleni. Et la meilleure manière de le faire est d’avoir un langage de provocation, comme le fait l’UDC. Mais pas seulement elle».

Agressifs, mais plus discrets

Directeur de l’agence de communication Saatchi & Saatchi Simko, récemment rentré à Genève après plusieurs années d’activité à Zurich, Philippe Meyer trouve quant à lui cette affiche «agressive».

«Tout le monde a encore les moutons en tête, et pour moi, celle-ci part un peu dans le même registre», confirme le publicitaire.

Malgré cela, cette nouvelle affiche fait pour l’instant moins de bruit que celle des trois moutons blancs expulsant un mouton noir, utilisée par l’UDC pour les élections fédérales de 2007, et qui avait valu à la Suisse des demandes d’explications de la part de deux rapporteurs spéciaux des Nations Unies.

Les corbeaux seraient-ils plus discrets que les moutons, sur les murs comme dans les colonnes des journaux ? Faute de chiffres, impossible de comparer l’ampleur des deux campagnes. Mais au secrétariat de l’UDC, Alain Hauert confirme que celle des moutons aura duré bien plus longtemps que celle des corbeaux, entamée juste cinq semaines avant la votation.

«Ces campagnes ne sont pas financées par le budget normal du parti, nous organisons des collectes de fonds, ajoute le porte-parole. Le nombre d’affiches dépendra donc de l’argent que nous récolterons, mais je peux vous confirmer que la campagne a bien démarré».

Peur du chômage

Une campagne qui se décline dans les trois langues nationales, même si les francophones ont droit également à une autre image: une croix suisse percée d’une petite porte où s’engouffrent des flots de migrants, avec le slogan «sauvegardons nos places de travail !»

«Nous n’avons aucun problème avec les corbeaux et nous adhérons à cette campagne, tient à préciser Claude-Alain Voiblet, porte-parole romand de l’UDC. Mais nous voulions aussi travailler sur cet élément économique, d’où cette affiche avec la croix, qui soit dit en passant pourrait très bien émaner des milieux de gauche…»

Tout passe, tout lasse ?

Alors, ces corbeaux, une nouvelle provocation qui tombe à plat ? Pour Philippe Meyer, ce style agressif «passe» peut-être mieux en Suisse alémanique, où le débat politique est plus vif et où l’UDC «peut se permettre d’aller plus loin».

Reste que les gens pourraient finir par s’habituer à ce style de messages, qui perdrait à la longue de son impact.

«Il est vrai que nous les publicitaires, nous essayons de créer des styles de communication et des concepts qui soient valables sur le long terme, explique le patron de Saatchi. Mais il arrive aussi un moment où il faut changer, passer à autre chose. Et ce qui en décide, ce sont les résultats.»

Oscar Mazzoleni, lui, ne voit guère de changements à l’horizon, le style de communication de l’UDC n’étant finalement que le reflet de changements profonds qui se produisent dans les systèmes politique et médiatique suisses. Des changements qui poussent vers une compétition et une polarisation accrues de la vie politique.

«Est-ce que les Suisses vont se lasser de cette forme de polarisation pour revenir à une forme de démocratie consensuelle ? Je ne sais pas, admet le politologue. Ce que fait l’UDC, ce n’est finalement que de radicaliser une logique de la spectacularisation qui n’est pas nouvelle, mais qui se répand de manière plus intense depuis quelques années.»

swissinfo, Marc-André Miserez

Empathie. «Un non-sens zoologique», titrait News au lendemain de la présentation de l’affiche des corbeaux. Ce sont des animaux sociaux, capables d’empathie avec leurs semblables et même de collaborer avec d’autres espèces.

Des faits. Ces corvidés se distinguent par leur faculté d’adaptation, relevait le gratuit alémanique. Et de souligner que les stratèges de l’UDC n’auraient pas dû ignorer ces faits, développés dans un grand article de l’hebdomadaire Weltwoche, d’ordinaire bien disposé à l’égard du parti nationaliste.

Sagesse. Sur swissinfo également, un lecteur canadien faisait récemment remarquer que, traditionnellement, dans les contes et les légendes, le corbeau est un messager de la sagesse.

Défense. En choisissant le corbeau, l’UDC s’est mise à dos les défenseurs des oiseaux. Le 9 janvier, leur association nationale s’est fendue d’un communiqué pour défendre les volatiles qui ne sont ni agressifs, ni rusés, mais au contraire intelligents, joueurs, fidèles et même casaniers. «On ne verra donc pas de corbeaux roumains ou bulgares venir en Suisse», précise Werner Müller, directeur de l’ASPO, soucieux d’éviter que les corbeaux n’aient à souffrir de préjugés.

Détournements. Et comme les moutons en 2007, les oiseaux noirs sont déjà l’objet de détournements d’image qui les rendent plus sympathiques. En Suisse alémanique, le Parti radical (droite) publie une annonce où un corbeau fait un clin d’œil en démontant un à un les arguments de l’UDC.

L’accord bilatéral sur la libre circulation des personnes avec les 15 premiers Etats membres de l’UE est entré en vigueur le 1er juin 2002. En septembre 2005, le peuple suisse a accepté son extension aux 10 pays qui ont adhéré à l’Union en 2004.

L’accord est limité à 2009. Alors que l’Union le prolongera tacitement, il est soumis au référendum facultatif en Suisse. Parallèlement, la Suisse doit aussi se prononcer sur son extension aux deux nouveaux membres de l’UE, la Roumanie et la Bulgarie.

Le Parlement ayant décidé de lier les deux objets en un «paquet» unique, les citoyens sont appelés le 8 février à se prononcer sur les deux objets.

L’UDC – favorable à la reconduction de la libre circulation malgré sa ligne anti-européenne – est opposée à son extension à la Roumanie et à la Bulgarie. C’est son mouvement de jeunesse, allié à de petites formations de droite, qui a lancé le référendum. Le parti a fini par s’y rallier et dénonce un «paquet antidémocratique».

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