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AfD: un pays apprend à gérer le populisme de droite

Dans le Land de Saxe-Anhalt, l'AfD a récolté presque un quart des voix et devient la deuxième force politique. Keystone

Le succès de l’«Alternative für Deutschland» (AfD) aux élections législatives dans trois Länder allemands fait des vagues: le parti est-il anticonstitutionnel? Extrémiste de droite? «Ne tombons pas dans l’alarmisme», avertit un politologue. D’autres pays savent gérer de manière plus «décontractée» leurs «populistes de droite», comme la Suisse avec l’UDC.

15,1% dans le Bade-Wurtemberg, 12,6% en Rhénanie-Palatinat, et même 24,3% en Saxe-Anhalt. Il n’est pas surprenant que l’AfD ait réussi, dimanche, à percer dans trois parlements régionaux allemands de plus. Les élections étaient considérées comme un test pour la politique d’Angela Merkel sur les réfugiés, et le nouveau parti a très bien su exploiter ce thème, obtenant même des scores nettement au-dessus des pronostics. 

«Alternative für Deutschland»

Fondée en février 2013, l’«Alternative für Deutschland» (AfD) s’est fait un nom en revendiquant la dissolution de la zone euro et le retour au mark allemand. Alors que les paquets de mesures pour sauver l’euro affaibli se multiplient, le parti obtient la même année déjà 4,6% des suffrages aux élections fédérales allemandes, et échoue donc de peu à faire son entrée au Bundestag (un quorum de 5% étant requis). D’abord considéré comme positionné entre libéralisme économique et nationalisme conservateur, l’AfD est aujourd’hui généralement taxée de populiste, voire d’extrémiste de droite par les experts. Depuis un changement de direction, le parti mise principalement sur les thèmes de l’asile et de la migration. Il exige une limitation à l’accueil des réfugiés, veut réintroduire les contrôles aux frontières et supprimer le regroupement familial. Parmi ses autres revendications figurent la limitation des compétences de l’Etat fédéral, davantage de démocratie directe ou encore la suppression du salaire minimal en vigueur en Allemagne.

L’AfD est désormais représentée dans la moitié des parlements régionaux. Avant sa percée dans le Bade-Wurtemberg, en Rhénanie-Palatinat et en Saxe-Anhalt, elle avait déjà des députés dans les Länder de Saxe, de Brandebourg, de Thuringe, de Hambourg et de Brême. 

L’AfD est désormais représentée dans la moitié des parlements des Länder, au grand dam des partis concurrents. Pendant la campagne, ceux-ci ont pourtant tout fait pour exclure l’ambitieux nouveau venu du champ démocratique. Ainsi, Winfried Kretschmann, ministre-président du Bade-Wurtemberg et un des vainqueurs de ce dimanche mémorable, a qualifié publiquement l’AfD «d’extrémiste de droite». Le parti social-démocrate SPD et les Verts ont quant à eux refusé de participer à des débats télévisés, si les représentants de l’AfD étaient aussi invités. Et la télévision s’est inclinée.  

Et lorsque la présidente de l’AfD Frauke Petry affirma qu’en cas d’urgence, la frontière allemande devait aussi être défendue par les armes contre les entrées illégales, le vice-chancelier Sigmar Gabriel exigea de faire surveiller le parti par l’Office fédéral de protection de la constitution. Soit d’examiner s’il y avait lieu d’interdire l’AfD.

Crispations

Cela peut paraître extrême. D’autant que les partis définis comme «populistes de droite» se trouvent dans presque tous les pays européens. En Pologne, le président provient des rangs des populistes catholiques nationalistes. En France, le nouveau Front National, aux apparences un peu plus avenantes, recueille les suffrages d’un quart de la population. Sans oublier le FPÖ en Autriche, les «Vrais Finlandais», le premier ministre Viktor Orbàn en Hongrie, etc.

On pourrait donc dire que si l’AfD réussit à s’imposer, le paysage politique allemand deviendrait plus européen. C’est en effet une particularité de la République fédérale d’Allemagne que jusqu’ici, aucun parti situé à droite de la CDU/CSU n’ait réussi à s’y établir.

En Suisse aussi existe un parti qualifié de populiste de droite par les commentateurs internationaux, et c’est lui qui réunit le plus de suffrages au niveau fédéral. De nombreuses voix s’élèvent pour reprocher à l’UDC de saper l’Etat de droit; ses affiches aux moutons favorisent les amalgames et la stigmatisation des étrangers. Mais personne n’a jusqu’ici proposé sérieusement une interdiction de l’UDC.

Pourquoi alors ces violentes réactions? L’AfD est-elle vraiment aussi extrémiste? Ou les Suisses sont-ils aveugles à l’extrémisme de droite?

«Les autres pays sont plus décontractés lorsqu’il s’agit d’accepter ce genre de partis comme vainqueurs d’élections libres», confirme le politologue Lothar Probst, de Brême. Exiger l’interdiction de l’AfD relève de l’alarmisme, estime-t-il: «Il est pratiquement inimaginable que l’Office de protection de la constitution trouve seulement des indices qui permettent de lancer la procédure nécessaire». 70 ans après la Seconde Guerre mondiale, la démocratie allemande est suffisamment solide pour pouvoir supporter l’AfD, selon lui.

Les leçons de l’histoire

Le fait qu’elle peine pourtant à l’accepter est sûrement lié au poids de son histoire: «On veut éviter à tout prix un système politique fragmenté, tel qu’il existait dans la République de Weimar, où il a favorisé la prise de pouvoir par le Parti national-socialiste», explique le politologue Andreas Ladner de l’Université de Lausanne. Cela se traduit par une forte réglementation: les partis allemands sont des organes constitutionnels et bénéficient en tant que tels d’une protection particulière. Mais en contrepartie, ils s’engagent à respecter la démocratie à l’intérieur du parti et à rendre des comptes sur leurs finances. Selon ce concept, l’interdiction des partis qui combattraient l’ordre libéral démocratique fondamental a une connotation positive. Elle doit servir de moyen de prévention. En Suisse par contre, interdire une organisation est plutôt mal vu.

Mais il y a des raisons bien plus terre à terre pour lesquelles les autres partis appréhendent l’ascension de l’AfD, ajoute Lothar Probst: «L’AfD est un nouveau concurrent qui leur prend des voix». Et dans le système allemand où les partis sont subventionnés par l’Etat, moins de voix veut aussi dire moins d’argent. En 2014 par exemple, les deux grandes formations nationales que sont le SPD et la CDU ont touché chacune presque 50 millions d’euros d’argent public.

Rien de tel en Suisse, où les partis sont considérés comme de simples associations et ne touchent pas un centime de l’Etat. «Ce qui signifie aussi qu’ils sont dispensés de publier leurs comptes et de se soumettre à des règles légales sur la démocratie interne», précise Andreas Ladner.

AfD et UDC: parents, mais différents

On le voit: l’AfD et l’UDC ne se battent pas dans le même type d’arène. Mais leurs programmes n’en présentent pas moins des parallèles indéniables: une ligne dure sur la politique migratoire, le renforcement de la souveraineté nationale, et la méfiance face aux élites. Des traits que l’on retrouve chez la plupart des partis de la droite populiste européenne, par ailleurs très différents les uns des autres. AfD et UDC sont en outre tous deux partisans du libéralisme économique. Ainsi, l’AfD s’oppose au salaire minimal en vigueur en Allemagne. «Les deux partis manquent totalement de fibre sociale», constate Andreas Ladner. Selon lui, cet aspect les différencie de la majorité des autres partis populistes de droite, qui tendent au protectionnisme (comme le Front National en France) ou qui promettent à leurs électeurs des cadeaux de l’Etat (comme le FPÖ en Autriche).

La différence la plus évidente entre l’AfD et l’UDC réside dans leur ancrage respectif dans les communes. L’AfD vient de fêter son troisième anniversaire, tandis que l’UDC est un parti dont le mouvement précurseur a déjà envoyé un ministre à Berne en 1929, et qui assume des responsabilités exécutives au niveau régional depuis bientôt 100 ans. Elle s’y montre d’ailleurs plus conciliante que d’aucuns aiment à le penser, même lorsqu’il s’agit des thèmes sur lesquels elle se bat au niveau national avec des messages aussi carrés que musclés. Ainsi, quand il s’agit d’ouvrir quelque part un centre pour requérants d’asile, la ligne de démarcation entre «empêcher» et «participer» divise facilement l’UDC. «Au niveau communal, on ne peut pas faire de politique de cette manière», reprochent les plus modérés aux plus radicaux. «Il est important de toujours avoir à l’esprit à quel point l’UDC est hétérogène», rappelle Andreas Ladner. 

(Traduction de l’allemand: Barbara Knopf)

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