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La Suisse veut expulser les étrangers criminels

La cour de la prison de l’aéroport de Zurich, antichambre de l’expulsion. Keystone

Sans surprise, le peuple et les cantons suisses ont accepté ce dimanche l’initiative de la droite conservatrice pour le renvoi des étrangers criminels et refusé son contre-projet. Refusée également l’initiative socialiste dite «pour des impôts équitables».

Si l’initiative acceptée ce week-end est un jour traduite dans la loi, les criminels étrangers seront systématiquement renvoyés pour certains délits. La campagne avec les affiches des moutons noirs et les millions dépensés par l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) ont porté leurs fruits.

Pour sa première votation en tant que membre du gouvernement, Simonetta Sommaruga encaisse une défaite. La socialiste avait prôné le soutien au contre-projet. «Je respecte la volonté du peuple et vais exécuter le mandat qui m’a été confié», a déclaré dimanche soir la ministre de Justice et Police.

Le gouvernement va chercher à mettre en œuvre l’initiative de l’UDC sans enfreindre le droit international et la constitution, dans la mesure du possible. Un groupe de travail comprenant les initiants sera nommé avant Noël, a annoncé Simonetta Sommaruga.

Pour elle, le résultat du scrutin est l’expression d’inquiétudes et de peurs qu’il faut prendre au sérieux. Mais à part les mesures répressives, il faut aussi miser sur la politique d’intégration. «La grande majorité des étrangers vivant en Suisse ne sont pas criminels et sont bien intégrés», a-t-elle insisté.

Bruxelles prend acte

A Bruxelles, faute de réaction officielle, on souligne que le résultat de la votation remet en question des accords bilatéraux et internationaux. Pour les représentants de l’Union européenne (UE) interrogés par l’Agence télégraphique suisse sur place, «trop de démocratie peut conduire la population suisse à se garder les meilleurs morceaux».

En mettant aux voix cette initiative, la Suisse a mis en danger en connaissance de cause ses engagements envers l’UE, a déclaré un observateur à Bruxelles. Berne n’est dès lors plus un partenaire digne de confiance pour l’UE. Ce qui va conduire Bruxelles à hausser le ton dans les négociations, selon ce proche du dossier.

De son côté Michael Reiterer, ambassadeur de l’UE en Suisse, prend acte que «le peuple suisse a accepté l’initiative pour le renvoi». Et attend maintenant une mise en œuvre par les autorités suisses de ce texte, qui seront obligées de concilier l’initiative et les accords passés avec l’UE.

L’ambassadeur renvoie à la libre circulation des personnes. Selon les prescriptions européennes, un délit passible d’une peine ne suffit pas à lui seul à renvoyer un citoyen de l’UE. Il faut que la personne concernée constitue une menace pour la sécurité publique du pays où il se trouve. De plus, chaque cas doit être traité de manière individuelle.

Regrets et colère

Dans le pays, l’acceptation de l’initiative suscite regrets et colère: partis, associations, Eglises demandent une mise en œuvre du texte conforme aux droits humains. Les vainqueurs, de leur côté, n’entendent faire aucune concession à un an des élections fédérales.

Pour le député UDC zurichois Ulrich Schlüer, l’heure n’est pas à la relativisation. Les délits lourds doivent automatiquement conduire à une expulsion, a-t-il dit sur les ondes de la radio alémaniques SR. Dans le cas d’infractions mineures, la loi doit également répondre à la volonté populaire. La bataille et le travail ne font que commencer, a ajouté le Zurichois.

Cette rhétorique n’est destinée qu’à servir les intérêts électoralistes du parti conservateur, fustigent les Verts. «Le contre-projet tant vanté par le centre n’a malheureusement pas fait barrage à l’initiative. Bien au contraire, il a amené de l’eau au moulin des initiants», relève le parti écologiste, qui prônait le double non. Pour Christian Levrat, président du PS, les partis du centre n’ont pas su expliquer à leur base pourquoi ils devaient préférer leur projet à l’initiative.

Une critique que rejette le comité bourgeois en faveur du contre- projet. Pour la députée libérale-radicale bernoise Christa Markwalder, la victoire de l’initiative s’explique essentiellement par la position du PS, qui en recommandant le double non a enlevé toute chance au contre-projet et s’est fait ainsi l’«assistant de l’UDC».

Röstigraben

Comme cela arrive souvent, cette votation a coupé la Suisse en deux. La quasi-totalité des cantons alémaniques ont accepté l’initiative tout en rejetant le contre-projet. C’est le cas aussi du Valais, qui a dit oui de justesse au texte de l’UDC (51,8%) et non de justesse également (51,7%) au contre-projet.

L’initiative a engrangé ses meilleurs résultats à Schwyz (66,3%), Appenzell Rhodes-Intérieures (65,7%) ainsi qu’à Uri et au Tessin (61,3%).

En Suisse romande, le double rejet, prôné par la gauche, est dominant. Le canton de Vaud a refusé l’initiative par 58,2% et le contre-projet par 57,4%. Idem pour Genève (55,7%/56,4%), le Jura (57,3%/54,3%), Fribourg (51,4%/52,4%) et Neuchâtel (56%/53,1%). Bâle-Ville (56,6%/52,1%) est le seul canton alémanique se rangeant dans le camp du double non.

Echec socialiste

Donnée gagnante dans de premiers sondages, l’initiative populaire socialiste «pour des impôts équitables» a de son côté essuyé un refus clair, avec 58,9% de non. Assortie de menaces d’une hausse généralisée des impôts, la coûteuse campagne orchestrée par les milieux économiques a fait mouche.

Dimanche soir, la nouvelle ministre des Finances Eveline Widmer-Schlumpf avait le sourire. Pour la Grisonne, le refus de l’initiative est un «oui à notre système fédéraliste fiscal». Les inégalités doivent être aplanies par le biais de la péréquation financière, selon elle.

Les résultats ont parfois été cinglants, en particulier dans les paradis fiscaux de Suisse centrale qui auraient dû réviser leurs barèmes à la hausse. La palme revient à Nidwald, avec 79,9% de non.

Seuls quatre cantons ont appuyé l’initiative. Les Jurassiens se sont montrés les plus convaincus, avec 59,1% de oui. Dans le camp des partisans également: Bâle-Ville (58,7%), Neuchâtel (57%) et Genève, de justesse (50,7%).

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Initiative populaire

Ce contenu a été publié sur L’initiative populaire permet à des citoyens de proposer une modification de la Constitution. Pour être valable, elle doit être signée par 100’000 citoyens dans un délai de 18 mois. Le Parlement peut directement accepter l’initiative. Il peut aussi la refuser ou lui opposer un contre-projet. Dans tous les cas, un vote populaire a lieu. L’adoption…

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Six victoires. Ce dimanche 28 novembre 2010 marque la sixième votation depuis le début de la précédente législature (2004) que le parti de la droite conservatrice remporte contre les autres formations gouvernementales. Les cinq précédentes:
2009. Initiative contre la construction des minarets.
2008. Initiative contre l’imprescriptibilité des actes de pornographie enfantine.
2004. Référendums contre la naturalisation facilitée de la deuxième génération d’étrangers et la naturalisation de la troisième génération.
2004. Initiative pour l’internement à vie des délinquants dangereux.

Dix défaites. Dans le même temps, l’UDC a perdu dix votations où elle avait pris une position opposée à celle des autres partis gouvernementaux.

Les Suisses de l’étranger – du moins ceux de huit cantons où leurs voix sont décomptées séparément – se sont montrés nettement moins convaincus par l’initiative de l’UDC que les Suisses de l’intérieur.

C’est à Appenzell Rhodes-Intérieures que la différence est la plus frappante. Seuls 39,3% des expatriés ont accepté l’initiative sur le renvoi, contre 65,7% des habitants du canton et 52,9% des Suisses dans l’ensemble du pays. Les Suisses de l’étranger d’Argovie, de Bâle-Ville, de Lucerne, de Saint-Gall et de Thurgovie ont également voté à contre-courant des majorités de oui enregistrées dans «leurs» cantons. Les expatriés vaudois et genevois refusent également le texte de l’UDC, cette fois-ci en accord avec les votants résidant dans les deux cantons.

Par ailleurs, dans sept des huit cantons considérés, les expatriés ont accepté le contre-projet à l’initiative, avec des scores de 59% et plus. Seul Genève refuse avec un petit 50,3%. Dans le pays par contre, le texte du gouvernement et du parlement a été refusé dans tous les cantons.

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