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Les Allemands quittent la Suisse? Pas tant que ça…

Un petit air d'Oktoberfest à Zurich. Keystone

Le nombre d’Allemands retournant au pays après quelques années en Suisse augmente. Des programmes spéciaux mis sur pied en Allemagne tentent d’appâter les émigrés pour les faire revenir. Mais malgré cela, le nombre de nouvelles arrivées en Suisse dépasse toujours celui des départs.

Il y a des saucisses, de la bière et des bretzels. Cela ressemble à une «Oktoberfest», la fête bavaroise typique, mais nous sommes à Zurich, dans le chic restaurant de la confrérie «Zur Meisen». C’est ici qu’une organisation invite les Allemands émigrés à venir écouter la conférence «Return to Bavaria».

Cette incitation au «retour en Bavière» est tout à fait sérieuse. Les conférences ont lieu dans le monde entier. «Nous avons urgemment besoin de vous», explique la directrice du projet à Zurich, Monika Wilhelm, à l’intention des personnes présentes. «Toutes les ressources sont importantes.»

L’objectif est de ramener au bercail les éléments les plus doués, mais sans appât financier. En revanche, des conseils de carrière et une aide au retour sont proposés.

«Ce qui me plaît, c’est l’honnêteté avec laquelle on nous parle», note, après la conférence, un Bavarois de 52 ans travaillant dans la branche des conseils. «Je suis venu par curiosité, car je n’ai pas l’intention de quitter la Suisse.»

Les universitaires aussi

Le programme du ministère bavarois pour l’économie, l’infrastructure, les transports et la technologie est mené par l’organisation «German Scholars» (GSO). Cette dernière se targue de dix ans d’expérience pour faire revenir au pays les universitaires ayant émigré.

«Enormément d’universitaires désirent revenir au pays», explique Sabine Jung, de GSO. Jusqu’ici, l’organisation a recruté à l’étranger du personnel académique pour les universités allemandes. Des professeurs qui travaillaient en Suisse ont décidé d’accepter des offres lucratives dans leur pays. Le programme «Return to Bavaria» se concentre expressément sur l’économie.

A fin août 2013, 290’514 Allemands vivaient en Suisse. Ils forment ainsi 15,6% de tous les étrangers du pays.

Après les Italiens (299’002 personnes), les ressortissants allemands représentent aussi le deuxième groupe d’étrangers en Suisse.

Au total,1’864’699 personnes n’ayant pas le passeport à croix blanche vivent en Suisse, soit 23,2% de la population.

En 2008, année où la crise mondiale a éclaté, le nombre d’Allemands venant s’installer a atteint un pic, passant, avec 31’463 personnes supplémentaires, à 233’352 personnes. En 2012, le «solde» entre départs et arrivées d’Allemands a été de 9717 personnes.

(Source: Office fédéral des migrations, service statistique)

Les chiffres

Mais, malgré tous ces programmes, l’attractivité de la Suisse semble rester intacte. Dans les faits, celles et ceux qui viennent s’installer (27’123 personnes en 2012) sont encore plus nombreux que celles et ceux qui en repartent (16’123). L’année en cours montre la même évolution.

Il n’en demeure pas moins que l’arrivée des Allemands en Suisse subit un ralentissement. En 2008, plus de 30’000 Allemands sont venus s’installer en Suisse, suscitant aussi des sentiments antiallemands dans la population alémanique. Certains Suisses craignaient pour leur travail.

Pour Katja Rost, professeure de sociologie à l’Université de Zurich, elle-même ressortissante allemande, le nombre de plus en plus grand de personnes retournant en Allemagne est lié au phénomène, nouveau, de la migration hautement qualifiée. Tous les secteurs recourant à des travailleurs hautement qualifiés sont concernés.

La sociologue, qui s’occupe de systèmes d’incitations, doute que les programmes au retour aient une grande efficacité. «Les gens que l’Allemagne essaye de convaincre de revenir sont sollicités sur le plan international. Ces personnes ne dépendant pas de l’Allemagne pour trouver un travail. Tous les pays connaissent ce problème, y compris la Suisse.»

Pas un drame

«Aucun de nos membres ne prévoit de retourner en Allemagne. Ils sont très bien intégrés», indique Michael Gniffke, de «Maison allemande», l’association des Allemands en Suisse.

Pour Fritz Burkhalter du «Swiss German Club» également, le phénomène du retour est une «fluctuation normale». De plus, le marché du travail traverse une embellie, en Allemagne. «On ne devrait pas dramatiser», ajoute-t-il.

Selon une expertise récente d’un conseil des fondations allemandes pour l’intégration et la migration, l’Allemagne a vu, «ces deux dernières années, un renversement de tendance. Son bilan migratoire partiellement négatif affiche désormais un faible taux de départs, surtout de spécialistes. L’Allemagne est redevenue un pays de destination pour l’émigration, attirant de plus en plus de travailleurs qualifiés également.»

«Les dernières réformes ont fait de l’Allemagne un des pays qui ont le moins de restrictions pour l’immigration de personnes hautement qualifiées, mais le nombre de nouveaux venus reste relativement faible», nuance l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans son rapport «Immigration des forces de travail étrangères: l’Allemagne, 2013».

Selon le rapport, l’Allemagne manque de personnel dans les professions techniques, de même que dans le secteur de la santé et des soignants. Selon Monika Wilhelm, les maîtres artisans sont également très demandés.

La Suisse a également un intérêt à ce que ses universitaires partis se former à l’étranger reviennent au pays. Le travail des chasseurs de têtes académiques devrait être renforcé.

Un projet-pilote doit être présenté en novembre au conseil de recherche du Fonds national de la recherche scientifique.

Une affaire privée

Si les raisons de l’émigration sont le plus souvent professionnelles, et si, dans beaucoup de domaines, l’expérience à l’étranger est requise, on a aussi observé que, dans la plupart des cas de retours au pays, ce sont des raisons privées qui dominent, selon Monika Wilhelm. «La proximité des proches, peut-être une maison que l’on hérite: ce sont des raisons qui poussent à rentrer.» Et dans ces cas-là, précise-t-elle, un salaire inférieur n’est pas un obstacle.

Mais pour certains, la question de l’intégration en Suisse pourrait aussi être un argument, soulignent plusieurs observateurs. «Je peux bien m’imaginer que les nouveaux arrivants relativisent, au fur et à mesure de leur expérience personnelle, l’image d’une Suisse paradisiaque», estime Michael Gniffke. «Peut-être certains ressentent-ils un besoin de retourner aux sources, de se sentir un peu plus acceptés, parce qu’ils ne sont pas encore complètement intégrés.»

Au Swiss German Club, on souligne encore que de «nombreux Allemands ne se sentent pas bien en Suisse, explique Fritz Burkhalter. Il y a des gens qui ne trouvent pas d’accès vers les Suisses. Cela s’explique aussi par les différentes mentalités, ce n’est pas seulement la langue.»

La Süddeutsche Zeitung estime de son côté que les différences de mentalité ne sont pas une explication suffisante. Il y a en a aussi entre Regensburg et Rostock, a écrit le journal. «Il est plus probable, poursuit-il, que les émigrés comprennent que la Suisse n’est pas un paradis fiscal et que c’est aussi un pays assez cher.»

Mais la majorité semble se plaire. Comme l’a résumé un informaticien lors de la soirée «Return to Bavaria», «j’ai réussi à passer de Bavière en Suisse, pourquoi est-ce que je repartirais?»

La forte implantation d’Allemands en Suisse dès 2008 a nourri de nombreux ressentiments en Suisse alémanique, nourris en partie par certains médias et des partis qui y ont vu un potentiel électoral. Des campagnes sur les craintes des Suisses pour leurs emplois ont été menées à plusieurs reprises.

La question des «différences» et des «ressemblances» entre Allemands et Alémaniques fait également régulièrement débat.

Les critiques – acerbes – émises en septembre dernier par un journaliste allemand ayant décidé de retourner en Allemagne après plusieurs années à Zurich ont aussi déclenché une vague d’indignation.

Pour les personnes interviewées par swissinfo.ch, qui sont tous des «émigrés» allemands, ce «german bashing» n’existe pas. Selon elles, il s’agit d’une «hystérie médiatique» et d’un «mythe».

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