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‘Au-delà des frontières’, la folie de la guerre

'Oltre il confine', une guerre, toutes les guerres... SP

Présenté à Locarno en compétition, «Oltre il confine» du réalisateur suisse Rolando Colla est un film fort. Douloureusement.

Comment parler de la guerre, et surtout des séquelles qu’elle laisse, sans tomber dans les poncifs?

Si le réalisateur Rolando Colla, né à Schaffhouse en 1957, s’est permis quelques facilités en matière de scénario, il a par contre opté pour une tonalité sobre, sans pathos, ni lyrisme. Une approche rendue forte par les témoignages qu’il a préalablement pris le temps d’écouter.

Nous sommes à Turin, en Italie, en 1993. Le père d’Agnese, interprétée par Anna Galiena, est en train de s’éteindre dans un home pour vétérans de guerre.

Une nuit, parce qu’elle n’est pas là, c’est Reuf (Senad Basic), un «sans-papier» bosniaque, qui va dépanner le médecin traitant en veillant le vieil homme.

Mal lui en prend: les autorités militaires qui gèrent cette triste maison de retraite vont malencontreusement lui tomber dessus et s’empresser de l’enfermer.

Agnese s’en veut d’avoir involontairement mis Reuf dans cette situation. La mort de son père et l’évasion de Reuf, vont rapprocher ces deux êtres qui a priori n’avaient rien à faire ensemble.

Et Agnese, à la beauté jusque-là plutôt égocentrique, va soudain être plongée – ou plutôt se plonger délibérément – dans l’horreur humaine, qui, de l’autre côté de l’Adriatique, déchire la Yougoslavie.

Bienvenue dans l’Europe moderne

Reuf, illégal en Italie, se cache chez Agnese. Avec lui, nous (re)voyons des images d’actualité, dures et sanglantes. Mais cette fois-ci sans zapper, car c’est avec ses yeux de Bosniaque que nous les observons. Elles prennent alors un autre relief.

Puis nous accompagnons Agnese en Bosnie, car elle a accepté d’aller chercher là-bas la fille cadette de Reuf, perdue dans un hôpital déglingué. Voyage en Absurdie, entre casques bleus, rafales de fusils automatiques et maisons en ruine.

Pays dévasté comme est dévastée l’âme de Reuf, qui, de son côté, fuit l’Italie et tente de se réfugier en Suisse.

Mais là, à Chiasso, le formalisme administratif l’attend. Pour mieux le renvoyer de l’autre côté de la frontière. Chiasso, à deux pas de Locarno, où nous sommes. Un malaise nous saisit alors.

Toutes les guerres

C’est sa mauvaise conscience et son affection pour Reuf qui ont amené Agnese en Bosnie. Mais pas seulement.

Elle est aussi «portée» par ses propres souvenirs familiaux, la Seconde Guerre mondiale qui déséquilibra son père et éloigna celui-ci psychologiquement d’elle, à tout jamais.

Ce sont les fissures, ou plutôt les failles béantes laissées par la guerre que Rolando Colla évoque. Et cet horrible, cet insupportable chassé-croisé des familles éclatées par l’imbécillité des hommes, ceux qui tuent, mais aussi ceux qui verrouillent sans nuances les frontières.

La famille de Reuf a été fracassée par le conflit bosniaque. Celle d’Agnese par la Seconde Guerre mondiale.

Et j’ai toujours en tête cet ami vietnamien me racontant un soir, dans l’obscurité: «Nous étions avec mes parents dans une colonne de civils qui tentaient de fuir. Des avions sont arrivés et ont commencé à nous mitrailler. Je suis parti me mettre à l’abri à gauche. Eux à droite. Je ne les ai jamais revus».

Le film de Rolando Colla parle de toutes les guerres.

Locarno

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