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«De toutes les couleurs» et de toute provenance

Le multiculturalisme, où on ne l'attend pas toujours. Luc Chessex

Dans un livre de photos publié aux Editions Favre, Luc Chessex raconte le multiculturalisme de Lausanne, «ville blanche» il y a encore 20 ans. Depuis, la capitale du canton de Vaud a pris des couleurs. Elle s’est mise à l’heure de la mondialisation. Récit par l’image.

Il y a certaines couleurs qui jurent et d’autres qui se marient avec harmonie. Le noir, le jaune et le blanc ne font pas toujours bon ménage… lorsqu’il s’agit d’êtres humains. La difficulté consiste donc à bien les assortir. Pour y parvenir, Luc Chessex a couru les rues de Lausanne, hanté certains lieux publics et espaces privés, caméra à la main. Durant deux ans, il a fait plein de photos. Il les réunit aujourd’hui dans un livre qui compte une bonne centaine de pages et autant de tableaux animés par une belle volonté: la tolérance.

A son livre, Luc Chessex a donné un titre joyeux: «De toutes les couleurs». De toute provenance sont aussi les hommes et les femmes qu’il regarde ou observe. Les Africains, les Asiatiques et les Européens qui peuplent ses clichés, il les place au cœur de Lausanne, et Lausanne au cœur de la mondialisation. Les frileux, qui redoutent le grand frottement actuel des identités, en seront pour leurs frais. Les autres, ceux que le brassage excite, y trouveront leur compte.

Femmes voilées et autos-tamponneuses

Dans un Luna Park, au milieu d’une piste d’autos-tamponneuses, deux très jeunes filles voilées, à la peau quelque peu tannée, reluquent un très jeune homme aux cheveux châtains. Le regard des filles est séduisant, celui du garçon, étonné, et celui de Chessex, décalé. La photo, comme beaucoup d’autres dans le livre, trouve sons sens dans ce décalage justement. Si le regard de Chessex plaide pour la tolérance, il n’est pas pour autant innocent. Il y a de l’ironie chez le photographe, qui confie: «Ces jeunes filles voilées s’éclatent dans des lieux où on ne les attend pas».

On ne s’attend pas non plus à trouver des jodleurs au milieu de ces dizaines et dizaines d’images qui offrent une palette bigarrée et mettent plutôt en scène l’étranger et l’étrangeté. Donc, tout un chœur de jodleurs (Alpenrösli) en costume régional! C’est à se demander s’il n’y a pas erreur dans le choix des personnages.

«Non, non, aucune erreur, répond Luc Chessex. Ces jodleurs sont bien de chez nous. Enfin, de chez nous, je ne sais pas! Dans la mesure où ils sont Alémaniques, ils appartiennent à une culture différente de la nôtre. Cela ne nous empêche pas de vivre en bonne intelligence avec eux, comme nous vivons ici de manière cordiale avec les centaines de personnes venues du monde entier».

Le  monde, Luc Chessex l’a parcouru en long et en large. Ce baroudeur a quitté Lausanne, où il est né,  pour rejoindre Cuba en 1961, alors à ses débuts révolutionnaires. Quatorze ans dans l’île de Fidel Castro  lui ont appris «le laxisme tropical», comme il dit. L’Afrique a fait le reste. Engagé par le CICR, il côtoie là-bas la misère, puis s’en détourne, histoire de s’alléger le cœur. Mais dans sa tête, le respect de l’autre avait tracé son chemin.

Il y a dix ans, Chessex a retrouvé son bercail, tellement changé qu’il a eu envie d’en témoigner. «Lorsque je suis parti, Lausanne comptait trois Africains et quatre Asiatiques. Aujourd’hui c’est une ville multiculturelle, avec une énorme richesse humaine», raconte-t-il.

L’arrêt de bus, une mosaïque sociale

«De toutes les couleurs» déverrouille une société  qui semble craindre les mouvements migratoires. Le livre paraît en pleine période électorale. «Je ne suis pas utopiste au point de dire qu’il changera les intentions de vote, mais il peut apporter, modestement, une petite pierre à l’édifice national», pense Luc Chessex.

«En Suisse, près de 40% des 40’000 mariages célébrés chaque année concernent une relation entre une Suissesse et un migrant ou un Suisse et une migrante», précise entre autres Claude Muret, qui signe la préface du livre, chiffres à l’appui.  Il ajoute: «A Lausanne, près d’un élève sur deux de l’école obligatoire est d’origine étrangère».

A la préface écrite répond celle illustrée du photographe. Les douze premières images qui ouvrent le livre en disent long sur le melting-pot lausannois. Les photos ont été prises à un arrêt de bus, lieu idéal pour refléter la mosaïque sociale. Le reste de l’ouvrage se lit en entonnoir: du plus large au plus  petit,  du plus public au plus privé. Cela va des écoles, hôpitaux, églises ou bibliothèques, au foyer familial. Espaces de vie grouillant d’hommes, de femmes, d’enfants, citoyens d’un monde en mutation profonde.

Le livre s’accompagne d’un blog où l’interactivité joue elle aussi un rôle de déverrouillage.    

Né à Lausanne en 1936.

De 1961 à 1975, il quitte sa ville natale  pour parcourir l’Amérique latine, notamment l’île de Cuba où ses photos de la révolution le font connaître bien au-delà des frontières helvétiques.

Il revient à Lausanne et s’y installe comme photographe indépendant avant de repartir, de 1978 à 1981, en reportage en Afrique pour le Comité International de la Croix Rouge.

Ensuite, c’est vers la Suisse et Lausanne qu’il tourne essentiellement son objectif.

Ses livres et ses expositions  ont  fait largement connaître le regard critique qu’il projette sur la réalité contemporaine.

Parmi ses œuvres, citons les plus récentes: «Avis aux amateurs», «Regards sur les droits humains», «Around  the world», «Une envie de ville heureuse»…

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