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Dans l’intimité du politicien suisse le plus controversé

Le réalisateur Jean-Stéphane Bron, à gauche, aux côtés du protagoniste de son dernier film, le chef de file de l’Union démocratique du centre Christoph Blocher. pardolive.ch

Ce n’est pas un film pour ou contre Christoph Blocher. Le documentaire de Jean-Stéphane Bron est un condensé d'histoire suisse et réussit à pénétrer dans l'intimité du personnage politique helvétique le plus médiatisé et controversé. Sans pour autant en dévoiler mystères et zones d'ombre.

Comment tracer le portrait d’un politicien dont on ne partage ni les idées, ni les méthodes? Un homme, aujourd’hui âgé de 72 ans, qui a divisé le pays et qui est considéré par d’aucuns comme un «sauveteur», par d’autres comme un «danger pour la démocratie», tout en ayant incontestablement marqué les dernières vingt années de la politique suisse?

Le réalisateur vaudois Jean-Stéphane Bron, dans son documentaire présenté en avant-première mondiale à Locarno, a choisi de raconter le parcours de ce fils de pasteur protestant qui rêvait d’être paysan, et qui a fini par devenir un des entrepreneurs et politiciens suisses les plus puissants. Il a su jeter sur lui un regard intimiste qui se veut en même temps une réflexion subtile sur notre pays et sur ce vent de nationalisme qui s’est mis à souffler dès 1992.

Né à Lausanne en 1969, Jean-Stéphane Bron est diplômé de l’Ecole cantonale d’art du chef-lieu vaudois (ECAL). Après avoir tourné Connu de nos services et La bonne conduite, il signe en 2003 Maïs in Bundeshuus, un long-métrage à mi-chemin entre le documentaire et la fiction et qui raconte de manière attrayante les procédures internes de la politique fédérale suisse.

Désigné meilleur documentaire de l’année, il avait obtenu le prestigieux prix «Original Vision», décerné par le New York Times. Maïs in Bundeshuus  est considéré, encore aujourd’hui, comme un des films suisses ayant obtenu le plus grand succès.

Son quatrième documentaire, Cleveland Contre Wall Street, sur la crise financière, a été présenté au Festival de Cannes en 2010, dans la section Quinzaine des réalisateurs. Nominé aux Césars français, il a décroché le prix de meilleur documentaire suisse.

Jean-Stéphane Bron est un des membres fondateurs de la société de production Bande à part Films, aux côtés d’Ursula Meier, de Frédéric Mermoud et de Lionel Baier.

Alors seul contre tous, Christoph Blocher s’était opposé à l’adhésion de la Suisse à l’Espace économique européen (EEE) et il avait su gagner la majorité des citoyens à sa cause. Sa première grande victoire politique et le début d’une fulgurante ascension. L’anti-européisme restera un des thèmes forts de son parcours politique. Il prônera aussi le frein à l’immigration et la souveraineté du pays, des arguments qui feront de l’Union démocratique de centre (UDC / droite conservatrice), le premier parti en Suisse.

Le rapport d’un homme avec son pays

Qui s’attendait à des révélations surprenantes risque de rester sur sa faim. Le film – approuvé par Christoph Blocher sans demandes de modifications – n’est pas un documentaire politique ou d’enquête. «Je n’avais pas l’idée de décrire le ‘système Blocher’ mais mon ‘expérience Blocher’, soit le rapport d’un homme avec son pays, avec la démocratie comme fil conducteur», a expliqué l’auteur de documentaires tels Maïs im Bundeshuus (sur le fonctionnement de la politique suisse) et Cleveland contre Wall Street (sur la crise financière).

«Christoph Blocher a été photographié, interviewé et décrit des milliers de fois. J’ai essayé de pénétrer les zones d’ombre qui l’entourent et qui somnolent dans l’inconscient collectif. Je me suis ainsi limité à retracer son histoire basée sur des faits connus. Je n’ai pas voulu le rendre plus humain mais plus complexe en le dépouillant de son aura de héros».

Tourné principalement à l’intérieur de la voiture de Christoph Blocher, le documentaire suit la campagne en vue des élections fédérales de 2011. Quatre ans après sa non-réélection au sein du gouvernement suisse, Christoph Blocher préparait sa revanche. En fin de compte, il avait essuyé une défaite personnelle et pour son parti.

Par le biais d’images d’archives, Jean-Stéphane Bron donne la parole à quelques-uns de rivaux politiques de Christoph Blocher et retrace la carrière professionnelle et politique, sans en dissimuler les côtés obscurs mais sans pour autant trop s’allonger: de ses liens controversé avec le régime de l’apartheid en Afrique du sud à son empire économique, en passant par son rôle dans l’affaire de la démission du président de la Banque nationale suisse Philipp Hildebrand.

Le documentariste a choisi d’être lui-même partie intégrante du film. La voix off met le public face aux doutes de l’auteur («je me sens complice , sur le qui-vive») et aux mystères qu’il tente de montrer plus que de dévoiler («je vous invente, je comble les trous»). En animal politique et médiatique qu’il est, Christoph Blocher ne se met jamais vraiment à nu et laisse sur leur faim aussi bien le metteur en scène que le spectateur.

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Un condensé d’intimité

Avant même d’être projeté sur la Piazza Grande, L’Expérience Blocher a suscité des réactions hostiles parmi certains politiciens de gauche, scandalisés par le choix d’octroyer des subventions publiques à un film sur un personnage controversé et toujours actif. L’attente était palpable: jusqu’ici, probablement jamais un si grand nombre de correspondants parlementaires ne s’étaient accrédités pour le festival.

«Il s’agit d’un documentaire intéressant sur l’histoire contemporaine suisse au travers de l’une des personnalités politiques les plus marquantes de ces deux dernières décennies», estime Markus Häfliger, correspondant de la Neue Zürcher Zeitung à Berne. «Jamais auparavant un film ne s’était autant approché d’un politicien suisse, en pénétrant dans sa sphère privée. La star devient ainsi un être humain, avec ses forces et ses faiblesses, ses rires, ses déceptions, ses moments noirs. C’est ce qui fait la grande force de ce film.»

Jean-Stéphane Bron s’aventure dans les lieux les plus intimes, comme la maison d’enfance de l’ex-conseiller fédéral, où il découvre que l’endroit qui le console davantage est le cimetière. Il le filme aussi à l’intérieur de son château pendant qu’il chante un air d’opéra, dans sa piscine ou dans sa chambre à coucher où il lutte contre l’insomnie, avec à ses côtés, la présence discrète de son épouse Silvia. Certaines scènes ont été tournées comme un film de fiction et, du coup, Christoph Blocher n’est plus un simple personnage mais devient un interprète.

Ce regard intime a plu à Reto Ceschi, expert en politique fédérale à la Radiotélévision de la Suisse italienne (RSI): «Je ne m’attendais pas à un pamphlet critique mais je voulais connaître l’homme. C’est inévitable que lorsque quelqu’un t’ouvre la porte de sa maison, tu perds un peu l’approche critique.»

Trop peu politique?

Pour ce qui est de la politique, le film reste un peu à la surface et en quelque sorte il échoue, estime Markus Häfliger. «Un des objectifs de Jean-Stéphane Bron était de découvrir les motivations profondes de Christoph Blocher, mais il a eu du mal à percer la façade. On ne peut pas dire que ce documentaire est un film politique. On peut dès lors se demander si telle était bien l’intention du metteur en scène ou s’il a dû en quelque sorte se plier aux circonstances.»

Durant la conférence de presse, l’auteur a quant à lui expliqué qu’il ne s’était pas autocensuré, mais que son choix avait été bien pesé. Reste cependant la sensation qu’il manque quelques cases à ce «conte de fées» sur le pouvoir.

Un film trop peu politique donc? Pour Stéphane Gobbo, journaliste à L’Hebdo, le but du film n’était pas de révéler des secrets bien cachés: «Il s’agit d’un portrait personnel de Jean-Stéphane Bron sur Christoph Blocher. Ceci dit, on pouvait penser qu’un cinéaste de gauche comme lui aurait fait un film critique. Il est resté au contraire neutre et subtil.»

Une chose est sûre: L’Expérience Blocher n’a pas fini de faire couler de l’encre comme c’est aussi le cas pour son protagoniste. Même si ce documentaire a un petit goût d’épilogue, peut-être en raison de sa colonne sonore dramatique et de l’image d’un homme solitaire, à l’image de Citizen Kane, sur laquelle s’inscrit le mot «Fin». Là encore toutefois, aucun secret n’est mis à jour.

Né le 11 octobre 1940 dans le canton de Schaffhouse, Christoph Blocher est marié et père de quatre enfants. Après un apprentissage d’agriculteur, il suit des études de droit aux universités de Zurich, Montpellier et Paris.

Son engagement politique au niveau national débute à la fin des années 1970, lorsqu’il est élu au Conseil national (Chambre basse du Parlement, 1979-2003) et qu’il devient président de la section zurichoise de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), fonction qu’il occupe jusqu’en 2003.

Sa carrière politique est véritablement lancée en 1992, grâce à sa victoire contre l’adhésion de la Suisse à l’Espace économique européen, qui marque également le début de l’ascension de l’UDC. L’anti-européisme restera l’un des thèmes forts de sa vie politique, tout comme la lutte contre l’immigration et en faveur de la souveraineté du pays.

En 2003, Christoph Blocher est élu au Conseil fédéral (gouvernement). Quatre ans plus tard, le Parlement décide de ne pas le réélire, lui préférant Eveline Widmer-Schlumpf, une personnalité considérée comme plus collégiale, issue de l’aile moins conservatrice de l’UDC.

En tant qu’entrepreneur, Christoph Blocher a réussi en peu de temps à devenir actionnaire principal et président du conseil d’administration du groupe chimique EMS. Il est à l’heure actuelle membre de plusieurs conseils d’administration de multinationales et propriétaire de Robinvest AG.

Il est par ailleurs actionnaire du quotidien bâlois Basler Zeitung et proche de l’hebdomadaire Die Weltwoche.

Depuis 2011, il siège à nouveau à la Chambre basse du Parlement.

(Traduction de l’italien: Gemma d’Urso)

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