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«La dernière sorcière» enfin déclarée innocente

Une scène du film «Anna Göldin, la dernière sorcière», de Gertrud Pinkus (1991).

Le canton de Glaris a officiellement réhabilité mercredi Anna Göldi, «dernière sorcière d'Europe», 226 ans après sa condamnation par l'Eglise et sa décapitation. La gouvernante avait été jugée pour avoir empoisonné une fillette dont elle avait la garde.

Anna Göldi (1734-1782) est considérée comme la dernière victime européenne des procès en sorcellerie, et cela à une époque, fin du 18e siècle, où ils avaient déjà presque partout disparu. En Allemagne, la dernière victime de cette justice particulière avait été exécutée en 1738.

Le destin tragique de la servante Anna Göldi s’est noué à Mollis, petit village du canton de Glaris, où la superstition et le fanatisme religieux le disputaient à l’abus de pouvoir.

L’an dernier, l’affaire est ressortie des tiroirs et des archives après la publication d’un livre-enquête du journaliste Walter Hauser. Il y publiait de nouveaux documents selon lesquels le tribunal saisi pour juger Anna Göldi n’avait pas la compétence de le faire.

Walter Hauser montrait aussi que le maître de la gouvernante avait fait pression sur les autorités, parmi lesquelles il siégeait, pour condamner la jeune femme. «L’affaire m’intéressait car je suis Glaronais et avocat de formation. On pourrait dire que j’étais prédestiné à écrire sur Anna Göldi!», a-t-il expliqué à swissinfo.

Le gouvernement change d’avis

La réhabilitation qui aura lieu ce mercredi au Parlement cantonal n’a pas coulé de source. Le gouvernement et les Eglises, réformée et catholique, ont changé d’avis.

Car ils étaient d’abord opposés à la demande de réhabilitation déposée par des députés au Parlement. «Tout a déjà été dit, le travail historique équivaut à une réhabilitation», avaient répondu, en substance, les responsables de ces instances.

Des membres du Parlement avaient insisté. Et le gouvernement, présidé depuis le 1er mai par la première femme à ce poste dans le canton, la radicale Marianne Dürst, a proposé un nouveau message. Le Parlement doit annuler ce mercredi la sentence de 1782.

«Je suis très heureux que le Conseil d’Etat ait changé d’avis et admis qu’il fallait dire clairement qu’Anna Göldi était innocente et avait été victime d’une scandaleuse erreur judiciaire», se félicite Walter Hauser.

Des épingles

Gouvernante dans la maison du notable Johann Jakob Tschudi, Anna Göldi a été accusée d’avoir jeté un sort sur la petite fille de 8 ans dont elle avait la garde. Celle-ci aurait craché des épingles et eu des convulsions.

Or le maître de maison, médecin et magistrat, semblait entretenir une liaison avec sa servante. Il craignait pour sa réputation en cas de découverte de l’adultère.

Avant d’arriver à Mollis, Anna Göldi avait déjà eu son lot de souffrances. Née dans une famille très pauvre du canton de St-Gall, elle a dû commencer à travailler très jeune. Très jeune aussi, elle eut un enfant hors mariage, un enfant mort en bas âge.

Elle aurait eu un autre enfant dont on ne sait ce qu’il est devenu. Après plusieurs emplois, Anna Göldi était arrivée chez les Tschudi, qui la renvoyèrent six ans plus tard quand la fillette tomba malade.

Procès illégal

Le Conseil de l’Eglise protestante glaronaise qui a mené le procès, n’avait pas autorité pour le faire. Les juges avaient par ailleurs décidé que leur accusée était coupable, avant le procès proprement dit. C’est ce qu’affirme le Conseil d’Etat glaronais dans sa demande de réhabilitation publiée le 10 juin.

Anna Göldi a été décapitée, alors que la peine de mort n’était pas obligatoire pour les empoisonnements non mortels et que ce fait n’était même pas reconnu comme acte pénal, ajoute le gouvernement.

«Cette réhabilitation est bien plus qu’une confirmation d’innocence, écrit encore l’exécutif. C’est l’annulation d’une sanction incompréhensible et inique et la reconnaissance d’une injustice crasse prononcée par une instance illégale.»

Des recherches supplémentaires seront encore nécessaires, ajoutait le gouvernement glaronais. La réhabilitation, qui «n’est pas un point final», peut encourager le mouvement.

Mais les générations ayant suivi celle de 1782 ne peuvent porter la responsabilité des actes de leurs prédécesseurs, ajoute encore l’exécutif. Elles doivent «reconnaître les actes incompréhensibles, en supporter les conséquences et en tirer les leçons.

Le gouvernement a encore décidé d’allouer 60’000 francs du Fonds de la loterie et autant d’une fondation au prochain festival «Anna Göldi».

(Traduction et adaptation Ariane Gigon)

En 2007, lors du 225e anniversaire de l’exécution d’Anna Göldi , Walter Hauser a publié son livre-enquête («Der Justizmord»). Une fondation Anna-Göldi a été créée.

La fondation veut non seulement maintenir vivant le souvenir de la servante, mais aussi s’engager pour les marginaux, pour les minorités et les victimes d’arbitraire. Un prix devrait être décerné régulièrement.

Le Musée Anna Göldi à Mollis, non loin de Glaris, a été inauguré en septembre. Les documents découverts par Walter Hauser y seront exposés de façon permanente.

Un nouveau téléfilm est en préparation.

Apparues au Moyen Age, les persécutions pour motif de sorcellerie se sont poursuivies durant des siècles.

Longtemps considérée comme une forme d’hérésie, la sorcellerie a été criminalisée après 1500. La plupart des procès se sont tenus au 17e siècle.

Protestants et catholiques ont mené des procès en sorcellerie avec le même fanatisme.

Les dizaines de milliers de victimes étaient en majorité des femmes, mais 20% étaient des hommes.

Née à Sennwald (aujourd’hui dans le canton de St-Gall, mais territoire zurichois à l’époque) en 1734, Anna Göldi (ou Göldin) venait d’une famille pauvre. Célibataire, belle femme au grand charme, elle aurait eu trois enfants – les historiens ne sont pas unanimes.

Servante dès le mois de septembre 1780 à Glaris chez Johann Jakob Tschudi, médecin, politicien et juge influent avec qui elle aurait eu des relations intimes, elle fut renvoyée en octobre 1781, après qu’on eut trouvé des épingles dans le lait de la deuxième fille de son patron, Annamiggeli, âgée de 8 ans. Celle-ci souffrait vraisemblablement de crises apparentées à l’épilepsie.

Accusée d’avoir empoisonné l’enfant, Anna Göldi fut l’objet d’un mandat d’arrêt, retrouvée alors qu’elle avait pris la fuite et emprisonnée en février 1782. Elle subit plusieurs séances de tortures et avoua avoir agi sous l’impulsion du diable.

Dans le dernier procès de sorcellerie d’Europe occidentale, elle fut condamnée à mort comme empoisonneuse (et non comme sorcière) et décapitée le 13 juin 1782, à 48 ans.

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