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«Le journal devient un produit haut de gamme»

Selon Serge Michel, «tout les journaux souffrent de la crise». AFP

Directeur adjoint des rédactions du Monde depuis juin 2011, Serge Michel est au cœur de la transformation du plus prestigieux quotidien français. Le Suisse évoque la nouvelle formule sur papier et les défis du web. Sur fond de crise économique.

Appelé à Paris par Erik Izraelewicz, directeur du Monde décédé soudainement le 27 novembre, Serge Michel partage son temps entre la fabrication du journal et le développement du site web. Un job «prenant mais fascinant», témoigne le grand reporter, né à Yverdon il y a 43 ans, aussi coutumier des grands espaces, au Moyen-Orient ou en Afrique, que de la vie de rédaction.

Dans le bâtiment du boulevard Auguste Blanqui, les journalistes «papier» cohabitent désormais avec les rédacteurs du site web, dont la moyenne d’âge est nettement plus jeune. Deux mondes à part? Plutôt deux facettes d’un même métier, estime Serge Michel, qui propose des rapprochements, tout en conservant l’identité de chacun.

swissinfo.ch: Comment se porte «Le Monde»?

Serge Michel: Pour la deuxième année consécutive, les comptes du journal et du site sont équilibrés. La période que vivent les journaux est à la fois passionnante et difficile. Le métier de journaliste, les outils de travail, les supports se transforment de façon simultanée. Avec pour toile de fond la crise économique.

Sur les quatre segments qui composent la «chaîne» du Monde – rédaction, impression, distribution et diffusion – les trois derniers ne sont pas au mieux de leur forme. La distribution, notamment, est en souffrance. Les kiosques ont du mal à survivre. 1000 kiosques, sur un total d’environ 30’000, ferment chaque année. De fait, il serait absurde de prétendre que c’est seulement à cause du premier segment, la rédaction, qu’en bout de chaîne ça se passe mal.

swissinfo.ch: Comment «Le Monde», où la culture de l’écrit, du journal papier, a tant d’importance, s’adapte-t-il aux nouvelles technologies?

S.M.: Les équipes du site et du journal collaborent toujours plus étroitement, via des projets particuliers, par exemple l’élection présidentielle, ou des grands événements sportifs. Désormais, il y a un rédacteur web dans chaque service du journal, pour produire des contenus en cours de journée. Rappelons qu’il y a trois ans encore, les deux rédactions n’étaient pas à la même adresse. Ce sont pour l’instant deux entreprises distinctes, avec des statuts différents pour les salariés, que nous voulons harmoniser.

Plutôt que de fusion des équipes, je pense qu’il vaut mieux parler d’une réorganisation de toutes les forces disponibles. Car chaque support aura toujours besoin de rédacteurs spécifiques: le journal, les magazines, le web, le mobile, voire les ebooks et nouveaux écrans. 

swissinfo.ch: Quelle est l’audience du site web?

S.M.: J’ai des chiffres pour octobre: 91 millions de visites, dont 28 millions mobiles, et 467 millions de pages vues, dont 189 millions mobiles (applications, tablettes, site mobile). Cela nous place en seconde position derrière le Figaro et l’ensemble des sites agrégés par ce concurrent. Ces indicateurs sont tous en croissance. Le site a un modèle mixte, gratuit et payant. Nous avons 40’000 abonnés, ce qui est déjà très bien, mais nous allons miser sur l’abonnement et l’offre payante avec comme objectif 200’000 abonnés d’ici deux ou trois ans.

swissinfo.ch: Pourquoi ne pas créer une seule rédaction?

S.M.: Il faut d’abord répondre aux questions de base: quels contenus, pour quel supports, produits par qui? Puis concevoir une organisation idéale pour cela. Pour l’instant, chaque rédaction a une temporalité distincte et on peine à trouver un créneau commun. Le Monde est un journal de l’après-midi. La conférence du matin se déroule à 7h30 et nous bouclons à 10h30. On se réunit à 15h30 pour préparer le journal du lendemain. Le web, lui, a une réunion à 9h15 le matin, au moment où le print est en plein bouclage.

Mais les rythmes évoluent. Les journalistes du Monde, qui avaient intégré de façon quasi biologique le bouclage du matin, se couchant tôt et se levant tôt, ou travaillant souvent la nuit, s’adaptent à la multi-temporalité du web. D’une certaine manière, cela rappelle le temps où Le Monde avait trois éditions quotidiennes.

swissinfo.ch: Le «Financial Times Deutschland» va disparaître. «France Soir» a rendu l’âme et le journal économique «La Tribune» s’est replié sur le web, avec une version hebdomadaire papier. Les quotidiens sont-ils particulièrement fragiles?

S.M.: Tout le monde souffre, même les journaux gratuits. France Soir et La Tribune ont connu de gros problèmes de changement de propriétaires. Notre actionnariat, qui a changé il y a deux ans, est aujourd’hui stable.

swissinfo.ch: Le journal papier est-il devenu un produit de luxe?

S.M. : Disons plutôt le segment «haut de gamme» d’une production multiforme. Les lecteurs réclament un contenu riche. Quand nous avons ajouté à l’édition du samedi plusieurs suppléments – sciences et techno, culture idées et sport et forme – et enrichi le magazine M, les lecteurs ont suivi, malgré l’augmentation du prix à 3,50 euros.

Terrassé le 27 novembre par une crise cardiaque dans son bureau, Erik Izraelewicz, 58 ans, n’aura été directeur du journal que pendant un an et demi.

Avant de prendre les rênes du Monde en février 2011, Erik Izraelewicz avait fait carrière dans les rubriques économiques. Il avait dirigé les rédactions des quotidiens économiques français, Les Echos, puis La Tribune.

Alain Frachon, directeur éditorial, assure l’intérim. Les actionnaires majoritaires, Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse, proposeront d’ici à la fin du mois le nom d’un nouveau directeur qui sera soumis à l’approbation du conseil de surveillance et à la validation de la Société des rédacteurs du Monde, conformément aux statuts.

1969: naissance à Yverdon (Vaud).

1989: premiers reportages en Europe de l’Est et au Proche Orient pour le Journal de Genève.

1992-93: parcourt par la route les rivages d’Europe, avec le photographe Yves Leresche. La série est publiée dans le Journal de Genève et Courrier International et fait l’objet d’une exposition au Musée de l’Elysée à Lausanne et d’un premier livre.

1995: bachelor en sciences politiques de l’Université de Genève.

1996-98: correspondant à Zurich pour Le Nouveau Quotidien.

 

1999: correspondant à Téhéran pour Le Temps, Le Figaro et Le Point.

 

2001: Prix Albert Londres pour ses reportages en Iran.

 

2002: correspondant à Belgrade.

 

2004-06: chef de la rubrique étrangère de L’Hebdo, lancement du Bondy Blog.

 

2006-08: correspondant en Afrique de l’Ouest pour Le Monde.

 

2010: rédacteur en chef adjoint du Temps.

 

2011: directeur adjoint du Monde.

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