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«Les réalisateurs suisses s’auto-censurent»

La popularité des Journées de Soleure s'accroît - même sans tapis rouge. Keystone

Le cinéma suisse est marqué par une grande indépendance d’esprit. C’est la conviction d’Ivo Kummer, directeur des Journées de Soleure, qui ont débuté jeudi. Mais il lui manque un peu de courage pour aborder les thèmes de politique sociale.

swissinfo.ch: La Suisse semble se trouver en pleine crise d’identité. Est-ce que les films suisses récents s’en font le reflet?

Ivo Kummer: La création cinématographique actuelle en Suisse est marquée par une grande indépendance d’esprit, comme le montrent les films «Giulas Verschwinden» de Christoph Schaub ou «Der grosse Kater» de Wolfgang Panzer. Mais, comme en politique, ils manquent un peu de courage. Le courage de faire quelque chose d’inhabituel, qui ne rencontrerait peut-être pas un grand succès auprès du public mais qui susciterait un fort écho international. «Pepperminta», de Pipilotti Rist en est en exemple – et l’exception, dans la création actuelle.

swissinfo.ch: Est-ce une propriété typiquement suisse ou une conséquence de la politique du cinéma de la Confédération?

I.K.: Il y a plusieurs raisons à cela – et je précise que la situation est loin d’être dramatique. La politique du cinéma en est sûrement une, car elle préfère miser sur des «locomotives» qui restent ensuite souvent bloquées dans le paysage. Ces films préfèrent des sujets qui touchent un large public. Mais il n’y a aucune garantie de succès avec ce type de sujet, pas plus qu’il n’est sûr que seuls des films chers ont du succès et que les œuvres bon marché sont des flops. Je pense que ce mécanisme instaure un peu d’autocensure dans les esprits des réalisateurs. Ils se demandent si tel ou tel thème est susceptible de convaincre les pourvoyeurs de subsides. Une création cinématographique un peu plus radicale, moins chère et produite plus rapidement ferait du bien à la Suisse et surtout à la culture du cinéma suisse.

swissinfo.ch: Dans le programme du festival, vous écrivez: «A une époque comme la nôtre, où les craintes diffuses et les préjugés sont nombreux, le cinéma engagé est le garant d’une information éclairée.» N’est-ce pas beaucoup demander au cinéma suisse?

I.K.: Le film suisse a effectivement une mission importante en tant que forme artistique. Il peut être vecteur d’identité, il peut susciter de fortes émotions et, dans certains cas, provoquer des changements. Ce qui ne veut pas dire qu’il doit devenir plus politique. Un film ne devient politique que lorsqu’il est vu par un public. A mes yeux, il s’agit plutôt d’aborder des thèmes de politique sociale, comme par exemple la crise financière. Le courage des instances d’encouragement du cinéma est requis pour que de tels films puissent voir le jour.

swissinfo.ch: L’an dernier, le festival a enregistré un record de fréquentation: 48’000 personnes. Les nouvelles récompenses, le Prix de Soleure et le Prix du Public, ont contribué à une nouvelle popularité. En êtes-vous satisfait?

I.K.: Personnellement, je ne suis pas un grand amateur de records. Si nous avons 45’000 personnes cette année, je serai déjà plus qu’heureux. Cela ne fait aucun sens de juste vouloir des chiffres plus élevés d’année en année. Mais il est clair, selon moi, que nous devons refléter l’année cinématographique suisse et que notre programme doit plaire au public. Le cinéma suisse est plus populaire aujourd’hui qu’il y a 30 ans. A cette époque-là, il n’était souvent pas très accessible.

swissinfo.ch: Soleure a jusqu’ici résisté à la tendance au tapis rouge et au «glamour» réclamée par le chef de la Section fédérale du cinéma, Nicolas Bideau.

I.K.: Les tapis rouges ne me plaisent pas trop et je ne pense pas qu’il y en aura à Soleure. Nous n’avons pas besoin de glamour et de toutes ces bêtises tapageuses et vides de sens. Et je crois que notre position a eu gain de cause, jusqu’ici. Je crois surtout que l’on doit rester soi-même, dans le domaine des festivals, rester authentique. C’est même la clé du succès: présenter et vendre ce en quoi l’on croit, ni plus, ni moins. A Soleure, les stars se promènent dans les rues ou prennent un verre dans un bistrot, on peut les aborder. Nous n’avons pas besoin de 1000 photographes et de 1000 flashes pour qu’une soi-disant ambiance de festival puisse voir le jour.

swissinfo.ch: L’année dernière, les échanges ont été assez virulents entre Nicolas Bideau et les professionnels du cinéma, qui lui ont reproché son autoritarisme. La situation s’est-elle détendue ou faut-il s’attendre à de nouvelles confrontations?

I.K.: Ça ne pourra pas être pire. Je crois que nous avons atteint le point le plus bas et la situation s’est quelque peu détendue. La volonté de dialogue de l’Office fédéral de la culture est un bon signe. Un dégel des relations donnera aussi une chance à l’avenir de la culture du cinéma en Suisse.

swissinfo.ch: Quels sont les points forts de cette 45e édition des Journées de Soleure?

I.K.: L’ouverture avec la présidente de la Confédération Doris Leuthard est importante, de même que la visite attendue du conseiller fédéral Didier Burkhalter, qui fera ainsi ses premiers pas dans la famille du cinéma et qui, espérons-le, cherchera aussi le dialogue avec les créateurs cinématographiques.

Corinne Buchser, swissinfo.ch
(Traduction de l’allemand: Ariane Gigon)

Les 45e Journées de Soleure ont lieu du 21 au 28 janvier 2010.

Pour la première fois, le festival a lieu du jeudi au jeudi.

La présidente de la Confédération Doris Leuthard ouvrira la manifestation avant la projection, en première suisse, du film «Zwerge sprengen» de Christof Schertenleib.



Le programme spécial «Rencontre» est consacré au compositeur de musique de cinéma bâlois Niki Reiser, plusieurs fois récompensé dans sa carrière, notamment en Allemagne.

Au total, 302 films de fiction, documentaires, expérimentaux et d’animation, de même que des clips musicaux, seront projetés.

Une table Ronde sur les régimes d’encouragement cinématographique de la Confédération aura lieu le 25 janvier de 11h00 à 12h30.

En lice pour le Prix de Soleure:
Nel giardino dei suoni, Nicola Bellucci | doc 84’

La guerre est finie, Mitko Panov | fic 106’

Dharavi, Slum for Sale, Lutz Konermann, Rob Appleby | doc 80’

Face au juge, Pierre-François Sauter | doc 73’

Waffenstillstand, Lancelot Von Naso | fic 95’

Lourdes, Jessica Hausner | fic 96’

Breath Made Visible, Ruedi Gerber | doc 80’

Die Frau mit den 5 Elefanten, Vadim Jendreyko | doc 94’




En lice pour le Prix du public: Verso, Xavier Ruiz | fic 105’

Bödälä – Dance the Rhythm, Gitta Gsell | doc 80’

Sinestesia, Erik Bernasconi | fic 90’

Pizza Bethlehem, Bruno Moll | doc 85’

Der Grosse Kater, Wolfgang Panzer | fic 91’

Coeur animal, Séverine Cornamusaz | fic 90’

Complices, Frédéric Mermoud | fic 93’

La guerre est finie, Mitko Panov | fic 106’

Champions, Riccardo Signorell | fic 100’

Dharavi, Slum for Sale, Lutz Konermann, Rob Appleby | doc 80’

La valle delle ombre Mihàly Györik | fic 90’

Zwerge sprengen, Christof Schertenleib | fic 125’

Mein Kampf, Urs Odermatt | fic 104’

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