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«Les Thaïlandais sont fâchés contre les émeutiers»

Daniel Brélaz et son fils dans un gratte-ciel de Bangkok.

Invité par les autorités thaïlandaises, le syndic de Lausanne Daniel Brélaz – membre du Parlement fédéral comme représentant des Verts -, fait son analyse de la situation après les violentes émeutes de rue qui ont frappé la mégapole asiatique.

Daniel Brélaz estime que les recommandations de prudence aux Suisses voyageant en Thaïlande sont arrivées comme «la grêle après vendange». Il évoque également les relations qu’entretient sa ville de Lausanne avec Bangkok.

swissinfo: Au lendemain de cette mini-guérilla urbaine qui a frappé la capitale thaïlandaise, quel est votre constat à chaud?

Daniel Brélaz: Bangkok dénombre plus de 100’000 immeubles sur toute sa superficie. Seulement deux d’entre eux ont été incendiés par les émeutiers. On ne constate donc aucun dégât particulier. En y regardant de plus près, on constate bien quelques traces de l’état d’urgence qui n’a toujours pas été levé par les autorités. Mais cela n’a rien à voir avec un cessez-le-feu. On aperçoit juste de temps en temps deux ou trois militaires patrouillant dans les lieux stratégiques comme dans le quartier des Ministères.

Mais il faut quand même se rendre compte d’une réalité: sur les quelques milliers de «chemises rouges» qui ont occupé la rue, au moins trois quarts d’entre eux sont venus par autocars depuis les campagnes au nord du pays. Ces gens issus de milieux ruraux n’avaient pas forcément les moyens de se déplacer à travers le pays et ils ont été payés par les partisans de l’ancien Premier ministre Taksin Shinawatra. Ce sont les mêmes pauvres venus du nord qui sont favorables à l’ex-Premier ministre, ce milliardaire qui déjà à l’époque achetait leurs voix.

swissinfo: Des pauvres pourtant favorables à un politicien milliardaire…?

D.B.: Oui, il y a d’autres exemples en Suisse avec Christoph Blocher, en Italie avec Silvio Berlusconi ou plus anciennement en Inde avec les maharajahs. Au-delà de cet aspect, c’est le gouvernement thaïlandais qui a dû leur payer le voyage de retour. L’écrasante majorité de ceux qui ont manifesté sont venus de régions éloignées de plusieurs centaines de kilomètres de la capitale.

Je rappelle aux Vaudois et aux Genevois que lorsque l’on montrait des images prises lors des émeutes du G8 à Evian, en 2003, les manifestants anti-G 8 étaient dix à quinze fois plus nombreux que ces «chemises rouges» par rapport à la population totale de Bangkok.

swissinfo: La Thaïlande a souffert de l’effet loupe en quelque sorte?

D.B.: Effectivement. On peut affirmer que les effets produits lors des manifestations anti-Blocher du Comptoir suisse à Lausanne ou du G8 à Lausanne ne sont pas très différents. Cela donnait à l’époque des images très spectaculaires. Au point que si la TV américaine les avaient retransmises sur leurs réseaux, certains auraient pu en déduire qu’il fallait dissuader les touristes de fréquenter les stations des Alpes suisses durant tout l’hiver.

Aujourd’hui, la réalité du pays est que les Thaïlandais sont en majorité avant tout fâchés contre les émeutiers. Il y aura des répercussions économiques fortes notamment sur le tourisme. Le pays a perdu la face avec l’annulation du Sommet des chefs d’Etat de l’Asie du Sud-Est à Pattaya.

swissinfo: A votre avis, des pays comme la France ou la Suisse ont-ils trop vite peint le diable sur la muraille en demandant à leurs concitoyens de différer leur voyage en Thaïlande?

D.B.: Ils l’ont fait à la minute où tout était pratiquement terminé. Cela aurait eu du sens s’ils l’avaient fait une semaine plus tôt. Là on est arrivé comme la grêle après vendange. C’est ce que l’on appelle un comportement d’extrême prudence. Pour éviter qu’on puisse dire que l’on n’a pas tiré la sonnette d’alarme…

swissinfo: Quel est le but de votre séjour à Bangkok?

D.B.: Il y a notamment une rencontre prévue avec le nouveau gouverneur Sunhumphan Baripatra. Ce «super-maire» qui règne sur la région de Bangkok est en fonction depuis quelques mois. Avec son prédécesseur, on avait commencé à explorer quelques pistes concernant les relations entre nos deux villes, notamment au niveau des échanges culturels ou des «meilleures pratiques».

La ville de Lausanne a un certain nombre de compétences dans des domaines comme l’énergie ou le traitement des déchets. L’échange d’expérience peut se faire dans les deux sens.

swissinfo: Lausanne, ville olympique, a aussi son rôle à jouer en Asie?

D.B.: Il a été question d’organiser la première édition des Jeux olympiques pour la jeunesse, les Universiades que Singapour a finalement obtenus. Ce sont des jeux moins lourds que l’organisation proprement dite des JO. Il y a également d’autres pistes à explorer, comme le fait que le roi a passé 18 ans de sa jeunesse à Lausanne. Cela crée des liens tout particuliers avec la Suisse.

swissinfo, Olivier Grivat à Bangkok

La comparaison des 12 millions d’habitants du grand Bangkok avec les 300’000 de l’agglomération lausannoise, incite à la modestie, reconnaît Daniel Brélaz. «Il y a effectivement un rapport de 1 à 40 entre les deux villes. Pourtant, si l’on compare uniquement le centre-ville, malgré les immenses immeubles de Bangkok, la différence de densité n’est pas si importante. Si l’on ôte à Lausanne les 20 km2 de surface forestière qui forment la moitié de sa superficie, les densités ne sont pas si inconciliables.»

«La surface construite de Bangkok est d’un peu plus de 2’000 km2 pour à peu près 50 fois plus d’habitants. Avant d’établir des comparaisons, il faut voir comment les villes sont construites. A Bangkok, dans le quartier du centre, certaines constructions ne seraient certainement pas admises à Lausanne.»

«La Chine a passé à des générations de 10 à 15 étages en trente ans, et maintenant c’est plutôt autour de 30 à 80 étages. Lausanne caresse un seul projet d’immeuble d’un peu moins de 30 étages. On ne joue pas dans la même catégorie. Il n’y a pas besoin de loger toute la Suisse à Lausanne.»

«Les situations sont tellement incomparables en Asie, reconnaît le syndic de Lausanne. Bangkok compte de nombreux immeubles en droit de superficie de courte durée, de l’ordre de 25 à 30 ans. Près d’un tiers de la surface de Bangkok appartient à la Couronne. Louer ces droits de superficie permet aux fondations royales d’intervenir dans toutes sortes d’aides à la population».

«Cela veut dire aussi que tous les 25 à 30 ans, il y a plusieurs concours qui permettent de changer la donne. En construisant plus haut, cela permet aussi de rentabiliser l’opération dans l’intérêt de la population via les fondations philanthropiques».

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