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«Ma mère connaissait les projets de Stauffenberg»

Stauffenberg (à g.) a été exécuté en 1944, après son attentat manqué contre Hitler en Prusse orientale. AKG Images

La fille de Claus von Stauffenberg, l'auteur de l'attentat manqué contre Hitler, vit en Suisse depuis longtemps. Dans un livre, elle dresse le portrait de sa mère. Et répond à ceux qui osent dire que son père était un résistant de la dernière heure.

C’est parce qu’elle en avait assez de lire et d’entendre des sottises à propos de sa mère que la Zurichoise Konstanze von Schulthess a pris la plume. En 2004, un film réalisé par Jo Baier et diffusé par la télévision allemande fait de Nina von Stauffenberg une épouse plutôt «mal lunée et indifférente», regrette sa fille. On y voit une femme coquette ignorant tout des projets de son mari, puis, la veille de l’attentat, lui reprochant de vouloir jouer les héros.  

«Faux, rétorque Mme von Schulthess. Ma mère connaissait parfaitement l’implication de son époux Claus von Stauffenberg dans la résistance à Hitler, engagement qu’elle partageait. La seule chose qu’elle ignorait, c’est que son mari commettrait lui-même l’attentat», assure Konstanze von Schulthess, devenue suissesse par mariage.

Fusillé après l’attentat manqué

Son livre sur cette mère ignorée par les biographes et maltraitée par les films fut un grand succès de librairie en 2008 en Allemagne. Il est resté six mois dans le classement des best-sellers. La traduction française paraît aujourd’hui.

Quand Konstanze vient au monde le 27 janvier 1945, son père est mort depuis six mois, fusillé après son attentat manqué contre Hitler. Sa mère Nina vient de quitter le camp de concentration de Ravensbrück.

Au lendemain du 20 juillet, la chasse aux conjurés prend une ampleur effrayante. Tous ceux qui ont pris part, de près ou de loin, au coup d’état manqué sont pourchassés, exterminés. «La famille Stauffenberg sera anéantie jusqu’à son dernier membre», prévient Himmler le 3 août 1944. Berthold, frère aîné de Claus, est pendu, tout comme son oncle Nikolaus von Üxküll-Gyllenband.

Placés en orphelinat

Personne n’est épargné. Les quatre enfants de Claus et Nina sont placés dans l’orphelinat de Bad Sachsa sous un faux nom. La propre mère de Nina est déportée à Ravensbrück. Elle mourra en détention.

Après son accouchement, Nina est ballottée de prison en camp, au cours d’une odyssée qui l’entraîne de Potsdam en Haute-Franconie en passant par Dantzig. En juin 1945, elle finit par retrouver les siens, ses enfants et le château des Stauffenberg à Lautlingen.

Après la guerre, des familles suisses proposent d’héberger pour les vacances des enfants de conjurés du 20 juillet. Durant l’été 1947, une quarantaine d’enfants d’officiers allemands impliqués dans l’opération Walkyrie, et donc peu suspects de nazisme, sont invités en Suisse. Parmi eux, les petits de Caesar von Hofacker, cousin de Stauffenberg, ceux du lieutenant Werner Karl von Haeften et du général Henning von Tresckow.

Une amitié qui dure

«Une famille zurichoise, les Hirzel, proposa ses services à l’Oeuvre d’assistance du 20 juillet, raconte Konstanze von Schulthess. Ma mère accepta volontiers que mon frère Franz Ludwig, qui avait alors une santé fragile, passe l’été en Suisse.» Naît une amitié qui se prolonge jusqu’à aujourd’hui. C’est chez les Hirzel que Konstanze terminera ses études et rencontrera son mari zurichois. Elle vit en Suisse depuis 46 ans, entre Zurich et Silvaplana, en Engadine.

Son père ? «Un officier qui aimait passionnément son métier. Mais aussi un homme profondément choqué par la violence du régime hitlérien.» Les biographes de Stauffenberg, tout en reconnaissant son courage extraordinaire, ont souvent insisté sur ses opinions très conservatrices et sur sa «conversion» tardive à l’antinazisme.

«C’est vrai qu’en 1933, mon père était plutôt favorable à l’arrivée au pouvoir de Hitler. La République de Weimar marchait mal et le traité de Versailles pesait lourdement sur le pays. Et puis, n’oubliez pas que mon père était très jeune à l’époque! Mais à partir de la Nuit de Cristal en 1938 et les violentes persécutions contre les juifs, il fut de plus en plus critique à l’égard du régime.»

Rejet de l’antisémitisme

L’historien Ian Kershaw ne dit pas le contraire: «Comme nombre de jeunes officiers, Stauffenberg avait d’abord été séduit par certains aspects du nazisme, notamment par l’insistance sur la valeur de forces armées puissantes (…) En revanche, il rejetait son antisémitisme racial et s’était montré de plus en plus critique à l’égard de l’Hitler et de son bellicisme.» Et Kershaw d’ajouter: «Comme le firent valoir quelques-uns de ses détracteurs, c’est un peu tardivement qu’il finit par se laisser convaincre de rejoindre les conjurés.»

Stauffenberg, résistant de la dernière heure? «Non, il n’a pas rejoint les conjurés quand tout était planifié, corrige Mme von Schulthess. D’ailleurs, il était très lié avec son oncle von Üxküll et son frère Berthold, engagés de longue date dans la résistance.»

Les détracteurs de Stauffenberg soulignent aussi ses opinions plutôt anti-démocratiques. Sur ce point, sa fille peut laisser répondre un autre grand historien du nazisme, Karl Dietrich Bracher. «Insatisfait du cadre étriqué de la fronde militaire et conservatrice, Stauffenberg chercha bientôt à établir des liens avec la partie la plus active de l’opposition de gauche, en particulier avec Julius Leber (…). Dès 1942, il acquit la conviction que les projets politiques échafaudés avec tant de soin par de nombreux groupes de l’opposition devaient céder le pas à l’objectif primordial qu’était le renversement du régime hitlérien.»

1907: naissance de Claus Schenk von Stauffenberg à Jettingen-Scheppach (Souabe) dans l’une des plus anciennes familles catholiques de l’Allemagne du sud.

 

1926: Stauffenberg s’engage dans la Reichswehr.

 

1933: il salue l’arrivée d’Adolf Hitler au poste de chancelier du Reich. Il épouse Nina von Lerchenfeld avec qui il aura cinq enfants.

 

1940: participe en tant qu’officier d’état-major général, à la bataille de France. Le 31 mai, il reçoit la Croix de fer de première classe.

 

1943: muté à la Xe division de blindés, qui doit alors couvrir la retraite de l’armée du maréchal Erwin Rommel contre les Alliés, qui viennent de débarquer en Afrique du Nord. Pendant une mission de reconnaissance, son véhicule est mitraillé par un chasseur bombardier allié. Il est sévèrement blessé, perd son œil gauche et sa main droite.

 

1944: avec le général Olbricht, le colonel Mertz von Quirnheim et le général von Tresckow, Stauffenberg travaille aux plans de l’opération Walkyrie. Officiellement, le plan doit servir à réprimer de possibles révoltes intérieures comme celle des nombreux travailleurs étrangers. Stauffenberg et Tresckow ajoutent des ordres supplémentaires au plan et font de l’opération Walkyrie un plan d’opération pour le coup d’État. 

Le 20 juillet, échec de sa tentative d’attentat contre Hitler dans la «tanière du loup», l’état-major du Führer en Prusse orientale. Stauffenberg est fusillé dans la nuit à Berlin.

Konstanze von Schulthess, Nina Schenk von Stauffenberg, un portrait, Editions des Syrtes, 2011.

Ian Kershaw, La chance du diable : Le récit de l’opération Walkyrie, éditions Flammarion, 2009.

Joachim Fest, La Résistance allemande à Hitler, éditions Perrin, 2009.

Karl Dietrich Bracher, La Dictature allemande, éditions Complexe.

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