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Einstein ou la relativité de la commercialisation touristique

Le passeport suisse d'Albert Einstein est conservé au Musée Einstein de Berne. Le génie de la physique avait aussi la citoyenneté allemande et américaine. Keystone

Les deux villes ont une cathédrale et les deux ont hébergé Albert Einstein, souvent qualifié de «première pop star de la physique». Mais alors que cet héritage est encore quelque peu négligé à Ulm, en Allemagne, Berne, la capitale suisse, mise énormément sur Einstein pour attirer les visiteurs. Même trop, selon un descendant du génie de la physique.

La maison natale d’Albert Einstein à Ulm, avant sa destruction par des bombardements aériens en décembre 1944. akg-images

Guide touristique à Ulm, Karl Höb suscite d’emblée l’étonnement. «Ici, pouvez-vous traverser les murs?», demande-t-il en guise de salutation. Or à cet endroit, le terme de mur est tout relatif, car les murs de la maison natale d’Albert Einstein, près de la gare, n’existent plus. Ils sont symbolisés sur le sol par des pavés. Le bâtiment a en effet été totalement détruit pendant la Seconde Guerre mondiale et seul son emplacement est indiqué dans l’actuelle zone piétonne. 

Karl Höb nous accueille, Dirk Homburg, responsable de l’Office du tourisme d’UlmLien externe et moi-même, dans la partie de la «maison» qui est encore actuellement accessible. Derrière nous, il y a un énorme panneau de chantier qui fait de la publicité pour le nouveau quartier de Sedelhöfe, en construction. Les traces de la maison natale d’Einstein sont-elles vouées à disparaître? 

«On envisage de conserver ou d’aménager une forme de souvenir dans le cadre du projetLien externe», répond par écrit la municipalité d’Ulm. De son côté, Karl Höb affirme vouloir s’engager «avec véhémence» en faveur d’une bonne solution. 

Peu de souvenirs 

Celui qui veut trouver Einstein à Ulm doit bien chercher ou réserver une visite guidée. Toutefois, il n’y a que cinq ou six visites guidées par an spécifiquement consacrées à ce thème, relève Dirk Homburg. La plupart des touristes viennent pour la cathédrale, qui, avec ses 161 mètres, est la plus haute du monde, ou pour la statuette paléolithique de l’homme-lionLien externe, la plus ancienne représentation zoomorphique du monde. En 2014, Ulm a enregistré 754’348 nuitées. 

«Le problème ou le défi, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de choses associées à Einstein qui sont à voir ici», déplore Dirk Homburg. Certes, près de l’emplacement de sa maison natale, il y a encore un monument de l’architecte suisse Max Bill, mais la fenêtre d’Einstein dans la cathédrale est un peu cachée, la Maison des Anglais, où le père d’Einstein vendait de la literie, n’est pas accessible et la fontaine d’EinsteinLien externe, près de la caserne, est un peu trop éloignée du centre. Selon Dick Homburg, il conviendra de mieux commercialiser le nom d’Einstein dans le futur. 

Peu de choses à voir? Karl Höb, qui conduit ses visites guidées sous les traits du personnage de Karl KeinsteinLien externe, ne partage pas cet avis. Son sac est plein d’images et de documents sonores et il sort toutes les citations possibles et imaginables de la poche de sa veste. 

Il est aussi parvenu à ce que les archives municipales aient une vitrine supplémentaire sur Einstein. «Beaucoup de gens ne savent même pas qu’Einstein est né ici», regrette-t-il. Or les quinze premiers mois de vie qu’il a passés à Ulm sont capitaux. «Les synapses de son cerveau se sont formés ici», dit-il. 

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Albert Einstein, citoyen suisse

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Une maison très aimée du public 

Plus tard, Einstein a vécu environ sept ans à Berne, où il travaillait pour l’office des brevets. C’est dans la capitale suisse qu’il a élaboré sa théorie de la relativité restreinte, à côté de son travail. La maison qu’il occupait à la Kramgasse 49 est aujourd’hui un musée. 

Lorsque nous arrivons pour une visite, il n’y a pas encore de touristes asiatiques. C’est assez exceptionnel, affirme Jürg Rub, responsable de la Maison d’EinsteinLien externe. «Il y a des gens qui viennent à Berne expressément pour Einstein, pour voir où il vivait», observe-t-il. Le célèbre physicien agit comme un aimant: entre 95 et 97% des visiteurs viennent de l’étranger. 

Dans l’appartement de 55 m² situé au deuxième étage, nous rencontrons Montse, qui vient d’Espagne, et Jon, des Etats-Unis. Jon indique qu’ils sont arrivés ici par hasard. «Ce qui me plaît, c’est de pouvoir connaître Einstein en tant que personne. En voyant les photos de lui lorsqu’il avait cinq ans, je me suis demandée qui aurait jamais pu imaginer que 30 ou 40 ans plus tard, il serait devenu ce qu’il est devenu», dit Montse. Emma, une citoyenne britannique, trouve elle aussi «magnifique de pouvoir apprendre quelque choses sur Einstein». 

La maison, située dans le centre historique de Berne (inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1983), accueille un nombre croissant de visiteurs; il y en a eu 46’191 en 2014. A titre de comparaison, la capitale suisse a enregistré au total 718’575 nuitée durant cette même année. L’autre grande attraction consacrée à Einstein – le Musée EinsteinLien externe situé dans le Musée d’histoire de Berne – a de son côté accueilli 21’799 visiteurs. 

Un signe distinctif 

Au Musée Einstein, la surface d’exposition est nettement plus grande que celle de la maison. Sur les 1000 m², on trouve aussi de l’espace pour présenter la théorie de la relativité. L’exposition se concentre plus sur l’aspect historique, souligne Severin Strasky, responsable du marketing et de la communication du Musée d’histoire. Un peu plus des trois quarts des visiteurs proviennent de l’étranger. 

Sur Google Maps, le Musée d’histoire de Berne est indiqué avec la mention Musée Einstein. «Pour nous, le Musée Einstein est un signe distinctif unique, souligne Severin Strasky. Juridiquement, il fait partie du Musée d’histoire. Mais pour la promotion, il est important qu’on puisse le retrouver avec ce nom dans les moteurs de recherche.» 

Mais comment expliquer que le petit appartement en ville accueille pratiquement deux fois plus de visiteurs que le musée? «Ce n’est pas un hasard. La visite de lieux où ont vécu des personnalités et où ont été tournés des films est très appréciée», explique Jürg Stettler, expert du tourisme à la Haute Ecole professionnelle de Lucerne. 

Locomotive touristique 

Berne met beaucoup l’accent sur le nom d’Einstein pour promouvoir le tourisme. «De notre point de vue, avec lui, nous avons gagné au loto», affirme Nicole Schaffner, responsable des relations publiques de l’Office du tourismeLien externe de la capitale. «Et naturellement, cela nous fait très plaisir qu’Einstein ait autant aimé notre ville», ajoute-t-elle. 

Son nom est une véritable locomotive pour le tourisme. «C’est ce qui apparaît notamment au travers du nombre de visiteurs à la Maison ou au Musée Einstein», dit encore Nicole Schaffner.

A l’avenir, les responsables du secteur touristique aimeraient mettre encore plus l’accent sur ce nom. «Notre souhait est certainement qu’il y ait encore plus d’offres liées à Einstein, indique la responsable. Finalement, Einstein est un nom connu au niveau international et qui transmet une image positive. Du moment que nous pouvons compter sur un fan comme lui, pourquoi ne devrions-nous pas en profiter?» 

L’expert du tourisme Jürg Stettler parle lui aussi d’un «signe distinctif unique», qui ne peut pas être copié. Einstein permet d’atteindre un vaste public. C’est un nom autour duquel on peut mettre une thématique en scène et transmettre des expériences. Pour une destination touristique, c’est une manne céleste. «Souvent, le problème des destinations touristiques est qu’elles sont positionnées de manière trop généraliste, trop vaste. Elle sont dans un certain sens interchangeables», explique-t-il.

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Einstein comme support publicitaire

Ce contenu a été publié sur Ce centenaire n’était pas passé inaperçu. Impossible à l’époque de rater la figure d’Einstein dans les rues de Berne. De nombreux commerces avaient essayé de profiter du phénomène pour vendre les produits les plus divers.  Quant à l’exposition spéciale, elle connut un tel succès qu’elle est depuis devenue le Musée Einstein.  (Images: Christoph Balsiger) 

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Commercialisation «grotesque»

Cette commercialisation du nom d’Einstein ne plaît cependant pas à tout le monde. Notamment à Charly Einstein (44 ans), arrière-petit-fils du célèbre physicien, qui vit à Berne depuis l’enfance. A sa demande, nous ne nous rencontrons pas au Café Einstein du musée du même nom, mais sur la terrasse de la cathédrale. 

Mettre autant l’accent sur Einstein est «un peu tiré par les cheveux, affirme le descendant. Le thème est utilisé de manière excessive. Je pense que Berne a d’autres cordes à son arc, par exemple le shopping dans les commerces situés sous les arcades du quartier historique.» 

Charly Einstein se demande aussi quelle influence la ville de Berne a eu sur la Théorie de la relativité restreinte, en 1905. «Je suis persuadé que cette influence a été infime, dit-il. C’est pour cela que je trouve grotesque tout ce marketing fait autour de son nom.»

(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)

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