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Un Ueli Steck «plus humain» de retour dans l’Himalaya

Ueli Steck sur la face Sud de l’Annapurna (8091m) lors d’une première tentative avortée en 2007. Robert Bösch

L’alpiniste suisse Ueli Steck tentera de gravir la face Sud de l’Annapurna, l’un des sommets les plus dangereux de la planète. Dans un entretien accordé à swissinfo.ch, il explique les raisons de son retour au Népal quatre mois après une altercation très médiatisée avec un groupe de sherpas sur l’Everest.

A la suite de la violente bagarre qui l’avait opposé à un groupe de sherpas au printemps dernier, Ueli Steck avait déclaré qu’il ne remettrait plus les pieds sur la plus haute montagne du monde. L’alpiniste suisse est pourtant de retour au Népal: avec son compère canadien Don Bowie, il s’attaquera pour la troisième fois à la terrible face Sud de l’Annapurna.

swissinfo.ch: Cette expédition ne doit pas être simple à gérer après ce que vous avez vécu sur l’Everest au printemps. Quels sentiments vous animent aujourd’hui?

Ueli Steck: Après les événements du mois d’avril, il était très important pour moi de revenir au Népal. J’ai simplement besoin de sentir comment les choses se passent ici. Mon état d’esprit par rapport à ce pays a complètement changé. Je crois que l’incident m’a permis d’ouvrir les yeux sur le Népal. Ce n’est certainement pas la meilleure aventure que j’ai vécu, mais c’est désormais derrière moi.

Gravir la face Sud de l’Annapurna est un vieux projet. Je l’ai déjà tenté à deux reprises par le passé. Il faut de la patience si l’on veut s’attaquer à des voies difficiles sur des «8000». Parfois, vous avez de la chance à la première tentative, mais vous êtes souvent contraint de faire marche arrière. Pour parvenir au sommet, tout doit se dérouler à la perfection.

Le 28 avril 2013, l’alpiniste Ueli Steck a été attaqué par plusieurs douzaines de sherpas au Camp numéro 2 de l’Everest, qui se trouve à 6400 mètres d’altitude. Il se trouvait avec son coéquipier italien Simone Moro et le photographe britannique John Griffith.
 
L’agression s’est produite quelques heures après que le trio eut brûlé la politesse à des sherpas qui installaient des cordes pour les expéditions commerciales sur le chemin menant au Camp numéro 3, situé à 7300 mètres d’altitude. Les trois alpinistes ont ensuite renoncé à leur expédition.

swissinfo.ch: Lorsque vous avez tenté d’escalader pour la première fois cette voie en 2007, vous avez été heurté par une pierre qui aurait pu vous tuer. En 2008, vous avez abandonné votre ascension pour venir au secours de l’alpiniste espagnol Iñaki Ochoa de Olza, qui est mort peu après votre arrivée. Mentalement, ce doit être un sacré défi que de s’attaquer à nouveau à cette montagne.

U.S.: Après la mort d’Iñaki, j’ai immédiatement quitté cette montagne et il m’a fallu un certain temps pour évacuer ce drame. Je n’aurais pas pu retourner la saison d’après, la peur aurait été trop forte. Après quelques années et quelques belles aventures emmagasinées sur des «8000», le feu est de nouveau là. Aujourd’hui, je veux achever ce projet.

J’ai acquis beaucoup d’expérience supplémentaire depuis mes tentatives de 2007 et 2008. J’applique de nouvelles tactiques et je ne suis plus concentré sur une seule voie. Je suis désormais capable de mieux m’adapter à la météo et aux conditions d’ascension.

swissinfo.ch: Vous venez d’affirmer qu’il vous fallait de bonnes expériences en montagne pour tenter à nouveau des sommets, ce qui n’est pas le cas au vu de votre altercation du printemps sur l’Everest. Avez-vous eu assez de temps pour digérer?

U.S.: Je suis loin d’en avoir fini avec cette histoire. Cela prendra des années. Mais la vie continue et il faut aller de l’avant. Je ne peux pas rester à la maison et me tourner les pouces. J’ai un besoin urgent de grimper très haut, et malheureusement presque tous les «8000» sont situés au Népal. Je suis donc contraint de revenir ici. Mais d’un autre côté, ce retour me permet de parler aux gens d’ici et de reconstruire des liens. Cela m’aidera certainement à tourner la page de cette mésaventure.

swissinfo.ch: Y a-t-il également une pression externe qui vous pousse à revenir et à achever ce projet?

U.S.: La face Sud de l’Annapurna est quelque chose qui me tient au plus profond du cœur. De nombreux grimpeurs se font financer leur expédition et sont ensuite contraints d’agir selon les désirs de leurs sponsors. Pour ma part, je veux faire les choses par moi-même. C’est évidemment génial si je parviens à dénicher un sponsor qui couvre mes coûts. Mais si ce n’est pas le cas, je paierai moi-même mon expédition. J’ai toujours eu cette liberté et je veux la conserver.

swissinfo.ch: Mais vous avez également d’importants sponsors qui vous soutiennent. Comment ont-ils réagi après l’altercation sur l’Everest?

U.S.: Curieusement, je crois que cette aventure m’a rendu beaucoup plus humain. C’est la réalité, je vous assure. Quant à mes sponsors, ils ont eu droit à une large couverture médiatique sans devoir faire beaucoup d’efforts. Aujourd’hui, tout le monde me connaît. Evidemment, je n’aime pas du tout l’image qui me colle désormais à la peau. Je préférerais ne pas être dans les médias avec ce genre d’histoire, mais on ne peut malheureusement pas l’éviter.

swissinfo.ch: Vous grimpez généralement sans sherpas en haute altitude. En ira-t-il de même cette fois-ci?

U.S: Des sherpas nous aideront bien évidemment au camp de base. Nous aurons également un sherpa qui fera les allers-retours avec le camp de base situé à 5000 mètres. Nous porterons la plus grande partie de l’équipement nous-mêmes, mais il est bon de savoir que nous pourrons compter sur quelqu’un pour nous aider. Et si le garçon de cuisine veut se faire un peu d’argent supplémentaire, il pourra aussi venir avec nous.

L’Annapurna (8091 mètres) est le 10e plus haut sommet du monde. Il est situé à l’ouest du Népal. Il est considéré comme le «8000» le plus dangereux de la chaîne himalayenne.

Il a été gravi pour la première fois depuis la face Nord par une expédition française dirigée par Maurice Herzog en 1950.

L’Annapurna est célèbre pour ses dangers d’avalanche. Des alpinistes légendaires tels qu’Anatoli Boukreev (Russie) et Christian Kuntner (Italie) y ont laissé leur vie.

Les alpinistes français Pierre Beghin et Jean-Christophe Lafaille ont tenté la même route en 1992. Le premier a fait une chute mortelle et le second a mis cinq jours pour redescendre de la montagne par ses propres moyens.

swissinfo.ch: Pensez-vous pouvoir leur faire confiance?

U.S.: Ma perception des gens a beaucoup changé, et pas seulement celle des sherpas. A la suite de la mésaventure sur l’Everest, j’ai eu beaucoup de peine à faire à nouveau confiance aux gens. J’ai construit un mur entre moi et les autres. Et ce mur n’a pas encore été brisé.

swissinfo.ch: Bien que l’Annapurna ne fasse pas partie des sommets les plus élevés de l’Himalaya, il est considéré comme l’un des plus dangereux. Comment l’abordez-vous?

U.S.: Effectivement, tout le monde dit de l’Annapurna qu’il est le plus dangereux des sommets de plus de 8000 mètres, en raison des nombreux séracs [blocs de glace] et des avalanches qui se déclenchent sur la voie principale. Plus au sud de la montagne, le climat est très humide, il y neige énormément. C’est pour cette raison que je viens relativement tard dans la saison.

swissinfo.ch: Si vous êtes chanceux et que vous parvenez à atteindre le sommet à votre troisième tentative, un rêve deviendra réalité. Quel sera votre prochain objectif?

U.S.: J’y ai beaucoup réfléchi cet été, particulièrement après mon expérience malheureuse sur l’Everest. Je crois que je vais continuer à gravir des faces techniques de 8000 mètres, là où personne ne pourra m’importuner. Il y a encore beaucoup de choses à faire et de nombreux espaces à escalader sur ces sommets.   

Né en 1976 à Langnau, dans l’Emmental bernois, Ueli Steck s’est notamment fait connaître pour ses ascensions en solitaire et ses records de vitesse. Il a escaladé la plupart des sommets prestigieux en Suisse, et de nombreux autres en Amérique du Nord et dans l’Himalaya.

En 2001, il a achevé la première ascension en solitaire de la face Nord de l’Eiger en dix heures. En février 2008, il a réalisé la même ascension en 2 heures et 47 minutes, pulvérisant tous les records. Le 18 mai 2012, il est parvenu pour la première fois au sommet de l’Everest, sans apport externe d’oxygène.

(Traduction de l’anglais: Samuel Jaberg)

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