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«Au Guatemala, la démocratie ne se construit pas du jour au lendemain»

Les poupées de papier en tenues de prisonnier représentent l'ex-vice-présidente Roxana Baldetti et le président Otto Pérez, englués dans un scandale de corruption. Un aperçu des manifestations citoyennes qui secouent le Guatemala. Keystone

Coup de théâtre au Guatemala. Le président Otto Pérez, empêtré dans une affaire de corruption, vient de présenter sa démission. Depuis plusieurs mois, des milliers de Guatémaltèques manifestaient toutes les semaines, dans les rues des principales villes, contre le scandale qui touche les élites du pays. Pour Jürg Benz, ambassadeur de Suisse au Guatemala, le Printemps de colère qui souffle sur l’Amérique centrale n’est cependant qu’un premier pas vers un long processus de démocratisation.

Le président Otto Pérez a fini par s’avouer vaincu. Il a annoncé ce jeudi sa démission. Le chef d’Etat est accusé par le parquet et par la commission de l’ONU contre l’impunité au GuatemalaLien externe (CICIG) d’avoir dirigé un système de corruption au sein des douanes, via lequel des fonctionnaires touchaient des pots-de-vin pour exonérer de taxes certaines importations. De 2009 à 2014, des experts suisses ont participé à la CICIG. La Suisse a également appuyé la commission onusienne au travers de son groupe d’experts pour la promotion civile de la paix, en mettant par exemple à disposition un spécialiste des flux financiers.

Soutien de la Suisse à la CICIG

  • 2007: 435’000 dollars
  • 2009: 300’000 dollars
  • 2010: 200’000 dollars
  • 2011: 100’000 francs suisses
  • 2012: 200’000 francs suisses

De 2009 à 2014, des experts suisses ont participé à la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG). La Suisse a également appuyé la commission onusienne au-travers de son groupe d’experts pour la promotion civile de la paix, en mettant par exemple à disposition un spécialiste des flux financiers.

Depuis le début de la semaine, l’étau se resserrait autour de ce général à la retraite de 64 ans: le Parlement a voté mardi la levée de son immunité et un juge a lancé mercredi un mandat d’arrêt à son encontre. Ces poursuites judiciaires sont une première dans l’histoire du pays. En dépit des nombreux appels à sa démission et du placement en détention de son ancienne vice-présidente, poursuivie dans la même affaire, Otto Pérez, dont le mandat court jusqu’à janvier 2016, s’est accroché à son poste jusqu’à ce jeudi.

Samedi, plusieurs milliers de Guatémaltèques avaient à nouveau crié leur indignation, exigeant le départ de leur président et réclamant le report des élections générales qui doivent se tenir dimanche 7 septembre. Des élections dont il ne faudra pas attendre de bouleversement fondamental, dans un pays gangréné par la corruption et toujours fortement marqué par les violences du passé. C’est ce qu’explique Jürg Benz, ambassadeur de Suisse au Guatemala, dans une interview réalisée avant la démission du président Pérez.

swissinfo.ch: Beaucoup parlent d’un réveil, voire d’un ‘Printemps d’Amérique centrale’. Observez-vous également ce processus de transition démocratique?

J.B.: Oui, mais je le vois comme un processus à long terme. Une démocratie dans un pays comme le Guatemala ne se construit pas du jour au lendemain. C’est un défi pour la population que de s’organiser, de formuler des propositions concrètes et de participer de manière constructive aux réformes. Cette tâche va occuper toute une génération et les prochaines élections ne vont pas permettre de tout résoudre.

A l’heure actuelle, il reste également beaucoup à faire au Guatemala pour que les partis politiques deviennent réellement des partis, qu’ils se dotent d’un programme et d’un corpus idéologique, avec des contenus définis et choisis de manière démocratique à l’intérieur de chaque formation. Je pense néanmoins que les manifestations récentes et la réponse que le monde politique y apporte vont contribuer à un processus de démocratisation.

swissinfo.ch: Quel rôle joue aujourd’hui la Suisse dans la lutte contre l’impunité au Guatemala?

Jürg Benz: La construction d’un Etat de droit et le respect des droits humains sont des thèmes centraux pour la Suisse et sa politique extérieure. Depuis sa création en 2007, la Suisse a soutenu le travail de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG). Nous espérons que les cas de corruption mis au jour ces derniers mois donneront une impulsion aux réformes nécessaires et permettront d’éviter des affaires similaires dans le futur.

Le travail de la Commission et le soutien de la Suisse ont été d’une grande importance dans ce domaine. Si nos ressources le permettent, nous espérons pouvoir fournir un expert à la CICIG l’an prochain.

swissinfo.ch: Comment faire comprendre que la tâche de la CICIG n’est pas interventionniste, mais une contribution à l’institutionnalisation d’un Etat souverain?

J.B.: Je ne vois pas de problème à cet égard car la CICIG a été mise sur pied à la demande de l’actuel gouvernement et son mandat doit être renouvelé tous les deux ans. Le gouvernement a d’ailleurs demandé au mois de mai de cette année à l’ONU la prolongation du mandat.

Il s’agit de renforcer les capacités des institutions publiques du pays, en premier lieu du Ministère public, de soutenir et de proposer des réformes dans le secteur législatif et de la Justice. La CICIG ne répond pas aux intérêts d’un pays spécifique, mais exerce son travail de manière professionnelle, conformément à son mandat. Je ne pense pas qu’il y ait une quelconque interférence dans le fait de soutenir ces actions.

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swissinfo.ch: Concrètement, quelle est votre mission sur le terrain?

J.B.: La promotion des valeurs de la politique étrangère de la Suisse, et notamment le respect des droits humains, est l’une de nos tâches prioritaires. Nous le faisons par exemple à travers la mise en œuvre de nos lignes directrices pour la protection des défenseurs des droits humains: nous accompagnons les organisations concernées, écoutons leurs problèmes et offrons une protection si un cas grave se présente. Une action qui se fait en collaboration avec l’Union européenne et la Norvège.

Nous rendons visite aux défenseurs des droits humains sur le terrain quand cela est possible. Nous accompagnons également les procès devant les tribunaux. Cette présence et cette attention internationale donnent une visibilité et donc une protection aux défenseurs des droits humains.

swissinfo.ch: Quelle est la relation entre la défense des droits humains et le développement démocratique?

J.B.: Les droits humains et les droits politiques sont des droits fondamentaux. Et pourtant, la liberté de s’exprimer et de se réunir librement est souvent bafouée. La démocratie ne consiste pas uniquement à élire ses représentants tous les quatre ans: il faut également pouvoir s’exprimer et mettre sur la table les questions qui touchent les gens.

swissinfo.ch: Les archives numérisées de la défunte Police nationale sont protégées à Berne. L’accord pour conserver ces données sensibles en Suisse a-t-il été prolongé?

J.B.: Oui, cet engagement va se poursuivre en collaboration avec les Archives historiques de la Police nationale. Ces fichiers contiennent des informations sur les personnes tuées durant le conflit interne. Le but est de récupérer et de documenter ces informations, puis de les rendre accessibles aux familles qui sont à la recherche de leurs proches et veulent savoir comment ils sont morts.

Elles peuvent également être utilisées comme preuves par la justice à certaines occasions. La Suisse conserve une copie des fichiers dans les Archives fédérales, dans le cas où l’original serait perdu au Guatemala.

swissinfo.ch: Faut-il davantage expliquer encore aux citoyens et aux parlementaires helvétiques le travail accompli par la Suisse au Guatemala?

J.B.: Il est toujours nécessaire de rendre des comptes car c’est l’argent du contribuable qui est en jeu. Le travail réalisé au Guatemala dans le domaine du traitement du passéLien externe est très important, cela va au-delà de notre collaboration avec les archives nationales. Je vous donne un exemple: les recherches forensiques destinées à identifier les corps, à leur donner un nom et un visage, sont un enjeu fondamental afin d’éviter que de telles horreurs ne se reproduisent. Nous soutenons cette démarche à hauteur de 50’000 francs par an.

swissinfo.ch: Avez-vous mis sur pied d’autres programmes spécifiques?

J.B.: Non, mais nous sommes très intéressés par la Justice transitionnelle qui se met en place après des génocides ou autres crimes graves. Il est dans l’intérêt de la communauté internationale que ces processus se déroulent de manière correcte, indépendante et objective. C’est là un rôle politique que nous assumons. Une de mes collaboratrices a ainsi participé au procès de l’ancien président Efraín Ríos Montt, accusé de génocide et de crimes contre l’humanité. 

(Traduction et adaptation de l’espagnol: Samuel Jaberg)

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