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Accord UBS: la moins pire des réussites, juge la presse

swissinfo.ch

Limiter les dégâts, c'est ce à quoi s'est attelée la Confédération, avec pas mal de réussite mais des zones d'ombre aussi, tranche la presse suisse au lendemain de la signature de l'accord entre la Suisse et les Etats-Unis dans l'affaire UBS.

L’accord signé mercredi prévoit que les Etats-Unis retirent la requête visant à obtenir l’identification de 52’000 titulaires de comptes devant le tribunal compétent de Miami dans le cadre de la procédure civile contre UBS.

En échange, il implique une entraide administrative entre les gouvernements suisse et américain sur 4450 comptes de clients américains de la banque.

«Un victoire américaine», juge Le Temps, sceptique quant à l’issue de la négociation et surtout sur ses conséquences à terme. «La Suisse ne va pas simplement accélérer la procédure pour livrer des noms. L’accord va en quelque sorte définir la taille des mailles du filet avec lequel l’IRS part à la pêche aux fraudeurs.»

«En outre, souligne le quotidien édité à Genève, le gouvernement suisse s’engage à faire de même pour d’autres banques helvétiques qui seraient dans une situation similaire. Le texte en français est moins explicite que sa version anglaise. Pourtant, l’IRS s’est empressé de souligner cet élément. De nouvelles demandes d’entraide sont peut-être déjà parties.»

La Liberté de Fribourg est, elle aussi, dubitative. «La banque [UBS] sera-t-elle le cheval de Troie du fisc américain en Suisse? A cette question, le Conseil fédéral ne répond pas. (…) Pour l’administration [américaine], cet accord est un chèque en blanc. Ses flèches ne tarderont pas à fuser vers de nouvelles cibles.»

La gazelle face au lion

Rares sont les accords qui voient la victoires des deux parties et celui signé mercredi n’en fait pas partie, reprend 24 Heures. Derrière la victoire pour le respect de la procédure juridique, le quotidien de Lausanne voit la défaite d’un symbole. Celui d’une banque contrainte «de mettre sur le billot la tête de milliers de ses clients.»

Pour le quotidien, «on assiste depuis les années 1970 à une longue et inexorable érosion» du secret bancaire. Une «tendance au délitement» qui se poursuivra. «Alors victorieuse la Suisse? Oui, si tant est que l’on considère qu’une gazelle qui s’est soudainement dégagée des crocs d’un lion après avoir été sérieusement mâchouillée est victorieuses.»

A Zurich, la Neue Zürcher Zeitung juge que «la meilleure de toutes les mauvaises solutions [a été trouvée], avec un hic». Le gouvernement aurait en effet pu user du droit d’urgence ou adopter des procédures juridiques d’exception.

Mais le journal zurichois constate que la tradition de retenue de la Suisse dans la collaboration avec les administrations étrangères sur la question de la sphère privée n’est plus d’actualité depuis cet accord. «Ses conséquences devraient occuper notre état de droit et la place financière encore longtemps.»

Bien tardif

Toujours à Zurich, le Tages Anzeiger place l’enjeu sur un autre terrain. Celui de la fraude fiscale au sens large. Le quotidien regrette que les serviteurs de l’Etat ne se soient pas saisis plus tôt de la problématique.

Le Conseil fédéral «n’a pris sérieusement les choses en mains qu’au moment où la pression de la grande puissance devenait insupportable, constate le journal. [Mais] le soupçon que des banques suisses courtisent les fraudeurs du fisc existait depuis bien avant.»

La Basler Zeitung est plus positive. Elle juge que «pour une fois, le Conseil fédéral mérite des louanges». L’accord signé avec les Etats-Unis «renforce la stabilité politique et l’état de droit. Ces deux éléments, bien plus que «les niches juridiques offertes à des clients douteux» sont «l’avantage comparatif le plus important des banques suisses».

Un œil au beurre noir

Le Bund de Berne estime, lui aussi, que «la délégation suisse a bien négocié». La Suisse «est parvenue à éviter le pire: il n’y a pas de brouille entre les deux pays et UBS n’a pas été conduite à la ruine. Mais pour la Suisse, le prix en est une partie de son secret bancaire. Malgré le succès des négociations, elle se retrouve avec un œil au beurre noir.»

Le Blick y va pour sa part de ses propositions. A la suite des Etats-Unis, d’autres Etats vont vouloir faire la lumière sur les capitaux qui contournent leur fisc. La Suisse peut agir pas à pas ou «comme le Liechtenstein, traiter avec d’autres Etats dans le cadre d’amnisties fiscales, afin que les clients [de la place financière suisse] retourne à la égalité. Ce serait plus loyal et plus malin».

Dans le même temps, propose le journal (de boulevard) le plus lu du pays, il faut «prendre congé des affaires en lien avec l’argent au noir. Un grand pas pour les banques et le pays. Il est temps. Nous ne pouvons plus entendre cette éternelle phrase».

Cette phrase, articulée mercredi encore par le Président de la Confédération, dit que «le secret bancaire est sauvegardé».

Pierre-François Besson, swissinfo.ch

Dans la presse anglo-saxonne, le ton des commentaires est fort différent de celui de la presse suisse.

Le New York Times relève une «victoire» qui «fracture» le secret bancaire. Douglas Shulman, patron du fisc américain, parle d’une «étape majeure pour percer le voile du secret bancaire», tandis qu’un autre officiel américain annonce que des procédures seraient en préparation contre des intermédiaires suisses.

Pour le Washington Post, l’accord marque «la fin d’une ère pour le système bancaire suisse». Dans ses colonnes, des experts s’attendent désormais à de nombreux autres accords de ce type.
«C’est comme un chien qui a senti le sang de sa première victime, déclare un ancien avocat de l’autorité américaine de surveillance des marchés Ron Geffner. Il est clair que le concept d’un paradis fiscal perpétuellement sûr est une fantaisie qui n’existe plus».
Analyse nuancée par le sénateur démocrate Carl Levin, président de la sous-commission des investigations au Sénat, qui parle tout au plus d’une «modeste avancée» vers la fin du secret bancaire.

The Guardian, quotidien britannique de gauche, souligne que cet accord, qui «met un terme à une enquête de trois ans qui a mis à genoux la banque la plus puissante en Europe», représente un «triomphe» pour le fisc américain.

Plainte. En février, les autorités fiscales américaines (IRS) déposent une plainte pour tenter d’obliger UBS à fournir la liste de 52’000 clients soupçonnés de fraude fiscale.

Défense. Pour la Suisse, cette plainte est contraire aux accords de double imposition en vigueur avec les Etats-Unis. Berne affirme qu’elle poursuivra UBS si la banque communique les noms à l’IRS.

Accord de principe. Vendredi 31 juillet, les parties au conflit, soit les gouvernements américain et suisse ainsi que UBS, annoncent être parvenues à un accord extrajudiciaire de principe.

Enfin. Après d’intenses tractations et plusieurs conférences téléphoniques avec le juge fédéral, les parties signent l’accord le 19 août et en divulguent la teneur.

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