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Al Kassar, Salinas, Borodine et les autres

Le Tribunal fédéral vient d'annuler la saisie de 3 millions de dollars appartenant à Monzer Al Kassar. Une déception de plus pour la justice suisse.

Pour la CIA, le Syrien Monzer Al Kassar est un «trafiquant de drogue et d’armes». Et un «terroriste» très «dangereux». «Le plus dangereux du monde» même.

Pour la justice genevoise, c’est un suspect sur lequel elle mène l’enquête depuis près d’une décennie.

Des comptes genevois

Ce sulfureux personnage aurait vendu des armes d’origine polonaise à la Croatie et à la Bosnie. Et cela, malgré l’embargo décrété par l’ONU.

Le bateau du trafic était hondurien. Sa cargaison officielle parlait de café, de thé et de lait. Son (faux) lieu de destination, le Yémen. Et les commissions arrivaient sur comptes en banques à Genève.

Il s’agit, en fait, du seul lien avec la Suisse. Les magouilles se déroulaient ailleurs. La Confédération était utilisée pour dissimuler l’argent du crime.

Une décision très décevante

Le magot de ce trafic d’armes, l’ancien procureur Laurent Kasper-Ansermet avait réussi à le bloquer. Seulement voilà, l’avocat de Monzer Al Kassar vient de gagner un recours en nullité déposé auprès du Tribunal fédéral.

En clair, les juges ont entendu l’argument de Me François Canonica. Qui affirmait que la volonté de confiscation viole le principe de territorialité.

Le faux document indiquant de façon mensongère la destination finale de la cargaison a en effet été réalisé en Espagne. Or, ce pays se désintéresse totalement du dossier.

«C’est une décision très décevante, affirme Laurent Kasper-Ansermet qui a travaillé presque dix ans sur ce dossier. Mais il faut savoir que le droit de confiscation est très neuf.»

Pourquoi dépenser de l’argent ?

Le magistrat genevois encaisse le camouflet. Un de plus. Après, entre autres, celui de l’affaire Borodine.

Dans ce dossier-là, la justice suisse avait pu démontrer avec précision les détournements de fonds réalisés par l’ancien intendant du Kremlin. Mais les autorités russes ont renoncé à poursuivre Pavel Borodine. Alors?

Alors, faut-il dépenser du temps, de l’énergie et beaucoup d’argent, pour aider certains pays qui ne souhaitent surtout pas que la vérité éclate?

Durant la dernière campagne électorale genevoise, le Parti libéral n’a eu de cesse que de répéter que la lutte contre le blanchiment d’argent sale ne devait plus figurer parmi les priorités de la justice suisse.

L’entraide judiciaire en question

Spécialiste des dossiers difficiles, le nouveau juge fédéral Paul Perraudin reste un chaud partisan de l’entraide internationale.

Il vient pourtant de renvoyer aux Mexicains le dossier Raul Salinas, le frère de l’ancien président du Mexique qui est soupçonné d’avoir blanchi en Suisse des millions de dollars provenant du trafic de drogue.

Mais, pour des motifs obscurs, les autorités mexicaines n’évoquent plus de trafic de drogue. Elles parlent simplement de détournements de fonds.

Faire ce que les autres ne veulent pas faire

«Fort bien, souligne Paul Perraudin. Mais, si ils veulent récupérer l’argent volé dans les caisses de l’Etat, les Mexicains devront inculper et juger les responsables.»

En clair, il leur faudra poursuivre leur ancien président, Carlos Salinas, qui coule depuis 1995 une retraite tranquille en Irlande. Et là, il auront besoin du contenu des 300 classeurs du dossier instruit par la justice genevoise.

«Je continue à croire à un principe qui devrait être universel, lance le juge Laurent Kasper-Ansermet. Certains doivent faire ce que les autres ne veulent pas faire.»

swissinfo/Ian Hamel

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