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Anna Göldi, première «sorcière» réhabilitée?

Devant les juges, dans «Anna Göldin, la dernière sorcière», un film de Gertrud Pinkus, réalisé en 1991.

Le journaliste Walter Hauser a enquêté pendant trois ans sur le procès d'Anna Göldi, «dernière sorcière d'Europe», décapitée il y a 225 ans.

Le Conseil d’Etat de Glaris et l’Eglise protestante ont refusé de la réhabiliter, mais le Parlement a pris le relais.

Juriste de formation, le journaliste Walter Hauser est de ceux qui tirent le fil jusqu’au bout pour démêler une pelote. Après être parti sur la trace des grands procès criminels en Suisse au 20e siècle, et en avoir conclu que les femmes sont bien plus souvent reconnues coupables de meurtre que les hommes, il ne pouvait que se tourner vers une victime de choix, Anna Göldi (ou Göldin).

Cette servante a été décapitée à Glaris il y a 225 ans, officiellement pour empoisonnement – mais, pour le commun des mortels, pour sorcellerie. La «dernière sorcière» avait suscité à l’époque des commentaires consternés en Europe.

C’est là l’une des originalités du livre-enquête de Walter Hauser, «Der Justizmord an Anna Göldi» («Anna Göldi assassinée par la justice»): il a retrouvé les documents utilisés par deux journalistes allemands de l’époque, et dont l’un avait fait le déplacement à Glaris juste après la décapitation.

«La réhabilitation morale» suffit

Ces archives, de même que d’autres documents retranscrits pour la première fois, révèlent entre autres que le Conseil évangélique qui a jugé la servante n’avait aucune compétence légale pour le faire.

Les 180 pages de l’ouvrage offrent à Anna Göldi, femme apparemment sûre d’elle mais sans pouvoir face à un patron-amant influent qui risquait très gros pour ses faiblesses charnelles, une mini-réhabilitation. Car même en ce début de 21e siècle où les puissants s’excusent pour tout et rien, à Glaris, le Conseil d’Etat et l’Eglise protestante font de la résistance.

Pour le Conseil d’Etat, qui s’en est expliqué par écrit le 15 mai dernier, il est «douteux» que l’on puisse assumer aujourd’hui la responsabilité de ce qui est «sans conteste une erreur judiciaire» datant de 1782.

En outre, poursuit l’exécutif, Glaris a déjà fait beaucoup pour la réhabilitation morale d’Anna Göldi, cela «sans embellir les faits». Soutenir des publications et des travaux scientifiques est une sorte de réhabilitation «plus honnête» que des excuses proférées après coup, selon lui.

Pour Walter Hauser, à l’origine de la demande de réhabilitation, ce refus est «incompréhensible». Le journaliste y voit une certaine volonté de refoulement.

«Donner un signal positif»

«Et pourtant, affirme-t-il, ce serait un signal positif vers l’extérieur, car Anna Göldi serait, à ma connaissance, la première ou une des premières «sorcière» réhabilitées d’Europe! Il y en a déjà eu aux USA et des discussions ont lieu en Allemagne.»

Walter Hauser ne baisse pas les bras. «J’envisage de porter l’affaire devant la Fédération des Eglises protestantes de Suisse», annonce-t-il.

A Glaris aussi, les efforts se poursuivent. Une motion a été déposée au parlement cantonal juste avant l’été pour réclamer la réhabilitation d’Anna Göldi. Elle est cosignée par le sénateur radical Fritz Schiesser et par des politiciens cantonaux de tous les partis.

En attendant, le livre de Walter Hauser caracole parmi les meilleures ventes d’essais dans les librairies alémaniques. Pour l’auteur, «le retentissement s’explique, hier comme aujourd’hui, par le mélange de mysticisme, de suspense, de sexe et de crime – qui plus est dans les hautes sphères de la société – qui composait l’affaire.»

Secrets à jamais

Les archives n’ont cependant pas livré tous les secrets de l’affaire. «Il en restera toujours», estime Walter Hauser.

On ne sait par exemple pas pour quel motif exact – outre le fait d’avoir été renvoyée – Anna Göldi a elle-même lancé la machine judiciaire en déposant plainte contre son patron, qui plus est en réclamant réparation. Les documents sont lacunaires – «et nous avons cherché partout», insiste Walter Hauser.

swissinfo, Ariane Gigon Bormann, Zurich

«Der Justizmord an Anna Göldi» («Anna Göldi assassinée par la justice»), de Walter Hauser, Limmat Verlag.

Née à Sennwald (aujourd’hui dans le canton de St-Gall, mais territoire zurichois à l’époque) en 1734, Anna Göldi (ou Göldin) venait d’une famille pauvre. Célibataire, belle femme au grand charme, elle aurait eu trois enfants – les historiens ne sont pas unanimes.

Servante dès le mois de septembre 1780 à Glaris chez Johann Jakob Tschudi, médecin, politicien et juge influent à Glaris avec qui elle aurait eu des relations intimes, elle fut renvoyée en octobre 1781, après qu’on eut trouvé des épingles dans le lait de la deuxième fille de son patron, Annamiggeli, âgée de 8 ans. Celle-ci souffrait vraisemblablement de crises apparentées à l’épilepsie.

Accusée d’avoir empoisonné l’enfant, Anna Göldi fut l’objet d’un mandat d’arrêt, retrouvée alors qu’elle avait pris la fuite et emprisonnée en février 1782. Elle subit plusieurs séances de tortures et avoua avoir agi sous l’impulsion du diable.

Dans le dernier procès de sorcellerie d’Europe occidentale, elle fut condamnée à mort comme empoisonneuse (et non comme sorcière) et décapitée le 13 juin 1782, à 48 ans.

(Sources: Walter Hauser et «Dictionnaire historique de la Suisse»)

Le 225e anniversaire de l’exécution d’Anna Göldi est marqué par une profusion d’événements.

Un chemin Anna Göldi a par exemple été baptisé à Mollis, non loin de Glaris. La fondation veut non seulement maintenir vivant le souvenir de la servante, mais aussi s’engager pour les marginaux, les minorités et les victimes de l’arbitraire. Un prix devrait être décerné régulièrement.

Le 22 septembre 2007 sera ouvert un Musée Anna Göldi à Mollis, à côté de la «Maison Zwicky», qui pourra être visitée, où Anna Göldi a vécu six ans.

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