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Fusillade en Valais: la presse suisse sous le choc

Daillon, petit hameau valaisan soudain propulsé sous le feu des projecteurs. Keystone

Au surlendemain de la tuerie qui a fait trois morts et deux blessés dans un village valaisan, les quotidiens suisses affichent stupeur et consternation à la Une. Si la plupart des éditorialistes dénoncent l’accès trop aisé aux armes à feu, certains préfèrent s'en remettre à la fatalité.

«Daillon, paisible hameau plongé dans l’horreur», titre 24heures ce vendredi. Comme la plupart des gazettes suisses, le quotidien vaudois n’hésite pas à faire le parallèle entre le drame valaisan et la tragédie de l’école de Newtown, qui avait fait 26 morts le 14 décembre dernier dans le Connecticut. Mercredi soir, un Suisse de 33 ans, aux antécédents psychiatriques connus, a abattu trois femmes en pleine rue et blessé deux hommes à Daillon, petit village viticole perché sur les hauteurs de Sion.

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Les Suisses et leurs armes

Ce contenu a été publié sur Le tir en campagne comme fête populaire, le fusil d’assaut à la cave, le stand comme lieu de convivialité: les armes sont étroitement liées aux traditions suisses. Pour une large part de la population, elles évoquent plus les batailles du passé que les guerres, les meurtres ou les suicides du présent. (Rédaction images: Christoph Balsiger,…

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«Trois morts sous les balles d’un tueur fou. Pas aux Etats-Unis, pays dont les déchaînements de la violence sont devenus si fréquents qu’ils nous semblent désormais faire partie du quotidien. Trois morts à quelques kilomètres d’ici, des morts de chez nous, tombés sous les balles d’un tireur de chez nous», écrit la Tribune de Genève.

«Et si nous commencions à faire le ménage ici?», s’interroge Le Temps. Car la tuerie de Daillon relance une nouvelle fois un débat récurrent en Suisse. «Il ne s’est même pas écoulé deux ans depuis le dernier débat acharné sur l’accès libéral aux armes à feu», rappelle le Bund de Berne.

Au final, le peuple s’était exprimé clairement contre une initiative qui visait à bannir les armes militaires du domicile et à réglementer plus sévèrement la possession des armes à feu. «Le drame de Daillon a remis de manière brutale la controverse sur le devant de la scène. Qu’un habitant d’un petit village, où tout le monde se connaît, tire sur ses concitoyens et tue trois femmes choque et nous laisse sans voix», affirme le quotidien bernois.

Les Suisses sont amateurs d’armes à feu et, selon des chiffres non confirmés, il y en aurait deux millions d’exemplaires détenus dans les foyers, dont un grand nombre de fusils d’assaut et de pistolets appartenant à des soldats ou d’anciens soldats.

Il n’est pas rare de croiser dans les trains, le dimanche soir, des recrues suisses qui rejoignent leurs casernes équipées de leur fusil d’assaut. Le service militaire en Suisse ne se fait pas d’une seule traite. L’école de recrue est suivie de plusieurs cours de répétition de trois semaines, qui sont organisés pendant la vie professionnelle. Et les Suisses gardent tout leur équipement, y compris leur fusil d’assaut, chez eux, jusqu’à la fin des périodes de service militaire.

Les Suisses s’adonnent aussi volontiers au tir sportif, une activité pratiquée dans le cadre de sociétés de tirs très présentes sur le territoire. La prolifération des armes a été dénoncée maintes fois par des organisations de défense des droits de l’homme, les Églises, les syndicats et les partis politique de gauche.

Plusieurs drames provoqués par des armes à feu ont eu lieu en Suisse ces dernières années. En 2001, un tireur fou a pénétré dans le Parlement cantonal de Zoug, faisant 14 morts. Ancienne championne de ski, Corinne Rey-Bellet a été abattue en 2006 par son mari, qui a également tué son frère. Enfin, en 2009, un soldat a tué une adolescente à un arrêt d’autobus avec son fusil d’assaut.

Un initiative populaire a été lancée pour mieux réguler les armes à feu, mais elle a été repoussée par la majorité des Suisses en février 2011.

2’000’000 d’armes dans les foyers

«Même si ce pays connaît un pourcentage d’homicides par armes à feu relativement faible par rapport au reste du monde, nous connaissons un taux de meurtres familiaux ou communautaires élevé. Trop élevé», ajoute Le Temps. Selon des estimations, il y aurait environ 2’000’000 d’armes détenus dans les foyers suisses, dont un grand nombre de fusils d’assaut et de pistolets appartenant à des soldats ou d’anciens soldats. «Chacune est une menace», soutient le journal édité à Genève.

Mercredi soir, le tueur a tiré avec au moins deux armes  – un mousqueton de l’armée suisse, qui n’est plus utilisé depuis des années, et un fusil à grenailles – dont la provenance est inconnue. Le député de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) Yvan Perrin avoue dans les colonnes du Matin posséder lui-même 5 ou 6 mousquetons à la maison «par héritage». «Mais c’est problématique, dit-il: la loi parle du devoir de diligence de celui qui vend ou lègue une arme comme le mousqueton. Or, la plupart du temps, il n’y a pas de contrat de vente ou celui-ci n’est pas transmis à la police».

Bien sûr, même avec une législation plus sévère, le bain de bang n’aurait certainement pas pu être évité, estime le Bund. «Mais le fait qu’il [le tueur de Daillon] possède ces armes révèle le cœur du problème: il y a beaucoup trop d’armes à feu dans les ménages suisses.» On ne pourra pas éviter tous les drames, renchérit Le Temps, «mais en prendre prétexte pour ne rien faire est insupportable. Car personne n’a en réalité envie de s’attaquer au puissant lobby des armes et de réviser la législation fédérale insuffisante».

L’Express de Neuchâtel est encore plus remonté: «Les ‘partisans’ des armes à feu parlent souvent de liberté individuelle et de sécurité personnelle. Mais quelle est cette liberté, quelle est cette sécurité qui peut nous conduire à nous retrouver, un jour, dans le viseur d’un tireur fou? C’est justement au nom de la liberté et de la sécurité qu’il faut restreindre l’accès aux armes à feu.»

«Nul n’est invulnérable»

Les journaux conservateurs se montrent pour leur part bien plus nuancés, préférant s’en remettre à la fatalité et à la nature humaine. «L’homme est un loup pour l’homme», tient ainsi à relever Le Nouvelliste, le quotidien du Valais francophone. «Aucune civilisation cultivée, aucune nation forte ou fragile, aucune métropole richement dotée, aucun village à flanc de coteau ensoleillé, aucune famille normale n’est et ne sera jamais à l’abri d’une explosion hyperviolente».

Même tonalité dans les colonnes de la Neue Zürcher Zeitung (NZZ): «L’horreur du bain de sang valaisan réside dans son inexplicabilité». De nombreux facteurs sont en cause, souligne la NZZ: l’alcool, la drogue, une personnalité perturbée, un réseau relationnel complexe, l’accès libre aux armes. Laisser croire qu’une réglementation plus stricte, une surveillance plus efficace et des forces policières mieux dotées puissent résoudre à elles seules le problème relève de l’ordre du mythe, affirme le quotidien zurichois.

De telles mesures donneraient le sentiment d’une sécurité absolue, qui est en réalité un leurre. «C’est peut-être là que réside le premier enseignement de la terrible et inexcusable tuerie valaisanne: même le canevas le plus dense d’interdictions, d’obligations réglementaires et de de mesures bien rodées n’enlèvera rien au risque qu’un tel acte se reproduise à nouveau. Car nul n’est invulnérable».

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