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Art Basel, la mère de toutes les foires

Art Basel 1975. La manifestation est à la fois lieu de rencontre et plateforme de vente. Keystone

Il y a 40 ans, l'idée d'exposer de l'art dans des halles de foire comme des réfrigérateurs avait fait scandale. Le succès a pourtant été constant et Art Basel est rapidement devenue la plus grande foire de son genre au monde.

Ce qui sautait en premier aux yeux des 61’000 visiteurs d’Art Basel 2009, c’est la croix en bois de 12 mètres de haut de l’artiste suisse Valentin Carron, installée sur la place de la foire. Noire comme une croix funéraire, elle évoquait peut-être la fin d’une certaine euphorie sur le marché de l’art, due à la crise économique.

Marque d’un tournant sur le marché de l’art ? La toile géante d’Andy Warhol, que le galeriste zurichois Bruno Bischofberger comptait vendre pour 80 millions de francs n’a pas trouvé preneur. Décevant, pour un artiste qui disait que «l’art des affaires est l’étape qui succède à l’art».

Mais tandis que d’autres foires doivent annuler une partie de leurs manifestations et que des galeries de Londres ou de New York restent vides, Art Basel affronte la crise la tête haute.

Anna Helwing, de la fameuse galerie suisse Hauser & Wirth, ne se fait en tout cas pas de souci pour l’avenir de la manifestation bâloise. Pour elle, «Art Basel est la mère de toutes les foires. Et s’il n’en reste qu’une, ce sera celle-là».

«Ouverte à tous»

De fait, la plus grande et la plus prestigieuse foire d’art du monde est bien un must pour les collectionneurs et les amateurs. Et pour les galeries, une participation à Art Basel a valeur de distinction. Sur les 1100 qui s’étaient annoncées pour la 40e édition (un record), 308 seulement ont été choisies.

Il n’en a pas toujours été ainsi. Quand les galeristes Trudl Bruckner, Balz Hilt et Ernst Beyeler ont fondé la manifestation en 1970, chacun pouvait venir y exposer ses œuvres s’il le souhaitait.

«La foire d’art de Bâle a été fondée en réaction directe à celle de Cologne, explique Annette Schönholzer, co-directrice d’Art Basel. A l’époque, les Bâlois voulaient une foire ouverte, à laquelle tout le monde puisse participer».

A la différence de la foire de Cologne, la première du genre, fondée en 1967 (aujourd’hui Art Cologne), qui n’admettait presque que des galeries allemandes, Art Basel a eu dès le départ une vocation internationale.

La manifestation bâloise se présentait comme une sorte de contre modèle du très fermé «cartel de l’art de Cologne», comme l’écrivait alors le journal allemand Die Zeit. Et le succès de leurs concurrents suisses fut tel que les organisateurs de la foire de Cologne allèrent jusqu’à appeler au boycott de celle de Bâle.

Dès 1973, Bâle dépassa Cologne et devint la plus grande foire d’art au monde, ce qu’elle est restée jusqu’à ce jour.

Bien de consommation

Mais à l’époque, tout le monde n’était pas convaincu. Sortir l’art des musées et des galeries pour venir l’exposer dans une halle de foire, comme des machines à coudre, des meubles ou du vin, l’idée a soulevé de violentes discussions.

«C’est la première fois que les galeristes revendiquent si ouvertement leurs ambitions commerciales et démentent ainsi enfin l’image sentimentaliste qui voudrait en faire des idéalistes au service de l’art. Il n’a jamais été aussi clair que l’art est une marchandise, un bien de consommation», commente alors un reporter de la télévision allemande.

Ce qui a pu choquer au début est désormais totalement entré dans les mœurs: aujourd’hui, il existe dans le monde près de 600 foires comme celles de Cologne et de Bâle.

Du chaos à l’événement

Si Art Basel est devenu une grosse machine parfaitement organisée, la première édition a été passablement chaotique et improvisée. Ainsi, les premières sculptures crachant de l’eau réalisées par Jean Tinguley avaient-elle transformé le sol en marécage, car personne n’avait pensé aux écoulements. Et longtemps après l’ouverture de la foire, on n’avait toujours pas fini de déballer les tableaux.

En se professionnalisant, Art Basel s’est aussi développée, au point de ne plus être simplement un endroit où l’on vend de l’art. Lorenzo Rudolf, qui fut son directeur de 1991 à 2000, a commencé à l’élever au rang d’événement, notamment en introduisant des critères de sélection et un label de qualité pour les galeries participantes.

Son successeur Sam Keller a étendu le concept, en organisant des rendez-vous non commerciaux au sein de la foire et en l’ouvrant à de nouvelles formes d’art. C’est aussi lui qui a fondé la manifestation-sœur Art Basel Miami Beach.

Tribune populaire

Art Basel reflète les tendances. Non seulement celles des artistes, mais aussi celles des acheteurs. Et cela se voyait déjà avant la crise économique, lorsque l’art contemporain servait notamment d’objet de spéculation.

ainsi, l’édition 2008 s’orientait vers les œuvres sculpturales et monumentales, afin de répondre à la demande d’une nouvelle classe de collectionneurs, que le co-directeur Marc Spiegler nomme la «Loftgeneration».

«Les foires d’art sont des tribunes populaires très regardées, sur lesquelles l’art se donne à voir en tant que révélateur de l’époque. […] Ce qui détermine leur succès, ce ne sont pas les spécialistes, mais les nouvelles masses qui ont avidement intégré dans leur vision du monde la bigarrure anarchique de l’art contemporain», écrit le critique Hans-Joachim Müller dans Looking back at Art Basel, un ouvrage paru récemment et illustré par les images du photographe suisse Kurt Wyss.

Les atouts de Bâle

Reste que l’on peut se demander pourquoi la plus grande foire d’art du monde a lieu en Suisse. «Bâle est au croisement de trois pays, on y vient facilement de partout et la ville dispose d’une riche offre culturelle et d’un bon réseau de collectionneurs», explique Annette Schönholzer.

Sans oublier les avantages fiscaux et légaux, qui jouent aussi certainement un rôle. Ainsi, contrairement à l’Union européenne, la Suisse n’oblige pas encore les galeries qui revendent une œuvre à reverser une partie du bénéfice à l’artiste.

Un autre point important pour le succès d’Art Basel, c’est la fidélité de son sponsor principal, UBS. Malgré toutes les plumes qu’elle a perdu dans la crise, la banque sera à nouveau présente l’an prochain, comme l’assure Marc Spiegler.

Corinne Buchser, Bâle, swissinfo.ch
(Traduction et adaptation de l’allemand, Marc-André Miserez)

La 40e édition s’est tenue du 16 au 20 juin 2009. Elle a attiré quelque 61’000 artistes, collectionneurs, curateurs et amateurs d’art. En 2008, la foire avait enregistré 60’000 entrées.

Côté exposants, plus de 300 galeries de 29 pays étaient présentes à Art Basel 2009, avec les œuvres de plus de 2500 artistes.

Selon les organisateurs, tant les galeristes que le public ont qualifié cette 40e édition de très forte, montrant clairement que le segment de la qualité sur le marché de l’art se porte bien malgré la crise économique.

Art Basel s’accompagne aussi de nombreuses manifestations parallèles, comme «Liste 09 – The Young art Fair», «Design Miami/Basel», ou des expositions spéciales présentées par les musées bâlois.

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