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Asile: la solution grisonne des containers

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Face à l'afflux massif de demandeurs d'asile, les Grisons relogent des requérants déboutés dans des containers. La mesure, destinée à libérer des places pour de nouveaux arrivants, pourrait inspirer d'autres cantons alarmés par la hausse des demandes. Reportage à Landquart.

D’ici la fin de l’année, quelques 13’000 à 14’000 demandeurs d’asile pourraient arriver en Suisse, estimait Eduard Gnesa, directeur de l’Office fédéral des migrations (ODM), le mois dernier. De janvier à fin septembre, 10’351 nouvelles demandes d’asile ont été déposées, ce qui représente une augmentation de 29,4% par rapport à la même période de 2007.

Les cantons tirent la sonnette d’alarme. Plusieurs d’entre eux estiment ne pas être en mesure de répondre à cette hausse et craignent de manquer de lits en cas d’urgence. Mais dans les Grisons, les autorités ne veulent pas entendre parler de l’aménagement de nouveaux foyers.

C’est pourquoi, le canton a décidé de reloger les requérants déboutés dans des containers, afin de faire de la place aux nouveaux arrivants.

De l’isolement à la précarité

Ahmed, un Algérien de 36 ans, et sept autres demandeurs d’asile déboutés sont au bénéfice de l’aide d’urgence. Ils viennent juste de passer leur sixième nuit dans l’un des trois containers installés sur un petit terrain en friche de la zone industrielle de Waldau/Landquart, au nord de Coire.

Ces hommes, quatre Algériens, trois Iraniens et un Afghan, âgés entre 30 et 40 ans, attendent d’être renvoyés vers leur pays, ou accessoirement qu’un miracle ne les tire de ce mauvais pas.

Avant d’être dirigés dans ces abris de fortune, ils étaient logés au foyer dit du Flüeli, à Valzeina, un hameau accroché au sommet d’une montagne rocheuse qui surplombe la bourgade de Landquart. Certains d’entre eux y ont séjourné jusqu’à dix mois.

Avant cela, ils ont vécu de longues années aux Grisons, comme Ahmed, qui est aussi le père d’un garçonnet de sept ans, qu’il a eu avec une Suissesse de la région.

«C’est mon fils qui me retient. Autrement, comment accepter un tel traitement ?», s’interroge cet homme qui était chanteur dans son pays. Moncef, son compagnon est arrivé ici il y a six ans. Entre lassitude et crainte que ses propos ne se retournent contre lui, il préfère garder le silence.

Place aux nouveaux arrivants

Les huit hôtes du Flüeli, avaient été informés de ce changement de situation, par une lettre des autorités grisonnes reçue la veille de leur déménagement. Motif invoqué: céder la place aux nouveaux requérants d’asile, sur le point d’arriver dans le canton.

Trois containers de 2,5 mètres sur 6 chacun, forment leur nouvelle demeure. Soit deux dortoirs et un réfectoire. Une douche et une toilette se trouvent dans une cabane adjacente.

A l’intérieur, pas de placards pour les effets personnels, pas de téléphone, pas de télévision, «et même pas de machine à laver pour nos vêtements», soupire Ali, l’un des Iraniens, qui n’en revient toujours pas d’avoir atterri ici. «Je ne pensais pas tomber si bas», confie-t-il.

«Il y a container et container»

Pour Heinz Brand, la recette grisonne est la bonne: «Nous appliquons une politique stricte et cohérente en matière d’asile et elle porte ses fruits, puisque ces dernières années, nous n’avons jamais eu de problème majeur dans ce domaine», explique avec satisfaction le chef de la division cantonale de la police et du droit civil.

En cas d’afflux majeur de demandeurs, le Grison se dit aussi «prêt à aménager des containers supplémentaires» pour y reloger les candidats déboutés et d’ajouter «ce ne sont pas des poubelles, il s’agit de structures habitables !».

«Ces personnes pourront y rester aussi longtemps qu’elles le désirent», ajoute le fonctionnaire qui précise néanmoins que les autorités grisonnes ne sont pas insensibles aux cas humanitaires. Mais selon lui, «ce n’est pas le cas des huit candidats déboutés».

«Un véritable Etat policier»

A l’Office fédéral des migrations (ODM), on admet ne pas avoir connaissance d’autres cas de relogements dans des containers. «Mais c’est aux cantons de choisir la manière d’appliquer l’aide d’urgence, dans les limites du respect de la dignité humaine», précise Jonas Montani, chef de l’état-major des communications de l’ODM.

«Ce canton est un véritable Etat policier ! Je ne comprends pas que l’on puisse infliger un pareil traitement à des êtres humains. Les autorités grisonnes chicanent inutilement ces malheureux avec des règlements aussi pointilleux qu’absurdes», s’insurge pour sa part Daniel Stirnimann-Gentsch, de l’association d’aide aux requérants «Miteinander Valzeina».

Aux Grisons, l’affaire des containers n’a donné naissance à aucune polémique au sein de l’opinion publique ou au sein de la classe politique. La population semble approuver la ligne de conduite des autorités. Une recette qui va peut-être inspirer d’autres cantons.

swissinfo, Nicole della Pietra à Landquart

Actuellement, 8 personnes résident dans ces containers situés dans la zone industrielle de Waldau, à Landquart. Les containers sont chauffés et dotés d’installations sanitaires et d’un coin cuisine. Les hôtes des containers doivent quitter les lieux entre 8 heures et 17 heures. Ils reçoivent un pécule de 7 francs 30 par jour pour se nourrir et subvenir à leurs besoins.

La Confédération attribue un forfait financier unique de 6’000 francs aux cantons pour chaque requérant débouté et au bénéfice de l’aide d’urgence.

Les autorités grisonnes avaient déjà recouru à cette solution transitoire en 2006.

En septembre 2006 plus de deux tiers des Suisses ont approuvé en votation la nouvelle loi sur l’asile et la loi révisée sur le séjour des étrangers, qui autorise le renvoi dans les 48 heures de tout demandeur dénué de papiers d’identité en règle et qui ne peut donner de motifs valables pour son séjour.

La Suisse a signé des accords de réadmission avec une quarantaine d’Etats. Mais parmi les pays d’origine des migrants, certains invoquent des problèmes et refusent d’accueillir leurs ressortissants.

Actuellement, la capacité des cantons est de 10’000 places. Il en faudrait 12 à 13’000 pour répondre aux besoins croissants. La Thurgovie, Saint-Gall, Lucerne et Berne sont les cantons qui redoutent le plus de ne pas pouvoir faire face à la hausse des demandes.

Trois unités d’urgence ont été ouvertes à Chiasso, Bâle et Kreuzlingen, et comprennent en tout quelques centaines de lits. En cas d’afflux massif, le ministère de la Défense pourrait mettre trois bâtiments supplémentaires à disposition de la Confédération.

Sur les 10’390 demandes présentées en Suisse en 2007, 1561 ont été acceptées.

Un migrant expatrié permet généralement de faire vivre plusieurs membres de sa famille dans son pays d’origine.

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