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Comment la Banque nationale gère la richesse de la Suisse

Trois raisons qui plaident pour un nouveau taux plancher

Fabio Canetg

Les mesures prises par la Banque nationale suisse pour atténuer les effets de la crise du Covid-19 sont ciblées et efficaces, mais elles ne suffiront pas à assurer la stabilité des prix. Trois raisons plaident pour la réintroduction d’un taux plancher qui lie le franc suisse à l’euro.

Ce n’est pas encore Noël, mais la Banque nationale suisse (BNS) fait déjà des cadeaux. En réaction à la crise provoquée par le coronavirus, elle a généreusement offert aux banques un apport de liquidités, assoupli les exigences en matière de fonds propres et abaissé la charge des taux d’intérêt négatifs. Cela permet aux institutions bancaires d’accorder plus facilement des crédits à l’économie réelle.

Mais les prix chutent malgré ces mesures. Les instruments usuels ne sont tout simplement pas suffisants pour contenir l’inflation. Nous avons maintenant besoin de courage et de créativité: voici trois arguments qui plaident en faveur d’un nouveau taux plancher du franc suisse face à l’euro.


La crise du Covid-19 est arrivée à un moment peu propice pour la BNS. En février, alors que l’Europe pensait encore que les impacts du coronavirus seraient légers, le taux d’inflation était en Suisse de -0,1 %. Cela peut sembler une bonne chose pour les consommateurs. Mais pour les entreprises, cette baisse des prix est problématique, car elles ont ensuite de la peine à maintenir leurs niveaux de salaires. C’est pourquoi la loi oblige la BNS à éviter un taux d’inflation négatif sur une trop longue durée.

La Banque nationale n’y est pas parvenue. Les chiffres négatifs de février se sont prolongés en mars avec un taux de -0,5 % et -1.1 % en avril. Les données en provenance de l’étranger indiquent que cette tendance n’est pas temporaire. L’une des raisons est la paralysie du tourisme: comme plus aucun avion ne décolle, le prix du pétrole a chuté.

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Après la période de confinement, les commerces devront proposer des rabais pour faire revenir leur clientèle. Ce qui fera encore baisser le taux d’inflation. Une bonne nouvelle pour les consommateurs, une mauvaise pour les entreprises.

Si la BNS veut maintenir une inflation positive, elle doit agir.


En théorie, la banque centrale lutte contre un taux d’inflation trop faible en réduisant les taux d’intérêt, ce qui permet de diminuer le chômage et d’augmenter les salaires. Cela a aussi pour effet d’augmenter les coûts de production et donc les prix.

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Mais cette technique ne fonctionne pas lorsque les taux d’intérêt sont déjà négatifs, car les entreprises ne réagissent plus à leurs variations. Comme le taux directeur de la BNS se situe déjà à -0,75 %, de nouvelles réductions ne permettront pas de stabiliser l’inflation.

L’achat massif d’obligations, comme cela se fait en Europe et aux États-Unis, n’est pas possible à l’échelle de la Suisse, car le marché est trop petit. De plus, les taux d’intérêt des obligations fédérales sont déjà très bas, ce qui remet en question l’efficacité d’une telle approche.

Une idée intéressante en théorie serait de relever l’objectif d’inflation, afin de stabiliser l’évolution des prix. Cela signifie que la BNS injecterait de l’argent dans l’économie jusqu’à ce que les commerces soient à nouveau envahis de clients, malgré les restrictions en vigueur pour lutter contre la propagation du coronavirus.

La Banque nationale ne devrait toutefois pas adapter seule l’objectif d’inflation et une telle approche ne serait efficace que si elle était crédible — ce dont on peut douter au vu de la situation pandémique actuelle.

La seule alternative qui reste est l’instauration d’un taux plancher. Cette mesure serait efficace si le taux était fixé au-dessus de l’actuel taux de change. Cela permettrait de rendre les importations plus chères, ce qui aurait un effet positif sur l’évolution des prix du marché intérieur.


La fixation d’un taux plancher explicite en cas de crise n’est pas seulement nécessaire pour des raisons de politique monétaire, mais également pour des exigences de transparence. De façon inofficielle, la BNS défend déjà un taux de change minimal de 1,05 CHF pour 1 euro.

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Un taux plus élevé pourrait être soutenu de manière crédible par des interventions sur le marché des devises. Une telle politique permettrait à la BNS de montrer qu’elle prend au sérieux son objectif de stabilisation des prix.

En revanche, la politique qui entend fixer un taux plancher inofficiel est moins fiable, surtout si elle ne parvient pas à stabiliser le taux d’inflation.

Une cible souvent manquée

Le cadeau de Noël prématuré de la BNS aux instituts bancaires a constitué un premier pas important vers une stabilisation de la situation économique. Mais la chute des prix dans une multitude de branches continue d’être un fardeau.

Si la Banque nationale veut apporter son aide dans ce domaine, elle doit se diriger vers un nouveau taux plancher. Sinon, elle risque de manquer une fois de plus son objectif de stabilisation des prix, comme elle l’a fait durant 67 des 136 derniers mois qui se sont écoulés depuis la récente crise économique.

L’auteur Fabio CanetgLien externe est spécialiste en macro-économie et doctorant à l’Université de Berne.

Lectures complémentaires: Brunnermeier, Markus K., and Yann Koby (2020), «The Reversal Interest Rate» NBER Working Paper No. 25406; Svensson, Lars E.O. (2003), «Escaping from a liquidity trap and deflation: The foolproof way and others» Journal of Economic Perspectives, 17.4: 145-166; Daniel Kaufmann (2020), «Wie weiter mit der Tiefzinspolitik? Szenarien und Alternativen», IRENE Policy Report 20-01.

Traduction de l’allemand: Marie Vuilleumier

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