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BD: le héros de Gion Capeder, c’est l’adolescence

Comme son héros sans nom, Gion Capeder a commencé la bande dessinée dès l’école primaire. SP

Une couverture jaune-vert amande avec un ado à la bouche triste, rien d’autre. Il faut entrer dans ce joli livre pour découvrir le titre, «Le 7», et l’auteur, Gion Capeder. Un nouveau venu de talent dans la bande dessinée suisse.

Malgré son nom descendu tout droit des vallées grisonnes, Gion Capeder, 40 ans, est né et vit à Fribourg. Mis à part deux ans à Berlin, où il a réalisé son album. Où tout se passe à Fribourg.

«C’est paradoxal mais, après quelques mois passés à Berlin, je me suis rendu compte que mon histoire devait se dérouler à Fribourg, explique Gion Capeder. Je devais montrer qu’on était dans une petite ville qui donne envie de partir parce qu’on a l’impression d’y vivre un peu en dehors du monde.»

Le 7 baigne dans une atmosphère de chagrins à demi-mots et de solitude en clair-obscur qui rappelle un peu les romans de Patrick Modiano. Un sentiment de nostalgie augmenté par la ligne claire choisie pour le dessin. Mais en même temps, Gion Capeder livre un premier album résolument contemporain et prometteur.

Scénario complexe et ligne claire…

En résumé, un 7 juillet (d’où le titre) le héros sans nom de l’histoire, un jeune homme de 16 ans, cabossé par le divorce raté de ses parents peu présents, pique la voiture de sa mère dépressive et tue un motard. Il évacue sa culpabilité sur son alter ego féminin, Marie, qu’il se crée en dessinant une BD. Mais ce scénario à étages est beaucoup plus subtil et complexe que cela, avec une économie de mots qui ne fait que mettre en valeur une narration dense comme une nouvelle, «ou un ‘roman graphique’ à l’américaine, mais moi j’appelle cela une bande dessinée», corrige l’auteur.

Quant à la ligne claire et rigoureuse du dessin, à l’atmosphère des couleurs terre, des lumières et des ombres du jour et de la nuit, elles donnent une idée du peintre qu’a été Gion Capeder dans sa jeunesse. Avec des influences revendiquées de «la bande dessinée alternative américaine des Chris Ware ou Daniel Clowes».

Mais aussi du cinéma, puisque l’un des points de départ de l’album plonge notamment dans le film Bullit (1968), où Steve McQueen se lance dans une course poursuite mythique au volant de sa Ford Mustang dans les rues vertigineuses de San Francisco. «Petit, je m’identifiais un peu à Steve McQueen, mais ma mère n’avait ni permis, ni voiture… Alors j’ai imaginé cet ado qui rêve de grands espaces en fonçant dans la Ford Fiesta de sa mère dans les rues de Fribourg! J’ai créé une métaphore où il veut ‘faire comme’ mais il ne le peut pas, alors il doit y avoir un drame: l’accident.»

Téléphone mobile, ordinateur, les techniques sont contemporaines, avec des photos de la ville prises au portable et redessinées ensuite, en simplifiant, «pour fluidifier la lecture et trouver une homogénéité graphique». La suite est plus classique, avec encrage à la main, scannage et enfin mise en couleur à l’ordinateur «pour obtenir l’effet d’à-plat que je cherchais».

…philosophie et histoire de l’art

«Je me suis forcément inspiré de ma propre adolescence, pas au niveau des événements que traverse mon personnage (je n’ai tué personne!), mais mon histoire est née d’une envie de parler de certaines choses, d’utiliser certaines images que j’avais gardées en moi et qui me travaillaient.»

Gion Capeder voulait parler de la culpabilité, du mal-être de l’adolescence, de la difficulté de communiquer. «Mes études de philosophie m’ont donné la passion pour les histoires de l’esprit, de la souffrance intérieure, que je ne décris pas vraiment car je préfère rester dans le non-dit pour laisser de la place à l’imagination du lecteur.» Tout en lâchant quelques bouffées dans les bulles, du genre: «Le problème, c’est pas le divorce, le problème, c’est qu’il (mon père) ne dit rien.»

Il est aussi question de l’histoire de l’art en général, ainsi que des affres vécus et du salut apporté par la création artistique: le héros, comme l’auteur enfant, se sauve en dessinant des BD. «C’était important pour moi de donner un commentaire sur ma conception de l’art, de sa place (sans prétentions ni ambitions), de montrer qu’on peut trouver une issue à ses tourments par le dessin, car le dessin, c’est ce qui reste à mon personnage un peu solitaire.»

De la BD à la BD, la boucle est bouclée

Comme son héros sans nom, Gion Capeder a commencé la bande dessinée dès l’école primaire. «Comme je n’avais pas trop d’idées de scénario, je passais le plus clair de mon temps à dessiner des couvertures!»

Au collège, il s’est lancé dans la peinture, «genre expressionnisme allemand». «Mais, en 1995, j’ai vu une rétrospective de Bruce Nauman au Kunstmuseum de Zurich et j’ai alors renoncé à la peinture, car j’ai compris que ce n’était pas ma voie, même si j’en ai gardé plein d’idées et d’influences.»

Toujours en autodidacte, Gion Capeder a tâté de la sculpture, des installations, de la vidéo, avant de «mettre tout cela de côté» en 2001, en devenant directeur du festival artistique fribourgeois du Belluard.

«J’ai démissionné en 2007 parce que je voulais revenir à mes activités et je suis parti à Berlin. J’avais des idées, des envies de parler de certaines choses qui me trituraient, je voulais travailler sur une narration. Et puis, comme j’avais aussi envie de dessiner, la bande dessinée est venue très naturellement et voilà que, d’une certaine manière, je suis revenu à mes sources!»

Aujourd’hui, plus de mille exemplaires ont été vendus en cinq mois et Le 7 vient d’être réédité. En attendant la suite? «J’ai un nouveau projet mais il n’en est qu’à ses balbutiements. Je suis dans la phase délicate qui consiste à décider si je dois m’y investir ou non.» Ce n’est qu’un début, conclut-il: «Il faut travailler, mais j’ai trouvé ma direction!»

Fribourg. Né à Fribourg en 1971, où il suit des études de Lettres (philosophie et histoire de l’art).

Autodidacte. A commencé la bande dessinée dès l’école primaire et, une fois au collège, s’est lancé dans la peinture. Il a toujours gardé un lien avec les arts, toujours en autodidacte, en passant par différentes techniques, sculpture, installations.

Jobs. Tout en gagnant sa vie avec des traductions, illustrations, peintures murales, mais aussi comme peintre en bâtiment. Il a travaillé comme aide de cuisine pendant un an, mais a aussi comme technicien au centre d’art contemporain de Fribourg FriArt, etc.

 

Belluard. Il est directeur du Festival Belluard Bollwerk International de 2001 à 2007.

Le 7. En 2010, après avoir passé deux ans à Berlin, il publie Le 7, sa première bande dessinée, qui connaît un succès médiatique et dont les 1000 premiers exemplaires se vendent en quelques mois (réédition au début de 2011).

2011. Il a participé au Salon du livre de Genève, exposera au Simics Festival de Sierre (17-26 juin 2011) et sera présent pour la 7e édition de BD-FIL à Lausanne, du 9 au 11 septembre.

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