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Bernard Liègme: «Je ne suis qu’un greffier…»

Bernard Liègme tel qu'il apparaît sur la couverture de 'Théâtre II'. Ed. Campiche

Il était temps de rendre à Bernard Liègme, acteur, auteur, metteur en scène, tout ce qu’il avait donné au théâtre durant cinquante années de passion. C’est ce que l’éditeur Bernard Campiche vient de faire, en deux volumes.

Dans sa collection «Théâtre en camPoche» et en deux volumes, pour un total de plus de 1000 pages, Bernard Campiche a donc réuni les pièces écrites par Bernard Liègme, cet homme-orchestre de la scène et de l’écriture romandes.

Même si ce qu’on appelle «le grand public» l’ignore, les vrais amateurs de théâtre connaissent son nom, c’est une évidence. Pensez! Cela fait depuis les années cinquante du siècle passé qu’il se passionne pour le théâtre. Autant dire que sa présence dans ce petit univers remonte à très loin dans le temps…

Pourtant, comment ne pas dire à ceux qui ne le savent pas, qu’il existe, en terre romande, des auteurs dramatiques contemporains imaginatifs et talentueux? Je pense à Michel Viala, ce Genevois qui chevaucha la folie de son imaginaire durant toute son existence. Je n’oublie pas non plus Jacques Probst et Louis Gaulis. Tous sont essentiels à la scène théâtrale romande.

Mais revenons à Bernard Liègme. Natif du Locle en 1927. Plus tard, il fit des études de lettres à l’université de Lausanne. Devenu professeur, il enseigna à l’école supérieure de jeunes filles (en ce temps-là, pas si lointain d’ailleurs, filles et garçons étudiaient séparément), puis au gymnase. C’est alors que le théâtre frappa (les trois coups, évidemment!) à la porte de sa vie… même si cette passion était déjà présente, en lui, depuis belle lurette.

Des «Faux-Nez» au «Barbare»

D’abord, il devint comédien avec Charles Apothéloz et la troupe des fameux Faux-Nez, caveau lausannois célèbre en ce temps-là. Je me souviens du comédien Fernand Berset, qui était mon voisin de palier, lorsque je hantais les Escaliers-du-Marché, et que je gîtais au-dessus du très réputé «Barbare».

Le Barbare était le bar à la mode de la ville. On y rencontrait des Jacques Chessex, des petits truands, des poètes comme Gander, des comédiens, des musiciens, des artistes-peintres, toute une faune bigarrée qui donnait à cet endroit une atmosphère digne des romans de Francis Carco.

Et je dois dire qu’en lisant les pièces écrites par Bernard Liègme je retrouve cette ambiance indéfinissable, pleine d’émotion, qui se situait entre complainte brechtienne et ironie sociale qui était le propre de la création théâtrale de ces années-là.

L’aventure du TPR

Il a aussi travaillé quelque temps avec le metteur en scène Jean Kiehl, mais le fait d’être comédien ne lui suffisait pas. Les démons de la création le harcelaient. C’est ainsi qu’avec un complice nommé Marcel Tassimot, en 1959, il s’associe à la mise en œuvre d’un chantier très ambitieux : le Théâtre Populaire Romand (TPR). L’expérience sera pleine de difficultés et, dans un premier temps, périclitera assez rapidement.

C’est avec l’appui d’un autre monument de la scène théâtrale romande, Charles Joris, que, deux ans plus tard, il relance l’expérience. Le Nouveau Théâtre populaire romand, connaîtra des heures de gloire. Les pièces de Bernard Liègme, très politiquement engagées, comme «Les murs de la ville» (1961), «Le soleil et la mort» (1966), puis «Les Augustes» (1972).

Il écrira encore «Tandem» (1976), «Solo» en 1978 et «Les archivistes» en 1981 pour le Théâtre des Trois Coups à Lausanne. Traduit en plusieurs langues, il recevra le Prix de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, puis le Prix de la littérature du Canton de Berne en 1972 et, enfin, celui du Canton de Neuchâtel au tout début du deuxième millénaire.

Un physique de comédien

Finalement je ne suis qu’un greffier. Ce sont les personnages qui, peu à peu, se dessinent, se définissent, puis s’imposent à moi, qui me poussent à écrire ces pièces, dit-il en substance dans le film de Jean-Blaise Junod intitulé : «L’auteur et ses personnages» que l’on découvre dans le DVD qui accompagne les deux volumes que nous propose Bernard Campiche.

Dans ce film, avec son physique de comédien, Bernard Liègme se raconte. Il le fait avec une sorte de sérénité qui est la marque de ceux qui ont vécu une vie bien remplie. Avec sa gueule qui me fait irrésistiblement penser au comédien français André Dussolier, il explique comment peu à peu il se laisse envahir par ses personnages qui, ensuite, le conduisent à prendre la plume et à les mettre en situation.

Si vous avez envie de vous plonger dans l’univers de Bernard Liègme, n’hésitez pas: courez chez votre libraire et insistez. Vous découvrirez des personnages aux noms étonnants, tout un peuple de petites gens, fonctionnaires ou employés, plus fantasques que leur existence, moins anodins que leur parcours ne pourrait le laisser présager. Vous entrerez dans un monde magique et passionnant, celui du théâtre totalement populaire tel qu’on le cuisinait il y a peu.

Rolf Kesselring, swissinfo.ch

Bernard Liègme, Théâtre I & II, collection «Théâtre en camPoche», chez Bernard Campiche, préface de Charles Jorris.

Théâtre I

La Cage (1958)
Les Augustes (1959)
Les Murs de la ville (1961)
Le Soleil et la Mort (1965)
Tandem (1973).

Théâtre II

Solo (1976)
Les Archivistes (1980)
La Ronde de nuit (1989)
Pingus & fils (1997)
Diva ou Les Photographes (2003).

À lire, aussi

Le feu du théâtre, Bernard Liègme – propos recueillis par Claude Vallon. Éditions de l’Aire.

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