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Bourrasque romande sur le cinéma suisse

Véronique Reymond et Stéphanie Chuat, stars de la soirée. swissinfo.ch

Prix du meilleur film et du meilleur scénario pour «La petite chambre», du meilleur documentaire pour «Cleveland contre Wall Street». Lors de la cérémonie des «Quartz» 2011, les catégories-reines ont été squattées par les cinéastes francophones. Reportage.

Comment dit-on «Oscar» en langue suisse? «Quartz». C’est donc au jeu des récompenses que s’est livré le monde suisse du cinéma, des médias et de la politique, samedi soir à Lucerne, dans le prestigieux Palais des congrès conçu par l’architecte français Jean Nouvel.

Tapis rose (si si, rose), projecteurs et caméras en pagaille, tenue de soirée de rigueur. «C’est assez joli à regarder, mais c’est assez stressant de l’intérieur… on a l’impression d’être un peu déguisés», nous confie Véronique Reymond, l’une des réalisatrices de «La petite chambre», juste avant le début des festivités. «J’aime bien: en venant ici, j’avais l’impression de me préparer pour une pièce de théâtre!», ajoute sa complice Stéphanie Chuat.

La soirée-spectacle d’une heure trente va tenter de combiner à la fois les paillettes typiques de ce genre d’événements à une swiss touch dont les Helvètes germanophones sont si friands. Ainsi l’orchestre présent, le «21st Century Symphony Orchestra», animera-t-il la soirée à coups de relectures sophistiquées du répertoire traditionnel suisse. Un peu comme si une cérémonie des Césars était émaillée de couplets folkloriques berrichons, bretons et savoyards en version symphonique. Etonnant.

Un premier film en forme de triomphe

Avec ses deux récompenses (meilleur film et meilleur scénario), «La petite chambre» est le grand vainqueur de cette édition 2011 des Quartz. L’histoire de Reymond, interprété par Michel Bouquet, un vieillard au cœur fragile qui va se cogner à Rose (Florence Loiret Caille), une jeune femme ébranlée par la perte de l’enfant qu’elle portait. Il est acariâtre, et elle, têtue. Une rencontre à l’intensité croissante entre ces deux individus blessés par la vie et les liens du sang.

Le film a remporté un très beau succès en Suisse romande, a bien démarré en France, et s’apprête à sortir en Suisse alémanique le 24 mars. Un double prix du cinéma suisse tombe donc au bon moment: «Cela peut lui donner une visibilité… puisque, si Michel Bouquet est très connu en Francophonie, il ne l’est pas en Suisse allemande. C’est une bonne mise en lumière, et pour nous, les réalisatrices, c’est une vraie reconnaissance de notre travail, de notre premier long-métrage», constate Stéphanie Chuat.

Réaliser un tel doublé avec un premier long-métrage, le pari n’était effectivement pas gagné d’avance. N’y a t-il pas du même coup un risque de grosse pression pour le prochain? «C’est plutôt un gain en crédibilité, constate Véronique Reymond. Or il y a toujours une question de crédibilité pour l’obtention de fonds pour le financement d’un film».

Pas d’inquiétude pour Stéphanie Chuat: «Je ne pense pas que le succès du premier crée une telle pression que cela nous empêcherait de travailler sur le suivant. Véronique et moi, on est actives dans le domaine du théâtre depuis vingt ans. On a déjà fait beaucoup de choses de ce côté-là. Donc pour nous, cela s’inscrit plutôt dans une continuité artistique. On espère évidemment parvenir à faire un deuxième film… parce qu’on a adoré faire le premier !»

Et la machine est d’ailleurs lancée… A côté d’un retour à la scène cet automne et d’un travail sur une série télévisée, un nouveau film est bel et bien en projet. On ne saura rien de plus, sinon son titre: «Où vont les rêves?» Avec Véronique Reymond et Stéphanie Chuat, ils vont manifestement très loin.

Docu Star

Présent dans la salle, Ivo Kummer, le pas tout à fait ex-directeur des Journées cinématographiques de Soleure mais déjà chef de la section cinéma de l’Office fédéral de la Culture (OFC), est content du palmarès.

«Oui, la plupart des films ont reçu quelque chose. Mais c’est surtout les Romands qui ont fait fort, ce dont je me réjouis, constate-t-il. Et en particulier ’La petite chambre’, avec ses deux prix. Pour moi, ce n’est pas une surprise. C’est un film authentique, une histoire qui touche, avec un très grand acteur qui joue brillamment le rôle principal. C’est un film qui suscite beaucoup d’émotion. Et en ce qui concerne le documentaire, c’est un beau travail de recherche, et un étonnant mélange avec la fiction. Et puis… c’était bien que ce sujet soit traité par un Suisse!»

Les scandales bancaires seraient donc affaire de Suisse? Oui, mais pas que. Faut-il encore présenter «Cleveland contre Wall Street» de Jean-Stéphane Bron? Le film a fait du bruit en Suisse, en France (Prix du public à Paris Cinéma 2010, projection à Cannes). Un film qui joue à la fois du documentaire et de la fiction, puisqu’il est la chronique d’un procès qui ne s’est pas tenu… sinon pour le film. Celui que les habitants de Cleveland (USA) ont voulu faire à l’encontre de 21 banques qu’ils jugeaient responsables des saisies immobilières qui dévastèrent leur ville. Mais le vrai procès n’eut pas lieu. Et Bron eut l’idée de le faire se tenir néanmoins devant sa caméra, avec les vrais protagonistes…

Jean-Stéphane Bron avait déjà obtenu le Prix du cinéma suisse pour «Mais im Bundeshuus» en 2004. Il n’est pas blasé pour autant: son émotion et sa joie ne sont pas feintes. Surtout, il n’en revient pas d’avoir remporté le Prix face à des films qu’il respecte éminemment. «Aisheen» de Nicolas Wadimoff ou «Roman d’ados 2002-2008» de Béatrice Bakhti régataient dans la même catégorie… «Le cinéma documentaire suisse est d’un tel niveau, d’un tel engagement, d’une telle diversité, c’est évidemment extrêmement émouvant et je suis très honoré d’obtenir ce prix», s’enthousiasme-t-il.

Mais ce qui le bluffe encore plus, c’est le public: «Il y a vraiment un âge d’or du documentaire suisse depuis cinq ans. Et si vous me permettez de remercier quelqu’un, c’est le public suisse, qui va voir des documentaires au cinéma! C’est une situation exceptionnelle en Europe, peut-être dans le monde», constate-t-il.

Les subprimes sont passées, le gros de la crise financière aussi. Momentanément en tout cas. Les banquiers ont retrouvé le chemin de leurs gigantesques bonus. N’y a-t-il pas quelque chose de frustrant pour Jean-Stéphane Bron à voir le retour à la normale de la finance lorsqu’on a fait un film aussi engagé que le sien? «Les films ne sont pas faits pour changer le monde, dit-il. Mais ils servent à quelque chose quand même. J’ai fait beaucoup de projections dans des lycées, des écoles. Maintenant le film sort aux USA. Cela ne change pas le monde, mais cela peut modifier des regards…»

Mais encore…

Parmi les autres prix remis, signalons encore celui de la «Meilleure interprétation féminine» à la Romande Isabelle Caillat, très émue, l’actrice principale dans le film «All That Remains». Et celui de la «Meilleure interprétation masculine», remis par… Marie-Thérèse Porchet, au Lucernois Scherwin Amini pour son rôle, fort et émouvant, dans le film «Stationspiraten».

Et il ne serait pas juste de conclure cet article sans évoquer la prestation de la Ministre de l’économie, Doris Leuthard, dans une robe noire très glamour, citant Gérard Depardieu…

Ni l’humoriste Massimo Rocchi faisant une imitation improbable du personnage du… chameau dans «Lawrence d’Arabie», la musique de Maurice Jarre déroulant ses volutes symphoniques dans le vaste auditorium lucernois. Grand moment.

Meilleur film de fiction
«La petite chambre» de Stéphanie Chuat & Véronique Reymond

Meilleur documentaire
«Cleveland contre Wall Street» de Jean-Stéphane Bron

 

Meilleur court métrage
«Yuri Lennon’s Landing On Alpha 46» de Anthony Vouardoux

 

Meilleur film d’animation
«Miramare» de Michaela Müller

 

Meilleur scénario
Stéphanie Chuat, Véronique Reymond pour «La petite chambre»

 

Meilleure interprétation feminine
Isabelle Caillat dans «All That Remains» de Pierre-Adrian Irlé et Valentin Rotelli

 

Meilleure interprétation masculine
Scherwin Amini dans «Stationspiraten» de Michael Schaerer

 

Meilleure interprétation dans un second rôle
Carla Juri dans «180°» de Cihan Inan

 

Meilleure musique de film
Marcel Vaid pour «Goodnight Nobody» de Jacqueline Zünd

 

Prix spécial du jury
Gerald Damovsky pour les décors dans le film «Sennentuntschi» de Michael Steiner

 

Prix d’honneur du cinéma suisse
Marcel Hoehn, producteur

2008. Elle a été fondée le 27 mai 2008 par les associations professionnelles du cinéma et comptait à sa création 250 membres.

Murer. Le réalisateur Fredi M. Murer en a été désigné comme premier président.

 

Quartz. Elle décerne depuis 2010 les «Quartz» du Prix du Cinéma Suisse, qui sont donc l’équivalent – modeste – des Oscars américains ou des Césars français.

 

Indépendance. Ce Prix était auparavant (soit depuis 1998) chapeauté par l’Office fédéral de la Culture (OFC) et remis lors des Journées cinématographiques de Soleure.

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