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La pression monte contre le poivron de Syngenta

Le fameux poivron de Syngenta a été obtenu en croisant une espèce courante avenc une variété résistante venue de Jamaïque. AFP

Quel cultivateur ne voudrait pas d’un poivron résistant aux insectes? Aucun. Mais un brevet accordé pour un tel poivron au groupe agrochimique suisse Syngenta, ça ne passe pas. Une coalition d’ONG fait recours et met la pression.

«Si nous ne défendons pas nos semences indigènes, il ne nous en restera plus et nous finirons par ne plus cultiver que les plantes standardisées des compagnies multinationales», avertit Cynthia Osorio, productrice de café biologique.

Elle est venue à Zurich depuis la Colombie pour participer à un événement sur la souveraineté sur les semences, peu après que 34 organisations agricoles, environnementales et de développement ont déposé un recours à l’Office européen des brevets (OEB) contre un brevet accordé à Syngenta pour un poivron résistant aux insectes.

Aux auditeurs zurichois, Cynthia Osorio a expliqué quels impacts les traités commerciaux internationaux et les droits sur les variétés exercés par des entreprises comme Syngenta ou Monsanto peuvent avoir sur la souveraineté alimentaire, la diversité et les moyens de subsistance de paysans vivant à 9000 kilomètres de là.

La fermière colombienne, qui travaille aussi pour le Red de Guardianes de Semillas de Vida (Réseau des gardiens des graines de vie), a fait valoir que les réglementations sur les semences et les accords de libre-échange ne tenaient aucun compte des droits des peuples indigènes et ouvraient la voie à des cultures brevetées, qui finiraient par chasser les variétés locales.

«Notre idée pour préserver et restaurer la diversité n’est pas de garder les graines dans une banque, mais de les répandre parmi les gens», résume Cynthia Osorio.

Les géants de l’agrochimie comme Syngenta essuient la critique non seulement pour certains de leurs brevets, mais également pour les droits des obtenteurs (producteurs de variétés nouvelles). Les entreprises et les organisations fédérées au sein du groupe de pression CropLife International entendent protéger les droits sur les produits et les technologies dont elles sont les inventeuses.

Brevets et droits d’obtenteurs garantissent à qui les détient un contrôle exclusif sur les semences, les récoltes et la commercialisation des variétés. Syngenta argue de son côté que les brevets sont une incitation à l’innovation. Selon la multinationale, les inventions bénéficient aux producteurs comme aux consommateurs, aident les fermiers à accroître leur productivité et peuvent permettre de réduire l’usage de pesticides chimiques.

Les droits des obtenteurs de plantes, également nommés droits sur les variétés de plantes, sont accordés à celui qui a produit, par hasard ou par sélection volontaire, une nouvelle variété de plante distincte, uniforme et stable.

Un brevet sur une plante peut être accordé à celui qui invente ou découvre une nouvelle variété distincte. Le droit de l’inventeur implique l’interdiction pour les tiers de reproduire, de vendre ou d’utiliser cette plante. Les plantes sauvages ou celles qui se propagent par tubercules ne sont en général pas brevetables.

Certains pays, surtout ceux en voie de développement, n’autorisent pas les brevets sur les plantes. En Afrique sub-saharienne, les compagnies agroalimentaires ne peuvent pas obtenir de brevets. Les obtenteurs cherchent de plus en plus à faire valoir leurs droits, mais l’utilisation informelle (près de 90%) rend les contrôles et les restrictions très difficiles.

Découvertes ou inventions?

Ce que les opposants aux brevets regroupés au sein de la coalition No Patents on Seeds (Pas de brevets sur les semences) refusent, ce sont les brevets sur les procédés qui couvrent également les produits qui en résultent.

Monsanto revendique des brevets sur les séquences ou sur les modifications génétiques du soja et du maïs, qui protègent les plantes héritant de ces gènes modifiés, aussi bien que leur utilisation dans la nourriture humaine ou animale. Syngenta, de son côté, veut obtenir des brevets sur les plantes et sur les récoltes.

Du côté des opposants, on refuse en particulier les brevets basés sur les méthodes conventionnelles de croisement avec des variétés sauvages. Pour eux, ce sont des découvertes et non de réelles inventions, comme la faculté de résistance du poivron de Syngenta.

Bien qu’aux termes de la Convention sur le brevet européen, aucun brevet ne puisse être délivré pour «les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux», les multinationales sont accusées d’utiliser des astuces pour réclamer des brevets sur les plantes, les semences et la nourriture.

«Un des problèmes, ce sont les brevets dits de ‘produit-par-procédé’, qui permettent de breveter un produit, même si le procédé est loin d’être technique ou innovant», explique Eva Gelinsky, qui travaille pour ProSpecieRara, une organisation dédiée à la conservation de variétés anciennes et d’espèces rares.

Pour les opposants, accorder des droits sur des organismes vivants est également contraire à l’éthique et aux principes fondamentaux de la plupart des religions et des cultures. Selon eux, les brevets sont faits pour les machines et les produits chimiques, mais pas pour la vie. Les humains, les animaux, les plantes, les micro-organismes et leurs parties ne devraient donc pas être brevetables.

«Nous avons besoin d’autres systèmes de protection, qui respectent les frontières éthiques et socio-politiques et prennent en compte les intérêts de l’agriculture et de la recherche», explique Fabio Leippert, responsable de la politique du développement et de la souveraineté alimentaire de l’œuvre d’entraide Swissaid, membre de la coalition No Patents on Seeds. «Les brevets discriminent avant tout les paysans des pays en développement, où l’on trouve une bonne part de la biodiversité».

De son côté, Syngenta affirme que dans les pays les moins développés, elle ne cherche la protection par des brevets pour aucune technologie ou invention dans le domaine des plantes ou des semences, et que les agriculteurs qui parviennent juste à survivre n’ont pas à payer de droits de brevets.

Pour Swissaid, les entreprises ne devraient pas être incitées à prendre des variétés dans les pays du sud comme base pour leurs brevets ou à examiner des banques de semences entières sans dédommager les pays pour leurs ressources génétiques.

Dépendances

La préoccupation de ceux qui s’y opposent, ce n’est pas seulement que les brevets limitent la diversité en bloquant l’accès aux ressources et à la technologie génétiques, mais c’est aussi qu’ils créent des dépendances chez les agriculteurs, les obtenteurs et les producteurs de nourriture.

Ensemble, Monsanto, DuPont et Syngenta contrôlent plus de la moitié du marché mondial des semences, affirme le Forum Civique Européen. Tandis que ces multinationales clament que leurs produits contribuent à la sécurité alimentaire, les opposants dénoncent la domination croissante d’une poignée de compagnies qui met en danger la vie des agriculteurs dans les économies émergentes en menaçant leur souveraineté sur les semences et par là même la sécurité alimentaire globale.

Même si Syngenta laisse les paysans les plus pauvres utiliser ses semences sur leurs champs, ceux qui font plus que simplement survivre, comme Cynthia Osorio, doivent payer des droits annuels pour les semences. Comme ils ne peuvent pas se le permettre, ils veulent pouvoir utiliser et échanger librement des semences. C’est pour illustrer ce problème que la manifestation à laquelle participait la cultivatrice de café colombienne au centre alternatif de la Rote Fabrik à Zurich comprenait un «troc de semences» informel.

Les réglementations sur les semences prescrivent qu’elles ne peuvent être enregistrées que si elles sont distinctes, uniformes et stables et dans des pays comme la Colombie, les agriculteurs ne peuvent utiliser que ces semences certifiées. Et comme le note Cynthia Osorio, les semences indigènes n’arrivent jamais à remplir les critères.

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Décision cruciale

Les lois et les accords de libre-échange favorisent directement les grandes multinationales qui produisent en masse des variétés de semences pour la monoculture, au détriment de la diversité, dénonce Jürgen Holzapfel, du Forum civique Européen, également co-fondateur de Longo Maï, la coopérative agricole qui a organisé le voyage en Europe de Cynthia Osorio.

«Par exemple, c’est en Asie que vous trouvez le plus grand nombre de variétés de riz. Pendant des siècles, les fermiers ont travaillé à améliorer leurs propriétés et leur rendement, explique François Meienberg, de l’organisation non-gouvernementale Déclaration de Berne. Mais ce ne sont pas ces pays qui réclament les droits sur ce travail, mais des compagnie comme Syngenta, qui ont fait breveter des centaines de génomes».

Toutefois, les recours de la coalition d’ONG contre plusieurs brevets montre que les opposants ont un pied dans la porte. Ils attendent une décision pour la fin de l’année, confirme François Meienberg.

«Si l’instance d’appel élargie tranche en notre faveur, cela deviendra très difficile pour Syngenta. Et si Syngenta gagne, c’est le processus politique qui va commencer, prévoit le responsable de la Déclaration de Berne. Et dans ce cas, nous espérons que les politiciens iront dans notre direction, parce qu’il y a beaucoup de petits et de moyens obtenteurs qui sont aussi contre les brevets que réclament les multinationales».

Le brevet EP2140023 a été accordé à un poivron qui résiste mieux aux insectes que la variété sauvage. Sa culture permet un moindre recours aux pesticides chimiques.

Syngenta offre aux obtenteurs et aux chercheurs l’accès à la technologie du poivron, ainsi qu’à certaines de ses autres innovations dans le domaine des plantes via sa plateforme internet TraitAbility. Les chercheurs et les ONG peuvent utiliser les caractéristiques originales des plantes à fins de recherche et développement et distribuer les produits qui en résulteront dans les pays en développement, sans payer de droits.

Syngenta ne cherche pas la protection par des brevets dans les pays les plus pauvres, où les paysans ne payent pas de droits sur les produits brevetés.

Syngenta emploie plus de 28’000 personnes dans 90 pays. en 2013, elle a dépensé 1,2 milliard de francs suisses en recherche et développement.

Source: Syngenta

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