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Bruno Kernen prophète en son pays

Bruno Kernen a réalisé la course parfaite. Keystone

Déjà troisième vendredi, Bruno Kernen a remporté la seconde descente de la 73e édition du mythique Lauberhorn samedi.

Le Bernois a ainsi mis fin à neuf années de disette. Depuis William Besse en 1994, aucun Suisse n’avait réussi à s’imposer à Wengen.

Sur ses terres et sous le soleil, Bruno Kernen n’a pas pu empêcher les larmes de couler sur ses joues dans l’aire d’arrivée. Troisième du Lauberhorn vendredi, le Bernois s’est imposé samedi au nez et à la barbe du grand favori autrichien Stefan Eberharter.

Cela faisait plus de quatre ans qu’aucun Suisse n’était monté sur la plus haute marche d’un podium d’une descente de Coupe du monde.

Le Bernois renoue ainsi avec la victoire après une longue traversée du désert. Depuis son titre mondial acquis en février 1997 à Sestrières, il peinait en effet à se classer parmi les meilleurs.

«Je suis fier, s’autorisera le Bernois. Malgré les moments difficiles je n’ai jamais perdu la joie de skier. Battre Eberharter aujourd’hui était très difficile. Mais cette victoire ne va pas me faire perdre la tête.»

Cette victoire est une excellente opération pour toute l’équipe de Suisses de descente – privée de victoire en Coupe du monde depuis quatre ans – qui placent encore le jeune Ambrosi Hoffman au pied du podium et Rolf von Weissenfluh au douzième rang.

De bon augure à moins de quinze jours du début des Championnats du monde de Saint-Moritz.

Neuf ans après William Besse

Après le triomphe de William Besse en 1994, ce nouveau succès d’un Suisse à Wengen est également important pour les organisateurs de l’épreuve bernoise, pilier du folklore du pays et de l’économie de toute une région.

«Janvier est normalement un mois tranquille, explique la directrice du tourisme de Wengen. Mais l’intérêt provoqué par la course génère 30 000 nuitées supplémentaires, pas seulement à Wengen, mais dans toute la région du Lauterbrunnen.»

«Si vous additionnez les gains supplémentaires obtenus par les hôtels, les restaurants, les magasins de souvenirs et les chemins de fer locaux, poursuit Ursula Mühlemann, vous verrez que cela représente plus de 7 millions de francs de rentrées.»

Un chiffre qui devrait être encore plus élevé cette année, puisque deux descentes (au lieu d’une seule) sont au programme du Lauberhorn.

En effet, arguant que les coûts et l’infrastructure sont devenus trop lourds pour une seule course, Wengen a obtenu de la Fédération internationale de ski (FIS) le droit d’en organiser une seconde.

Véritable engouement populaire

Mais l’intérêt suscité par le Lauberhorn est plus qu’économique. Et il dépasse de loin la petite région de l’Oberland bernois. En effet, des milliers de spectateurs se rendent à Wengen pour suivre la course en direct.

De plus, la télévision suisse couvre cet événement qui est vu par plus d’un million de personnes. Sur 10 téléspectateurs qui sont devant leur poste à ce moment là, 8 regardent la descente.

Le fait que cette course continue de jouir d’une telle popularité au fil du temps vient probablement du fait qu’elle est unique. Avec un tracé de 4,2 kilomètres très éprouvant pour les organismes, c’est la piste la plus longue du circuit de la Coupe du monde.

En outre, son statut du course «classique» permet au Lauberhorn de préserver quelques passages délicats comme le Hundschopf (Tête-de-chien) – un corridor de trois mètres de large situé entre des rochers saillants – ou encore la Wasserstation, un tunnel où les skieurs plongent sous une voie de chemin de fer.

Une course chargée d’histoire

Mais pour de nombreuses personnes, c’est la richesse de son histoire qui fait la renommée du Lauberhorn.

Le président du comité d’organisation Viktor Gertsch connaît cette histoire mieux que quiconque. Et pour cause: il a pris la relève de son père, Ernst Gertsch, l’un des fondateurs de la course.

«Comme toutes les bonnes idées, raconte en souriant Viktor Gertsch, je pense que le concept du Lauberhorn est probablement né à deux heures du matin dans un pub. A l’origine, l’idée était d’organiser une compétition opposant les Suisses à des citoyens d’autres pays, surtout les Britanniques qui avaient l’habitude de venir en vacances dans la région.»

«Il fallait aussi montrer que les natifs de Wengen pouvaient être d’aussi bons sportifs que les Anglais», poursuit-il. Ce but a d’ailleurs été atteint puisque les représentants de la région ont remporté 14 des 15 premières éditions.

Il convient cependant de signaler que la non-participation de la Suisse à la Deuxième Guerre mondiale a certainement contribué aux succès des sportifs du crû. La course a été maintenue entre 1939 et 1945, alors que les autres nations avaient d’autres préoccupations plus importantes que le ski.

Une légende vivante

C’est d’ailleurs à cette période que Karl Molitor a remporté quatre de ses six titres. Aujourd’hui âgé de 82 ans, cette véritable légende locale reste une fantastique source d’informations pour qui souhaite en savoir davantage sur la «bonne vieille époque» de la course.

«Il n’y a vraiment aucune comparaison possible entre les courses de mon époque et la façon dont on skie aujourd’hui, confie Karl Molitor. De nos jours, les coureurs descendent à une vitesse tellement incroyable. Et, en plus, ils terminent pratiquement tous avec le même temps.»

«Je me souviens de ma première victoire en 1939, poursuit-il. J’étais tombé tout près de la ligne d’arrivée. Mais j’ai réussi à me relever et à terminer avec encore 9 secondes d’avance sur mon poursuivant. A cette époque, on gagnait toujours avec une marge d’au moins quelques secondes.»

«La différence dans l’équipement est phénoménale, bien plus que pour le tennis ou le foot, dit encore Karl Molitor. J’ai toujours pensé que ce serait drôle de voir des skieurs d’aujourd’hui essayer de faire des courses modernes avec l’équipement d’autrefois.»

Mais les champions actuels ne sont guère enthousiasmés par l’idée du vieil homme. «Je suis vraiment ravi de courir à notre époque, admet le descendeur neuchâtelois Didier Cuche. J’arrive à peine à m’imaginer comment on skiait autrefois.»

«En ce temps-là, les coureurs n’avaient pas de descente de préparation comme c’est le cas aujourd’hui, poursuit Didier Cuche. Ils devaient se lancer directement, ce qui demande davantage de force et de concentration. Je suis sûr que c’était tout aussi dur de gagner cette course à l’époque, même si l’avance des vainqueurs laisse penser que c’était moins compétitif».

Plus rapide mais moins drôle

Tant Karl Molitor que Viktor Gertsch sont remplis d’admiration face aux vitesses époustouflantes atteintes par les descendeurs d’aujourd’hui. Mais les deux hommes estiment que le vie était beaucoup plus amusante à leur époque, spécialement quand venait le moment de l’«après-ski».

«Les soirées étaient toujours agréables, se souvient Karl Molitor avec un large sourire. Le meilleur moment, c’était bien entendu le dîner du dimanche qui réunissait tous les participants à la course. On y distribuait les prix et on dansait. Il y avait toujours beaucoup de filles.»

Mais l’ambiance a changé. «De nos jours, on dirait que les skieurs doivent partir pour leur prochaine destination à peine la ligne d’arrivée franchie», regrette l’ancien champion.

Toujours à la poursuite du succès

Durant les quinze premières années de l’histoire du Lauberhorn, les Suisses ont littéralement monopolisé les premières places. Mais c’est de l’histoire ancienne.

Actuellement, le ski mondial est dominé par les Autrichiens. Les Suisses attendaient depuis neuf ans une nouvelle victoire sur cette piste mythique.

swissinfo, Mark Ledsom, Wengen
Traduction: Olivier Pauchard

Longueur de la piste: 4260 m
Départ à une altitude de 2315 m
Arrivée à une altitude de 1290 m
Record: Kristian Ghedina (ITA) en 2:24:23 (1997)
La dernière victoire suisse sur ce tracé remontait à 1994

Pour la 1ère fois, deux descentes ont eu lieu au Lauberhorn, l’une vendredi et l’autre samedi.

Après avoir terminé au troisième rang de la première course, le Suisse Bruno Kernen à remporté la seconde. Le Bernois est monté sur la plus haute marche du podium neuf ans après le succès de William Besse.

La course de vendredi vaut pour le combiné.

Les vainqueurs de chaque épreuve ont chacun remporté la somme de 33 000 francs.

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