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13 millions de francs pour acquérir le berceau du Dada

Le Cabaret Voltaire a programmé plusieurs performances controversées au cours des dernières années. Keystone

Le dadaïsme doit faire face à un combat financier, l’année de son 100e anniversaire. Le lieu de naissance du mouvement artistique alternatif, le Cabaret Voltaire, pourrait être transformé en œuvre d’art qui serait ensuite achetée par un collectionneur.

13 millions de francs. C’est le prix auquel a été évalué le Cabaret Voltaire pour assurer sa survie. Il s’agit désormais de trouver un amateur d’art au portefeuille bien garni qui condiérerait la modeste bâtisse, nichée au cœur des ruelles pavées de la vieille ville de Zurich, comme une sculpture ou une peinture à l’huile.

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L’idée a germé dans l’esprit de l’artiste suisse Kerim Seiler. Le directeur du cabaret Voltaire Adrian Notz est convaincu qu’elle ne résoudra pas les problèmes financiers immédiats du mouvement Dada, mais elle permettra au berceau de l’art provocateur de prospérer, libre de restrictions économiques et de chamailleries politiques. «Ce se serait bien de transformer le Cabaret Voltaire en une résidence pour des artistes à même de gérer le lieu et de lui donner une dimension plus internationale. Ce serait un geste fort pour l’art. Le marché de l’art est si fou en ce moment que ça pourrait fonctionner!», estime-t-il.

Il est attendu du futur bienfaiteur qu’il investisse dans le mouvement Dada et ne le transforme pas le bâtiment en immeuble locatif. «Vous n’achèteriez pas un Van Gogh pour le découper et en faire un tapis parce que vous savez que c’est une œuvre d’art. Dans le même ordre d’idée, vous n’auriez pas l’intention de changer quoi que ce soit dans le Cabaret Voltaire», fait remarquer Adrian Notz.

Le théâtre avait connu une renaissance comme maison du Dada en 2002 (réouverture officielle en 2004) car il est le lieu même, où les artistes de l’anti-guerre Hugo Ball et Emmy Hennings ont lancé le mouvement.

Esclaves sexuels et scandales

Kerim Seiler souhaite «reprogrammer» les gens pour qu’ils perçoivent le Cabaret Voltaire comme un «monument historique». «Le problème ne devrait pas être à qui il appartient. Ce n’est pas un objet, un outil pour se faire de l’argent», affirme-t-il. «C’est une place où un couple de migrants [Ball et Hennings] ont fait quelque chose qui a changé notre perception de l’existence.»

Au premier abord, vendre le Cabaret Voltaire à un collectionneur d’art peut sembler idéaliste voire même irréaliste. Toutefois, ce n’est pas forcément un rêve illusoire ou un coup publicitaire. Il y a huit ans, un riche amateur d’art a manifesté son intention d’acheter le théâtre. Le crash financier a compromis cette offre, mais elle a prouvé à Adrian Notz qu’il valait la peine de faire revivre le concept.

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Toutefois, est-il nécessaire d’opérer un changement si drastique et innovateur? Le bâtiment appartient à l’assurance Swiss Life qui le loue 315’000 francs par année. En outre, l’entreprise à but non lucratif doit supporter 500’000 francs de frais de fonctionnement.

Le sponsoring de 300’000 francs accordé par Swatch s’est arrêté il y a plusieurs années, et les fondations culturelles n’ont plus d’argent pour apporter leur aide. «Le Dada ne reflète pas vraiment la bonne image pour une banque, et le sponsoring en général est compliqué dans le climat économique actuel», note Adrian Notz. «Les fondations suisses se concentrent sur des artistes et des projets suisses. Le Dada est né ici, mais ce n’est pas très suisse. Malgré cela, nous parvenons à avoir un peu de soutien des fondations.»

La ville de Zurich accorde des subventions au Cabaret Voltaire, ce que combat l’UDC (droite conservatrice). Le parti n’apprécie pas que l’argent du contribuable soit utilisé pour financer un endroit où se déroulent des actes provocateurs, comme le casting en direct d’esclaves sexuels ou un couple dont la performance artistique consiste à uriner l’un sur l’autre.  

En 2008, l’UDC a même lancé sans succès une initiative qui appelait les citoyens à s’opposer à la décision des autorités de soutenir financièrement le lieu. Le parti n’a pas non plus pesé ses mots en 2013, dans un postulat pour protester contre un soutien aux célébrations du centenaire du Dada.

L’intervention s’indignait des quatre millions de francs dépensés entre 2003 et 2013 pour raviver le dadaïsme à Zurich. La droite conservatrice estimait que le résultat se résumait à «10 ans de flops, scandales et de fuite des sponsors». Le dadaïsme est décrit comme «absurde», «ridicule» et «embarrassant». Le postulat décrit ainsi le mouvement: «une plateforme anti-guerre au milieu des bombes de 1916 qui n’était pas plus qu’un prétexte désormais vide de sens.»

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Le Dada, une époque

Le Dada peut paraître scandaleux pour certains, mais il ne provoque pas seulement dans le seul but de provoquer, argue Adrian Notz. Il cherche à défier les stéréotypes et rappeler aux gens qu’il y a une vie au-delà de la conformité imposée par l’establishment.

Le théâtre gagne de l’argent grâce à un magasin, un bar et un espace loué pour des performances artistiques, des anniversaires ou des mariages. Cela ne suffit toutefois pas à acquérir une indépendance financière. C’est pourquoi la maison du Dada a besoin d’un riche patron, amateur d’art. 

«Si on parle du Dada comme d’une époque, elle ne dépend pas d’un lieu. Toutefois, les gens aiment s’identifier à un endroit», relève Adrian Notz. Il ajoute que ce ne serait pas un désastre pour le Dada si le Cabaret Voltaire disparaissait, mais ce serait un désastre pour la ville de Zurich. «Même si d’autres villes peuvent s’identifier au Dada, comme Paris ou Berlin, il n’y a qu’un seul lieu qui a vu naître le mouvement. Si le Cabaret Voltaire disparaît le monde entier va se moquer de Zurich.»

Cependant, l’idée révolutionnaire ne fonctionnera que si Swiss Life accepte de vendre la bâtisse qui abrite le Cabaret Voltaire. «Nous pouvons comprendre que le bâtiment suscite des idées créatives pendant l’année de son centenaire. Néanmoins, nous ne nous impliquerons pas dans des spéculations de ce type», indique la compagnie d’assurance.  

Les 100 ans du Dada

Le dadaïsme est un mouvement artistique fondé à Zurich par un groupe d’artistes conduit par Hugo Ball et Emmy Hennings en 1916. Le Cabaret Voltaire a été défini comme le lieu de l’art et des performances dadaïstes. Au fil du temps, l’état du théâtre s’est détérioré. En 2002, un groupe d’artistes l’a sauvé de la démolition. Mené par Mark Divo, le groupe a occupé illégalement le bâtiment pour éviter sa destruction. Le lieu a rouvert le 30 septembre 2004, se voyant accorder des subventions municipales. 

Le Dada était initialement un mouvement artistique de protestation contre les horreurs de la Première Guerre Mondiale. Il rejette les conventions établies avec un style anti-esthétique et souvent choquant. Il y a une variété d’interprétations autour du nom du mouvement. Nombreux sont ceux qui pensent qu’il s’agit d’un mot qui n’a pas de sens, choisi par les fondateurs du mouvement pour exprimer leur mépris de la logique. Il s’est rapidement répandu à travers l’Europe et les Etats-Unis, et a vécu son apothéose entre 1916 et 1920.

Les célébrations du centenaire du dadaïsme seront lancées officiellement le 5 mars à Zurich. Une série d’expositions et de performances s’étalera ensuite sur tout au long de l’année.

(Adaptation de l’anglais: Katy Romy)

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