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Première loi sur l’aide au suicide adoptée en Suisse

EMS et hôpitaux régulièrement confrontés à la question du suicide assisté. Keystone

Le canton de Vaud fait œuvre de pionnier en Suisse en étant le premier à adopter une loi encadrant les suicides assistés dans les établissements médico-sociaux (EMS) et les hôpitaux. Les autorités fédérales, elles, avaient renoncé à légiférer en la matière.

Les électeurs du canton francophone ont accepté dimanche par 61,6% des voix un contre-projet élaboré par les autorités en réaction à une initiative déposée en 2009 par l’association d’aide au suicide Exit. Celle-ci a été refusée à 59,1%.

Le texte de l’initiative exigeait que les EMS subventionnés soient obligés à accepter l’assistance au suicide dans leurs murs, lorsque leurs pensionnaires la demandent à une organisation pour le droit de mourir dans la dignité ou au médecin traitant, conformément aux dispositions du Code pénal suisse et de la Constitution du canton de Vaud.

Eviter les abus

D’accord sur le principe mais dans le même temps désireuses d’éviter des abus, les autorités du canton (gouvernement et parlement) ont opposé un contre-projet soutenu par la quasi-totalité des partis politiques. Accepté dimanche, ce dernier fixe dans la loi les conditions précises d’une assistance au suicide. En plus des EMS, il inclut dans la loi les hôpitaux, car la problématique se pose aussi régulièrement dans ces établissements.

Le contre-projet fixe deux conditions de base: la personne qui demande l’assistance au suicide doit souffrir d’une maladie grave incurable et elle doit être capable de discernement. Le médecin responsable de l’EMS ou le chef de clinique sera chargé de s’assurer que ces deux critères sont remplis, en concertation avec l’équipe soignante, le médecin traitant et avec les parents désignés par la personne intéressée.

Autre condition: des soins palliatifs doivent avoir été proposés et discutés avec le patient. Ni le personnel de l’établissement, ni le médecin responsable impliqués ne peuvent participer à l’acte.

«Pire que le statu quo»

Le contre-projet a été fortement contesté par l’association Exit, qui l’a jugé «pire que le statu quo». Laisser la décision finale au médecin de l’institution constitue une «mise sous tutelle» du patient, dont le droit à l’autodétermination n’est plus garanti, ont jugé ses responsables.

A l’issue du vote, le président de l’association Exit Suisse romande, Jérôme Sobel, a parlé d’un «résultat en demi-teinte». «L’assistance au suicide n’est plus seulement une liberté, c’est désormais un droit», a-t-il néanmoins souligné.
 

L’initiative a permis à l’assistance au suicide d’acquérir une légitimité populaire, a estimé le Dr Sobel, interrogé par l’ats. «Nous allons maintenant devoir apprendre à utiliser ce nouveau cadre légal.» Le ministre vaudois de la santé Pierre-Yves Maillard a estimé pour sa part que la nouvelle loi ne constituera pas une révolution dans la pratique. “Mais les responsabilités sont désormais bien établies”, a-t-il souligné.

Avec l’adoption de cette norme, le canton de Vaud fait œuvre de pionnier en Suisse, dans un domaine où les autorités fédérales ont récemment renoncé à légiférer.

Face au recours toujours plus fréquent en Suisse à des associations d’aide au suicide, le gouvernement fédéral avait voulu régler, via une norme pénale sur le suicide assisté, les obligations de diligence des collaborateurs de ces groupes. Mais à la lumière des résultats d’une consultation, il avait jeté l’éponge en juin 2011, préférant plutôt soutenir la prévention du suicide et les soins palliatifs.

Les milieux consultés s’étaient en effet exprimés largement en faveur du statut quo, jugeant que les normes pénales en vigueur étaient suffisantes: à savoir que le candidat soit capable de discernement et qu’il soit suffisamment informé. La personne qui l’aide ne doit pas agir pour des motifs égoïstes.

Le Tribunal fédéral suisse a confirmé en 2006 le droit de chacun à décider de sa propre mort. Un droit qui existe aussi pour les personnes souffrant de problèmes psychiques.

Zurich veut aussi une loi

Jusqu’ici, seuls les citoyens du canton de Zurich avaient voté sur l’aide au suicide: en mai 2011, ils avaient balayé deux initiatives visant l’une à restreindre et l’autre à interdire les suicides assistés.

Le canton de Zurich pourrait maintenant suivre l’exemple vaudois en inscrivant également la problématique dans une loi. Le ministre zurichois de la justice Martin Graf a estimé dimanche dans la NZZ am Sonntag que les suicides assistés doivent se dérouler dans des conditions correctes du point de vue éthique. Il n’est pas suffisant selon lui que la matière soit réglée uniquement dans le code pénal.

La pression est particulièrement forte dans ce canton en raison de la présence des deux grandes organisations Exit et Dignitas, qui ont accompagné, l’année dernière, plus de 500 suicides à l’échelle suisse.

«Tourisme de la mort»

Malgré les polémiques suscitées par le «tourisme de la mort» de personnes qui viennent mourir en Suisse en raison de l’interdiction du suicide assisté dans leur pays, et les attaques de milieux chrétiens, l’assistance au suicide bénéficie d’un large soutien dans la population suisse. Sondages et scrutins populaires le confirment.

Une autre donnée significative du degré d’acceptation de l’assistance au suicide en Suisse réside dans l’augmentation du nombre de membres revendiqués par les deux grandes organisations qui la pratiquent. Fondée en 1982 à Zurich avec 69 membres, Exit en déclare aujourd’hui plus de 60’000 en Suisse allemande et italophone. L’organisation Exit active en Suisse francophone en compte plus de 17’000.

Dignitas, créée en 1998 à la suite d’une scission au sein d’Exit, a elle plus de 5000 membres. Contrairement à Exit, Dignitas assiste aussi des candidats au suicide en provenance de l’étranger. Ces «touristes de la mort» représentent même 85% des suicides organisés par Dignitas.

L’année dernière, Exit a aidé 416 personnes à se suicider, Dignitas 144.

En Suisse, l’euthanasie active directe (par exemple l’administration d’un poison à un malade dans le coma) est assimilée à un homicide et est donc punissable.

L’euthanasie active indirecte (par exemple l’administration de fortes doses de morphine pour soulager la douleur) n’est pas punissable.

L’euthanasie passive (suspension d’une thérapie) n’est pas punissable.

L’aide au suicide passive (le futur suicidé est accompagné mais procède lui-même au geste fatal) est autorisée.

Les Pays-Bas, le Luxembourg et la Belgique acceptent, sous certaines conditions, l’euthanasie active.

Allemagne: l’aide au suicide est interdite aux médecins.

France: l’euthanasie est illégale. La loi Leonetti, votée en 2005, a instauré un droit au «laisser mourir

». Cette législation sur la fin de vie autorise l’euthanasie passive assortie de restrictions sévères.

Italie: interdiction de l’euthanasie active et passive.

Royaume-Uni: législation la plus restrictive d’Europe. L’euthanasie n’est pas prévue par la loi.

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