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Charlot toujours plus ancré en Romandie

Sam Stourdzé est directeur du Musée de l'Elysée depuis mai 2010. Raphaël Dallaporta

Le Musée de l'Elysée à Lausanne a annoncé lundi être le dépositaire des 10'000 clichés du Fonds photographique de Charlie Chaplin. Un cadeau de la famille Chaplin qui constitue un véritable jackpot patrimonial pour Sam Stourdzé, le nouveau directeur du musée.

Dès la fin des années 1910, le travail de l’acteur et cinéaste a été documenté par des photographes de plateau qui suivaient le tournage de chaque film. Propriété de Charlie Chaplin, puis de sa famille, ces 10’000 tirages et négatifs seront donc déposés au Musée de l’Elysée. Ils feront l’objet d’un inventaire, d’expositions, de publications ainsi que d’un programme pédagogique.

Sam Stourdzé, 37 ans, directeur depuis mai 2010 du Musée de l’Elysée, ne cachait pas sa joie lundi en annonçant la bonne surprise aux médias. Interview.

swissinfo.ch: Les archives papier de Chaplin sont déposées aux Archives de Montreux, des films et des affiches sont à la Cinémathèque suisse à Lausanne. Le futur musée Charlot verra le jour en 2012 dans la maison familiale du cinéaste à Corsier-sur-Vevey. Et voici que le Fonds photographique échoit à l’Elysée. C’est une véritable constellation géographique?

Sam Stourdzé: Ce n’est pas un hasard en effet, la présence de Chaplin dans la région pendant vingt-cinq ans y a créé un certain attachement. C’est de bonne augure pour le projet de pôle muséal autour de Chaplin qui sera une référence au niveau européen. Nous allons donc faire jouer à plein les synergies.

swissinfo.ch: Ce n’est pas un hasard non plus puisque, en 2006 déjà, vous aviez conçu l’exposition «Chaplin et les images», qui avait fait escale à Lausanne?

S.S.: Je parlerais là d’un bon alignement des étoiles! J’ai effectivement des relations privilégiées avec la famille. Le fait que cela soit combiné au niveau d’excellence du Musée de l’Elysée et qu’il se trouve à Lausanne a concouru à ce que la famille nous choisisse plutôt que toute autre grande institution internationale.

Ce fonds a l’air de tomber du ciel aujourd’hui, mais il a fallu les convaincre d’entrer en négociation exclusive avec nous et d’écouter nos propositions avant d’aller voir ailleurs.

Le plus difficile a ensuite été de réunir des partenaires pour assurer le financement du projet. Non pas pour acquérir le fonds, puisqu’il nous a été déposé à titre gratuit par la famille, mais pour en assurer la valorisation, ce qui était pour moi une condition.

Tout le monde a joué le jeu, en premier lieu l’Etat de Vaud, qui s’est engagé à contribuer à la valorisation du fonds, mais aussi la Confédération ainsi que des fondations privées. Tout cela nous a permis de trouver un million de francs pour trois ans pour mettre en musique nos projets.

swissinfo.ch: Lors de votre arrivée au Musée de l’Elysée, au printemps dernier, vous aviez énoncé cinq axes prioritaires, dont le renforcement et la valorisation des collections, ainsi qu’un axe pédagogique.

S.S.: Oui nous renforçons notre présence pour ce qui est de la collection. Mais aussi, bien sûr, l’arrivée du Fonds nous permet de prévoir à très court terme de véritablement lancer notre projet d’«Ecole du regard» à travers un projet «Chaplin à l’école».

Un groupe de travail qui compte aussi les directions de l’enseignement doit réfléchir à la manière d’amener Chaplin dans les écoles et transmettre un peu de notre expertise en matière de décryptage des images.

swissinfo.ch: C’est donc le musée qui va vers le public et non plus l’inverse?

S.S.: Oui. Bien sûr, nous continuons d’accueillir des classes au musée, mais nous pensons que c’est important que le musée puisse aller aussi vers les écoles, pour initier un programme qui s’inscrit sur le plus long terme qu’une exposition pour familiariser les jeunes publics à notre travail et à la lecture des images.

Mais nous affichons aussi une volonté sociale d’aller vers des publics qui n’ont pas l’habitude d’aller au musée et à qui la culture ferme parfois ses portes.

swissinfo.ch: Les nouvelles technologies ne sont pas oubliées.

S.S.: Oui, le fonds sera une belle opportunité de réfléchir à l’utilisation des nouvelles technologies. Cela prendra un aspect professionnel, c’est-à-dire la mise en ligne de la base de données afin de permettre aux chercheurs du monde entier de les consulter en ligne.

D’autre part, outre l’aspect pédagogique, il y a un aspect plus grand public qui consistera à développer des modules de manière plus ludiques qui permettent de se familiariser avec l’œuvre de Chaplin.

swissinfo.ch: Qu’est-ce qui fait que Chaplin, décédé au début des années 1970, soit toujours vivant dans les mémoires?

S.S.: Ces quinze dernières années, un projet de restauration a vu le jour à la Cinémathèque de Bologne en collaboration avec MK2 et Warner Brothers et tous ses films sont ressortis en version restaurée, en DVD et en salle, au cours des dernières années.

Dans l’histoire du cinéma, rares sont les auteurs qui bénéficient d’autant d’attention et dont l’ensemble de l’œuvre est disponible quarante ans après leur mort. Tout cela a une haute valeur patrimoniale et on s’en est maintenant rendu compte.

swissinfo.ch: Qu’est-ce qui fait l’universalité de Chaplin?

S.S.: Grande question! Bien sûr, c’était un des génies du 20e siècle, mais il a aussi été au bon endroit au bon moment. Héritier du music hall et de la pantomime, il a saisi très vite le potentiel du cinéma, le don d’ubiquité qu’il peut offrir et il va mettre son talent au service de cette modernité. C’est la réunion des deux qui va permettre l’invention un nouveau mode d’expression à travers un langage corporel qui n’a pas besoin de mots, si bien que sa manière de dire les choses va parler à tous.

Comme il a su toucher toute la planète, il a bénéficié d’une reconnaissance phénoménale, si bien que Chaplin a été véritablement la première vedette du cinéma, la première vedette tout court.

En outre, ce qui fera la différence, c’est que Chaplin aura très vite quelque chose à dire et qu’il y a une dimension, non pas politique, mais sociale dans son travail (les rapports père-fils, le fossé entre les ouvriers et la bourgeoisie oisive, la relation de l’homme à la machine). Enfin, l’apothéose de sa carrière avec «Le Dictateur», qui parle en 1938 déjà de ce que tout le monde tait à l’époque sur le dictateur qui terrorisera le monde en 1940.

swissinfo.ch: Comment se sent le Parisien à Lausanne après près d’un an sur les bords du Léman?

S.S.: Eh bien il se sent comme un Lausannois! Non seulement parce que j’ai appris à dire les chiffres à la suisse, mais parce que, même quand je repasse la frontière, je parle en francs et plus en euros!

Tournages. Dès la fin des années 1910, plusieurs photographes de plateau documentaient le

tournage de chaque film de l’acteur et cinéaste, à la demande des Studios Chaplin.

Steichen. Ces 10’000 tirages et négatifs comptent notamment deux portraits de Chaplin par Edward Steichen.

Album Keystone. Le fonds comprend aussi l’album Keystone (1914), du nom du studio de production de Charlie Chaplin à ses débuts, qui regroupe 750 photos retraçant les 35 premiers films de Chaplin.

Dépôt. Ces photos constituent un «dépôt à titre gracieux», mais le musée a récolté auprès de l’Office fédéral de la culture et de diverses fondations près d’un million de francs pour valoriser ce Fonds. Le canton a annoncé un soutien «exceptionnel» de 300’000 francs pour trois ans.

Valorisation. Outre la conservation et la valorisation du Fonds Chaplin, l’Elysée annonce des expositions thématiques ou monographiques sur Chaplin ainsi que des publications.

Ecole. Lancement dès 2012 du projet d’Ecole du regard intitulé «Chaplin à l’école» qui sera présenté dans les écoles.

Le Kid. Pour fêter l’arrivée du Fonds, le Musée de l’Elysée, en partenariat avec la Cinémathèque suisse, organise une grande projection publique de l’un des chefs-d’œuvre de Charlie Chaplin, Le Kid (1921) le mercredi 9 février au cinéma Capitole, à Lausanne.

Famille. La séance sera gratuite et aura lieu en présence de trois enfants de Charlie Chaplin et quatre de ses petits-enfants ou arrière-petits-enfants. Entrée libre.

Paris. Né en 1974 à Paris, a suivi des études d’économie et d’histoire de l’art à Paris IV, avant de perfectionner son anglais en Californie, où il a véritablement découvert la photographie.

Indépendant. A moins de 25 ans, il commence à monter des expositions en indépendant, s’occupant aussi bien du travail scientifique que de la recherche de fonds.

Expositions. Monte une rétrospective Dorothea Lange en 1998, «Chaplin et les images» à l’Elysée en 2006, «Fellini, la Grande Parade»  à l’automne 2010 au Jeu de Paume à Paris. Cette dernière sera présentée à Lausanne en juin 2011.

Elysée. Il est directeur du Musée de l’Elysée à Lausanne depuis le 1er mai 2010.

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