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Là où les camionneurs peuvent dormir en roulant

En 2011, 63,9% des marchandises qui ont transité par les Alpes suisses ont pris le train. swissinfo.ch

Ils pourraient rouler de Bâle à Chiasso pour traverser la Suisse, mais préfèrent prendre le train. Chaque année, quelque 100'000 poids lourds de toute l’Europe empruntent ainsi la chaussée roulante. Les chauffeurs en profitent ainsi pour se reposer. Reportage.

Dans la chaleur estivale de Fribourg-en-Brisgau (Allemagne), les manœuvres au gilet orange ont la tâche ingrate. Il n’y a pas beaucoup d’ombre sur le terrain de la gare de transfert et la transpiration coule sur leur visage. Or, pour installer la rampe mobile sur le dernier wagon du train, il faut beaucoup de force physique. La sueur coule sous le casque de protection.

A côté des voies, une vingtaine de poids lourds attendent, alignés par quatre. La plupart des chauffeurs ont déjà quitté leur cabine. Ils doivent se rendre à pied jusqu’au guichet pour s’acquitter des formalités de transport.

De nombreux véhicules ont des plaques d’Europe de l’Est. Christian, qui est le premier à placer son poids lourd sur le pèse-camion, vient de Roumanie. Aujourd’hui, il achemine du métal d’Allemagne en Italie, pour une entreprise de transports autrichienne. Le chaussée roulante (CR) autorise 44 tonnes au maximum par camion, 4 tonnes de plus que ce qui est autorisé sur les routes suisses.

Cartes jaunes et rouges

«Les 44 tonnes seront prochainement la règle, et non plus l’exception», explique Wolfgang Ziebold, responsable du contrôle de la dimension des camions. En matière de coûts, les 4 tonnes supplémentaires autorisées sur le rail représentent un argument décisif pour de nombreux transporteurs.

Dans la poche droite de la chemise de Wolfgang Ziebold se trouve une carte jaune, dans la poche de gauche une carte rouge. «Les chauffeurs du monde entier comprennent ce langage: la gauche signifie par exemple que l’antenne n’a pas encore été rentrée ou que le chauffeur doit mettre de l’ordre dans son chargement.»

Dans la plupart des cas, le chauffeur peut mettre son véhicule aux normes sur place. Mais la carte rouge s’applique à un chauffeur sur trois, car le chargement n’est pas assuré, les bâches sont fichues ou le camion est trop haut.

Les chauffeurs fautifs, qui seraient arrêtés s’ils étaient interceptés avec ces violations de règlement sur la route, ne sont pas dénoncés ici. «Ils sont responsables de leur véhicule», indique Martin Weideli, chef de production de l’entreprise RAlpin, chargée d’exploiter la chaussée roulante.

Rouler avec le camion sur la rampe de chargement exige une grande précision. Seuls quelques millimètres séparent les larges roues des véhicules du bord de la rampe. La grande majorité des chauffeurs réussissent l’exercice sans hésitation.

De la station de chargement allemande jusqu’à Novare (Italie), le trajet prend neuf heures en train, en passant par le Lötschberg et le Simplon. Les chauffeurs prennent place dans un wagon qui leur est attribué. Neuf heures, c’est aussi la durée de repos obligatoire des chauffeurs. Ils pourront donc reprendre le volant à leur arrivée. «C’est notre principal argument de vente», souligne Martin Weideli.

Concurrence intense, bas salaires

«Vous ne devriez pas faire votre reportage à Fribourg-en-Brisgau, mais à Novare, glisse un chauffeur allemand. Vous verrez l’état des installations sanitaires là-bas… inhumain.» Il n’y a plus d’eau chaude depuis un mois et les toilettes ne sont pas nettoyées, ajoute-t-il.

«Nous connaissons le problème», confirme Martin Weideli. Même si, théoriquement, c’est une entreprise partenaire en Italie qui est responsables des infrastructures à Novare, RAlpin a décidé de rénover les installations. Tout devrait être en ordre fin août, promet Martin Weideli.

Hans-Peter Behrendt, un chauffeur d’Allemagne du Nord, emprunte la CR presque une fois par semaine. «Si je pars du bassin de la Ruhr, comme aujourd’hui, je dois faire une pause quelque part en Suisse, soit à Erstfeld (canton d’Uri, avant le tunnel routier, ndlr), soit après le tunnel du Gothard. En dix heures, je ne vais pas plus loin.» La CR lui permet donc de se reposer et d’arriver en Italie.

Sur le marché des transporteurs, particulièrement concurrentiel, chaque centime compte. Depuis l’ouverture des pays de l’Est, l’offre est excédentaire. «Regardez mes collègues, là, sur le train, ajoute le chauffeur allemand. Les chauffeurs d’Europe de l’Est travaillent à prix cassés pour des expéditeurs d’Europe de l’Ouest.»

Son collègue, Andreas Schäfer, qui vient de Haselünne au nord de l’Allemagne, n’emprunte la CR que lorsqu’il transporte du matériel dangereux, car ce type de marchandises est interdit dans le tunnel routier du Gothard. Aujourd’hui, son camion contient 22 tonnes de nitrocellulose, une substance explosive chargée à Osnabrück, par l’entreprise Hagedorn Chemie, et qui doit être livrée dans la région de Milan.

Satisfaits du confort

Le wagon de train destiné aux chauffeurs est neuf. La climatisation fonctionne. L’air est agréablement frais, alors que le wagon est stationné en plein soleil. Trois chauffeurs italiens travaillant pour l’entreprise de transports Pigliacelli ont pris place à la longue table près de la niche-cuisine et s’apprêtent à manger du melon, du fromage et du pain.

A la table d’à côté, on parle une langue slave. Un chauffeur croate explique qu’il roule depuis quinze ans pour une entreprise autrichienne, «une boîte sérieuse qui ne fait pas pression sur ses chauffeurs, insiste-t-il. Ils comprennent que lorsqu’on doit rallier une destination lointaine, il y a toujours, quelque part, un retard.» Aujourd’hui, il a un chargement de bouteilles vides à ramener dans le sud de l’Italie pour San Pellegrino.

Des Polonais travaillant pour une entreprise hollandaise s’apprêtent à aller dormir dans les cabines équipées de lits pliables. Ils se disent très satisfaits du confort offert par la CR. Leurs camions transportent du poisson chargé le matin dans une usine hollandaise et destiné à Modène.

Après trois semaines de travail, les Polonais ont une semaine de repos. «Nous prenons le bus pour retourner à la maison.» Ils disent gagner entre 1600 et 1700 euros par mois, «des conditions normales», affirment-ils.

En revanche, ce chauffeur roumain se plaint que son employeur, un transporteur italien, veuille réduire son salaire de 3000 à 2700 euros. Et cela pour un travail de 30 jours d’affilée. Mais cela, le chauffeur ne le dit que lorsque le micro est éteint.

Chaque jour, la chaussée roulante (CR) transporte jusqu’à 11 trains chargés de 21 poids lourds au maximum, dans les deux sens, entre les gares de Fribourg-en-Brisgau et Novare, en passant par la ligne ferroviaire du Lötschberg-Simplon.

Un convoi roule également chaque jour sur la ligne du Gothard entre Bâle et Chiasso, et retour, en transportant 28 camions au maximum par train.

Chaque année, quelque 100’000 camions traversent les Alpes suisses grâce à la CR. A quelques exceptions près, tous les poids lourds autorisés sur les routes européennes peuvent être chargés sur les convois de la CR.

La CR est particulièrement adaptée au transport de biens sensibles (hightech, alimentation, marchandises dangereuses). Elle permet aussi d’éviter l’interdiction de rouler la nuit, le dimanche et les jours fériés.

La durée du trajet est de 9 heures, qui correspondent au temps de repos des chauffeurs.

Parmi les points noirs de la CR figurent le bilan énergétique. Les wagons ont un poids à vide plus élevé et peuvent transporter moins de marchandises par longueur de train.

La CR n’est pas l’élément prioritaire de la politique de transfert des marchandises de la route au rail. L’objectif est de favoriser le rail depuis le chargement initial, par exemple depuis la Ruhr, jusqu’à Milan, et non de frontière à frontière. Mais la CR est une importante offre complémentaire dans le trafic combiné sans chauffeur. La Confédération prend en charge un tiers des coûts.

Au total, 63,9% des marchandises qui ont été transportées dans les Alpes suisses en 2011 l’ont été sur le rail (chiffres globaux ne concernant pas spécifiquement la CR), 36,1% sur la route.

Une chaussée roulante autrichienne, au Brenner, a transporté presque deux fois plus de camions en 2011 que la CR suisse, mais sur une distance bien plus courte. La CR française du Mont-Cenis en transporte nettement moins.

(Source: RAlpin AG et Office fédéral des transports)

(Traduction de l’allemand: Ariane Gigon)

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