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Christo et Jeanne-Claude, du rêve et des chiffres

Christo et Jeanne-Claude: 46 ans de complicité. swissinfo.ch

Les deux artistes, stars mondiales de l’installation hors-normes, sont le centre d’une vaste exposition présentée à Bienne, au Centre PasquArt.

Une exposition en trois volets qui propose notamment un regard sur les réalisations suisses du couple, célèbre pour ses ‘empaquetages’ de monuments.

Christo et Jeanne-Claude à Bienne? L’annonce en aura surpris plus d’un. Et pourtant, ils sont bien là, elle, la crinière rouge au vent, lui, et ses allures de Woody Allen des Beaux-Arts.

Non pas à l’occasion d’un empaquetage – attention, il ne faut pas dire ‘emballage’ ! – du PasquArt, mais pour une exposition, plutôt copieuse, en trois volets. Au menu, des photos, mais aussi des dessins préparatoires, des maquettes, des objets.

«Nous aimons la Suisse… Parce que quand j’étais petite fille, j’ai habité quatre ans à Berne, et j’allais à l’école à Fribourg. Parce que le premier musée empaqueté était la Kunsthalle de Berne. Parce que… parce que… beaucoup de choses. La Suisse est très proche de notre cœur», explique Jeanne-Claude en ouverture d’une conférence de presse donnée vendredi.

Du passé lointain au futur proche

1968… Christo emballe effectivement la «Kunsthalle» de Berne, sous l’œil complice du directeur d’alors, Harald Szeemann. Il s’agit là du premier empaquetage d’un édifice public par Christo. On sait quel avenir aura sa démarche.

L’installation autour du musée bernois est au cœur du volet intitulé «Swiss Projects 1968-1998». «Projects» au pluriel, car Christo et Jeanne-Claude ont également recouvert les sols, les escaliers et les fenêtres de l’Architecture Museum de Bâle (1984), et les arbres du parc de la Fondation Beyeler à Riehen (1998). Le Jet d’eau de Genève était également dans leur collimateur, mais la chose ne se fit pas…

Autre volet de l’exposition biennoise, «The Umbrellas, Japan-USA», qui retrace, pas après pas, la genèse et la réalisation d’un gigantesque diptyque américano-nippon installé en 1991: 3100 parasols jouant des parallélismes et de l’opposition entre Californie et Japon.

Enfin, le dernier volet décortique un projet imminent: «The gates, project for Central Park, New York City», qui sera inauguré en février prochain. 7500 portails d’acier et de toile, d’une hauteur de 4,87 mètres, sur 37 km de chemins du célèbre parc new-yorkais.

Trois volets et une grande richesse d’angles pour aborder le travail de deux créateurs parmi les plus intrigants de la seconde moitié du 20e siècle.

Les chiffres: record, rigueur ou névrose?

Intrigants de par leur démarche artistique, bien sûr. Mais de par leur façon d’en parler également. Ainsi, souvent, ce sont les chiffres vertigineux – ceux des coûts, des surfaces, des distances, des quantités de matériaux employés – qui sont mis en avant, bien plus que l’intention de l’œuvre en elle-même.

Alors autant leur poser la question… Pourquoi leur œuvre se raconte-t-elle en chiffres? La notion de record, financier ou technique, serait-elle une dimension primordiale de leur travail?

«Non. Ce n’est pas une question de record. Christo et moi, nous vivons au 4e et 5e étage, à New York, à la même adresse depuis 40 ans… sans ascenseur. Nous ne sommes pas riches du tout. Nous n’essayons pas de dépenser le plus d’argent possible. Mais tout ça coûte très cher», répond Jeanne-Claude.

Christo, lui, évoque plutôt l’aspect technique: «Pour articuler exactement la dimension d’un projet, on ne peut pas parler de ‘quelques’ kilomètres. Pour les parasols, c’est exactement 19 km au Japon, et 26 km en Californie. Ce n’est pas quelques parasols, c’est 1760 parasols jaunes et 1340 parasols bleus. La vraie information, c’est ça. Pas d’interprétation, pas de mensonge, pas de fantaisie».

Et en disant cela, il ne plaisante pas. L’œil est sombre.

Liberté totale

Malgré tout, l’argent est un élément récurrent de leur discours. Il faut admettre que, leurs réalisations artistiques relevant d’une joyeuse mégalomanie artistique, cette folie des grandeurs a nécessairement un prix. 15 millions de dollars pour l’empaquetage du Reichstag à Berlin, vraisemblablement autour des 20 millions pour le projet new-yorkais.

«Quand vous entendez qu’une œuvre de Van Gogh se vend pour 30 millions de dollars, ce n’est pas vrai. Ce tableau coûte probablement 400 dollars de peinture, 300 de toile, et peut-être 1000 de cadre. C’est tout. Mais c’est vendu à des millions de dollars. Quand nous disons ce qu’une œuvre nous a coûté, c’est ce que nous avons réellement payé aux industries, en acier, en aluminium, en toile, en couture, ou aux ouvriers, aux assurances», constate Jeanne-Claude, qui a le sens de la comparaison.

Le couple affirme refuser les sponsors comme les donateurs: «Tous nos projets sont un cri de liberté. Nous voulons la liberté totale. Or quand vous avez des sponsors, il faut faire un peu ce qu’ils veulent, ce qu’ils disent. Et cela, nous ne pouvons pas».

Alors Christo et Jeanne-Claude vendent. Leurs documents (esquisses, plans, photos, maquettes) des livres, des objets. «Les musées ou les collectionneurs qui achètent nos œuvres, c’est grâce à eux que nous pouvons faire des projets. Si nous ne vendons pas, nous ne pouvons pas construire», constate Jeanne-Claude.

Pour que l’exposition de Bienne puisse avoir lieu, il a fallu qu’un mécène achète une œuvre d’une valeur de 150.000 francs suisses. Un préalable qui ne choque pas l’acheteur, l’association «Strategia»: «D’autres artistes réclament une rétribution, eux veulent qu’on achète une œuvre», constate Andreas Rickenbacher, membre du comité.

Quoi qu’il en soit, le système ‘Christo et Jeanne-Claude’ fonctionne. Et parce qu’il fonctionne, il permet à leur imagination de continuer à travailler sans limites. L’exposition du Centre PasquArt en témoigne.

swissinfo, Bernard Léchot à Bienne

«Christo et Jeanne-Claude», à voir à Bienne, Centre PasquArt, dès dimanche et jusqu’au 7 novembre.
L’exposition comporte trois parties: «Swiss projects 1968-1998», «The Umbrellas, Japan-USA, 1984-1991» et «The Gates, Central Park, New York City».
Une plaquette consacrée aux «Swiss projects» est publiée à l’occasion de cette exposition.

– Christo Vladimirov Javacheff est né le 13 juin 1935 en Bulgarie. Et Jeanne-Claude Denat de Guillebon le même jour de la même année, à Casablanca.

– Depuis les années 60, ils procèdent à des «altérations d’environnement», dont les fameux empaquetages, qui les ont rendus mondialement célèbres.

– Leur prochain projet est prévu pour février 2005: 7500 portails disposés dans Central Park, à New York, la ville où ils vivent depuis 1963.

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