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Cinq ans d’aide suisse à la Bosnie: les maisons refleurissent sur les ruines

Depuis plus de cinquante ans, Ivo se rend chaque dimanche à l'église sur les genoux. Miraculeusement épargné par l'épuration éthnique, cet homme de 80 ans est un peu le vieux sage de la montagne. swissinfo.ch

Depuis Dayton, la Suisse s´engage pour la Bosnie Herzégovine. Aux portes de Banja Luka, dans une vallée à cheval sur la République serbe et la Fédération croato-musulmane, Caritas aide à la reconstruction des villages ravagés par la guerre.


Prijedor, à une quarantaine de kilomètres de Banja Luka, capitale de la République serbe (RS), est un gros bourg qui fleure bon la Bosnie rurale. Malgré ses chemins de terre défoncés et ses façades délabrées, la ville a su garder son marché agricole, souvenir de l’époque où l’arrière-pays était prospère. Mais aujourd’hui, les étalages sont plutôt dégarnis.

Car en fait d’arrière pays, Prijedor a désormais surtout des champs de ruines et des champs de mines. Nous sommes ici dans un des hauts lieux de la sinistre épuration ethnique et pratiquement tous les villages entre Prijedor et la ville voisine de Sanski Most ont connu les massacres, les déportations et les destructions. C’est dans cette zone, à cheval sur la RS et la Fédération que Caritas suisse, la DDC et l’association américaine United Methodist Comittee of Relief (UMCOR) soutiennent un vaste projet de reconstruction et de soutien à la petite agriculture.

«Nous fournissons les matériaux et les gens se débrouillent en général eux-mêmes pour construire les maisons, explique Namir Poric, l’agent de Caritas sur place. Si les gens sont trop âgés ou trop faibles pour le faire, les voisins donnent volontiers un coup de main. Dans certains cas, c’est nous qui nous chargeons du chantier. Nous nous occupons également de rétablir le courant électrique.»

De construction standard, simple mais solide et bien isolée, chacune de ces maisons ne coûte pas plus de 12 000 francs suisses en matériaux. Depuis 1996, Caritas et ses partenaires ont déjà pu en édifier 1042 dans ce secteur, et le programme doit se poursuivre encore au moins sur deux ans. Elles sont généralement reconstruites sur le site même où s’élevait la maison détruite. Mais pour cela, il faut bien sûr commencer par débarrasser les décombres.

A Hambarine, le premier village où nous faisons halte en sortant de Prijedor, l’ancienne école accueille à nouveau une dizaine d’enfants bosniaques et leur maîtresse serbe. «L’année prochaine, nous pourrons agrandir et nous en aurons davantage, il y a encore des familles qui vont arriver», se réjouit Namir. Plus dégourdie que ses camarades, Nadija (12 ans) sait déjà s’exprimer dans un allemand très correct. La guerre? Elle ne s’en souvient pas. De toute façon, elle préfère disserter sur les mérites respectifs de Britney Spears et de Christina Aguilhera.

Un peu plus haut dans les collines, c’est le «quartier» croate, en fait plutôt une zone d’habitat dispersé. «Ici, il n’est pas une famille qui n’ait eu au moins un mort, explique Namir. Les Serbes venaient de nuit et le pire, c’est que c’était le plus souvent les voisins. Dans ces villages, je pense que tout le monde sait exactement qui a fait quoi durant la guerre». Encore quelques kilomètres, le chemin débouche sur une crête… et sur la rencontre d’un personnage extraordinaire.

Ivo n’a pas loin de quatre-vingt ans. En 1942, il a sauté sur une mine allemande, qui lui a coupé les deux jambes juste au-dessous du genou. Depuis 58 ans donc, cet homme au courage extraordinaire a toujours vécu comme si de rien n’était. De confession catholique, il ne manque jamais la messe du dimanche, même si le trajet aller et retour jusqu’à l’église lui prend deux bonnes heures… à genoux.

Durant la guerre civile, Ivo n’a jamais voulu quitter son coin de terre et, comme par miracle, les «épurateurs» l’ont épargné, lui et sa sœur. Avec un sourire lumineux qui éclaire son visage de vieux sage, il ne peut aujourd’hui que remercier ceux qui leur ont construit une nouvelle maison. Ivo et sa sœur ne regrettent en tout cas pas leur vieille bâtisse en planches disjointes, qui aujourd’hui ne sert plus que d’écurie.

«J’admire énormément cet homme, confie Namir. Sa modestie, son courage et sa gentillesse me font chaud au cœur. Quand je pense avoir un sérieux problème, je viens passer un moment avec lui et après, je me rends compte que ce n’était pas si grave… »

Prochaine étape, Ljubija, un gros bourg dont les quartiers musulmans et croates se reconstruisent également peu à peu. Du temps de sa splendeur, la Yougoslavie avait construit ici un complexe industriel géant, qui produisait un des meilleurs aciers d’Europe à partir du minerai extrait des collines. Sur la route qui mène à l’usine, les immeubles des ouvriers et les petits pavillons des cadres se dégradent lentement, tandis que l’ancienne piscine – un luxe dans ces contrées – est à l’abandon.

Quant à l’usine elle-même, ce n’est plus qu’une série de carcasses surdimensionnées, dont les revêtements tombent par plaques, révélant des éléments de squelette rouillé et tordu. Un peu plus haut, les tas de scories extraites de l’usine ont servi de charniers à l’époque des massacres. «Ici, on a retrouvé 40 cadavres le mois dernier. Les gens prétendent que pas loin d’ici, on pourrait encore en déterrer près de 3000», confie Namir.

Sur l’autre versant des collines, encore des familles de rapatriés croates. Mato et Katarina ont eu de la chance dans leur malheur, leur maison n’a que peu souffert des basses œuvres des dynamiteurs. Dans ces cas, Caritas conseille la réparation plutôt que la reconstruction. Ancien ouvrier des aciéries, Mato se souvient que pendant des décennies, les différences de religions n’ont jamais posé le moindre problème entre lui et ses camarades.

«On vivait bien du temps de la Yougoslavie. Cette région était riche, il y avait du travail pour tout le monde. Si les gens avaient encore du travail aujourd’hui, ils n’auraient pas le temps de faire de la politique», soupire cet homme qui ne comprendra jamais pourquoi on a massacré des gens qui n’avaient même pas une arme à la maison.

Namir Poric, de son côté, est plutôt satisfait du travail accompli ces quatre dernières années. «Il y a seulement deux ans, ces retours auraient été impossibles. Aujourd’hui, les esprits sont calmés. Et même si dans certaines communes, les autorités serbes ne nous aident pas vraiment ou imposent à «nos» familles des tracasseries administratives inutiles, dans l’ensemble, cela se passe plutôt bien». Comme pas mal de gens d’ici, Namir est toutefois très heureux que la SFOR entretienne un camp géant à Ljubija. Dans une région qui a connu de tels déchaînements de haine, la présence des soldats étrangers est un élément évidemment rassurant.

Reste qu’à part leurs nouveaux murs, les rapatriés n’ont pratiquement rien. C’est pourquoi le programme de Caritas inclut également un volet agricole: les familles reçoivent une vache, une truie ou une chèvre. A chaque portée, les nouveaux propriétaires peuvent garder les mâles et doivent donner les jeunes femelles à d’autres familles, si possible dans un autre groupe ethnique, afin de favoriser la réconciliation.

Mais, lorsque vous demandez à Namir Poric comment une famille peut vivre avec juste un jardin et une vache, il vous corrige immédiatement: «pour l’instant, il ne s’agit pas de vivre, mais simplement de survivre».

De retour de Prijedor, Marc-André Miserez





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