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Cinq ans d’aide suisse à la Bosnie: une radio pour la réconciliation

Bojan Stjepanovic, directeur adjoint de Radio FERN: "notre principale qualité, c'est l'indépendance". swissinfo.ch

Depuis Dayton, la Suisse s´engage massivement dans l´aide à la stabilisation et à la reconstruction en Bosnie Herzégovine. Une aide qui passe aussi par la radio: en quatre ans, la station montée par la DDC est devenue l´une des plus crédibles du pays.

C’est un immeuble en béton sans aucun charme, comme l’urbanisme socialiste en a produit des millions, en plein centre de Sarajevo. En arrivant sur le palier du cinquième, on rase pratiquement le mur pour éviter la grande table ronde où deux ou trois journalistes hilares terminent leurs papiers, la clope au bec. «Les studios ont été déclarés zone non fumeurs, m’explique l’un d’eux. Ce qui n’est pas plus mal, vu que dedans, il n’y a de toute façon pas assez de place».

A l’intérieur en effet, c’est la ruche. Un couloir central, un bureau minuscule pour la direction et deux salles un peu plus généreuses: rédaction d’un côté, studios de l’autre. Les appareils par contre, n’ont rien à envier à ceux des stations occidentales. Entièrement digitalisée, Radio FERN bénéficie du matériel fourni à son lancement par la Direction du développement et de la coopération (DDC), marraine du projet avec l’OSCE.

Mais ce qui compte, c’est d’abord la qualité des programmes. Et dans ce domaine, Radio FERN affirme n’avoir rien à craindre de la concurrence. Baptisée à son lancement Free Elections Radio Network («réseau radiophonique des élections libres») FERN a commencé à émettre le 15 juillet 96, en prévision des élections générales de septembre. Après ce premier mandat, la station a poursuivi sa route, baptisée désormais «réseau radiophonique des échanges libres».

Et depuis le 4 octobre 99, Radio FERN mérite pleinement son nom. Sous l’impulsion de Shawn Dearn, son directeur canadien (le seul étranger à travailler ici), la station s’est muée de radio musicale en radio qui parle et qui donne la parole aux gens. Entre 6 et 20 heures, ce ne sont que débats, émissions de service et bulletins d’information, avec tout au plus une chanson par heure d’antenne.

Et ça marche. En l’absence de sondages d’audience, la radio ne peut que constater l’augmentation constante du nombre d’appels d’auditeurs. Qu’ils soient politiques, économiques ou de société, les débats en direct suscitent toujours les passions. «Les gens ont envie d’entendre parler de ce qui les touche directement, note Bojan Stjepanovic, le jeune directeur-adjoint de FERN (21 ans). Notre seule difficulté, c’est d’amener des politiciens à l’antenne, pour répondre aux questions des auditeurs. Vous n’imaginez pas à quel point ces gens ont des agendas chargés…»

En début d’après-midi, Radio FERN s’adresse plus particulièrement aux femmes. La tranche horaire qui leur est dédiée aborde de front toutes les questions, de la mode à la violence conjugale en passant par les trafics immondes qui voient des jeunes filles achetées à l’Est faire leurs «premières armes» dans les bordels des Balkans avant d’être envoyées plus à l’Ouest. Mais le programme inclut également des tranches plus légères, comme les émissions sportives, indispensables dans un pays qui vibre au moins autant pour son football que sait le faire l’Italie. Pour ce rendez-vous quotidien, FERN bénéficie d’un sponsor de prestige: le groupe Swatch.

Côté finances, la station tente lentement de s’affranchir de ses bailleurs de fonds étrangers. Depuis peu, FERN fait partie d’un pool regroupant 25 des 280 (!) radios recensées en Bosnie Herzégovine, ce qui lui permet d’intéresser les grands annonceurs étrangers, comme WV ou Coca-Cola. Actuellement la publicité occupe 6 à 8 minutes d’antenne à l’heure, un score tout à fait honorable, que nombre de radios régionales en Suisse ont mis des années à atteindre.

En tout, ce sont une quarantaine de personnes qui travaillent au siège de Sarajevo, auxquelles il faut ajouter une trentaine de correspondants dans le pays et à l’étranger. «L’option que nous avons choisie nécessite évidemment beaucoup de personnel, explique Bojan Stjepanovic. S’il ne s’agissait que de diffuser de la musique et quelques bulletins d’informations – comme le font la plupart des autres radios – nous n’aurions pas besoin d’être aussi nombreux».

La qualité a donc son prix, mais le jeu en vaut la chandelle. Mis à part les nationalistes purs et durs (qui ont aussi leurs propres stations), tout le monde en Bosnie Herzégovine semble avoir compris que Radio FERN est d’abord indépendante, ce qui lui donne une liberté de ton dont ses consoeurs installées en Croatie ou en République fédérale de Yougoslavie n’osent même pas rêver.

Et lorsque Adolf Ogi est venu à Sarajevo vendredi dernier, les journalistes de FERN ont été de loin les plus agressifs lors de la conférence de presse, par exemple pour tenter de savoir ce que les trois présidents de Bosnie Herzégovine avaient bien pu dire ou promettre au président de la Confédération helvétique.

Autant dire que la petite «radio des internationaux» – comme certains l’appellent encore est en train de devenir un acteur incontournable du paysage médiatique bosniaque. Avec sa couverture de 90 pour cent du territoire national (Fédération et République serbe confondues), elle fonctionne désormais comme un véritable lien entre les ennemis d’hier.

La preuve? «Le soir, nous avons une émission pour les cœurs solitaires, raconte Bojan Stjepanovic. Les filles appellent sur une ligne, les garçons sur une autre et les gagnants du concours se voient offrir la soirée au restaurant. Eh bien croyez-moi, personne n’a jamais demandé si ce ou cette partenaire d’un soir – voire plus si entente – serait serbe, croate ou bosniaque».

Sarajevo, Marc-André Miserez

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