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Cinq ans plus tard, Expo.02 s’est fait oublier

swissinfo.ch

En été 2002, la moitié des Suisses ont visité la dernière exposition nationale en date. Alors que vient d'être émise l'idée d'une nouvelle manifestation du genre au Tessin en 2020, qu'en reste-t-il?

A en croire les personnalités interrogées par swissinfo, pas grand chose. Mais l’avenir pourrait réserver des surprises.

Comme elle le fait à chaque génération, la Suisse s’est offert en 2002 son exposition universelle à l’échelle nationale, organisée à différents endroits sur la frontière des langues. Pendant cinq mois, expositions thématiques, projets artistiques et architecturaux, événements populaires ont drainé dix millions de visiteurs.

Avant et pendant l’événement, le pays est passé par tous les états – du doute à l’enthousiasme et la colère, du psychodrame politique à l’emballement médiatique. Question la plus controversée: le budget de 1,6 milliard de francs, dont un milliard de fonds publics.

Cinq ans après, peu de traces tangibles subsistent d’un événement qui avait fait le pari de l’éphémère. Peu de traces physiques en tout cas, hormis quelques bâtiments, déplacés pour d’autres usages ailleurs en Suisse.

«Pour respecter les délais et éviter les oppositions sans fin, il fallait de l’éphémère, explique Didier Burkhalter, député radical du canton de Neuchâtel. Evidemment, on le paie cash.»

Les villes et régions concernées n’en sont toutefois pas sorties les mains vides. Elles ont profité de la manifestation pour se redonner un coup de jeune et revoir certaines infrastructures. Comme les transports publics urbains et la gare, modernisés à Neuchâtel.

L’enthousiasme de l’époque a aussi permis de planter les premières graines de la fusion des polices ou de la construction d’un stade de football dans le même canton.

Trop courte

Aujourd’hui actif en politique nationale, Didier Burkhalter constate que la région d’accueil de l’événement (les Trois-Lacs) n’est pas parvenue pourtant à sortir d’une relative confidentialité. Cinq mois n’ont pas suffi pour la faire entrer dans les têtes.

«Il y avait un énorme potentiel, il a été très mal utilisé. C’est peut-être le plus gros regret. (…) Sur le plan touristique et même économique, la région reste assez mal connue.»

A l’échelon politique national, l’expo n’est plus qu’un lointain souvenir, estime aussi le député. «La méfiance est plus grande à l’égard de tout projet fondé sur un idéal plutôt que sur des bases très concrètes, précise-t-il. Mais l’événement n’a rien changé de fondamental.»

Dès le départ, l’historien Hans-Ulrich Jost a vu en l’expo la répétition d’un modèle du 19e siècle dénué de sens au 21e. Ce qu’il en reste à ses yeux, ce sont «des dettes. Entre 1 et 2 milliards de francs – c’est énorme, aucune exposition nationale n’a atteint une telle somme!»

Aucun lieu fort

Hormis quelques images et souvenirs, l’historien ne fait crédit sur rien d’autre à une manifestation «postmoderne, éclatée, qui n’a laissé aucun lieu fort.»

«Rien ne permet de dire que les Suisses ont retenu une valeur ou une perspective générale. (…) En fin de compte, les Suisses se rappelleront de ces milliards dépensés.»

A l’époque ambassadeur de la manifestation, le patron de l’Ecole d’art de Lausanne (ECAL) n’est guère plus tendre. «L’expo a été un laboratoire intéressant d’expériences, dont il ne reste plus rien.»

Si la manifestation n’a rien changé sur le plan de l’esthétique ou du design, «il fallait la faire, estime Pierre Keller. Mais il aurait fallu qu’il en reste quelque chose. Il n’en reste rien et c’est ridicule».

Au purgatoire

Bernard Crettaz fut un des cerveaux d’Expo.02. Son discours prend le contre-pied du «purgatoire» et de la «censure» auxquels il la voit condamnée. Une situation que l’ethnologue explique par une «mauvaise réputation due à son coût» et par le fait que «le monde politique ne s’est pas du tout reconnu dedans».

«La période néoconservatrice actuelle ne peut que la rejeter dans l’obscurité, assure-t-il. Mais dans dix ans et lors des discussions sur la prochaine exposition nationale, on se dira qu’on a été capable là de faire quelque chose d’extraordinairement novateur.»

Bernard Crettaz estime que cette dimension «novatrice» et «prophétique» de l’exposition lui confère une vraie actualité. «Dans le chaos qui l’a fait naître et dans ses idées-forces, elle annonçait notre monde», un monde complexe de réseaux, de périphéries et de labyrinthes, privé de repères fixes et éclaté.

«Expo.02, c’est un code qui me permet de décrypter le monde d’aujourd’hui. Mais en conférence, lorsque je fais le lien explicite entre le terrain que j’analyse et Expo.02, les gens me regardent avec de gros yeux, tant le mépris les a éloigné de cette exposition.»

Actuelle Miss Suisse, la jeune Christa Rigozzi estime quant à elle qu’«Expo.02 n’est plus à l’ordre du jour. Le sujet aujourd’hui, c’est 2020. Et en tant que Tessinoise, je serais heureuse que la prochaine exposition nationale se déroule chez moi!»

swissinfo, Pierre-François Besson

Depuis 1883, à chaque génération, la Suisse organise des expositions nationales. Leur vocation est de rassembler et de faire réfléchir les Suisses. A chaque fois, ces événements suscitent polémiques et contestations.

La sixième et dernière en date s’est déroulée sur 159 jours durant la belle saison de 2002, après plusieurs psychodrames autour du projet et de son financement. Après, aussi, un report d’un an.

Expo.02 a enregistré dix millions d’entrées. Selon ses responsables de l’époque, un Suisse sur deux s’est rendu sur les quatre sites de la région des Trois-Lacs. Un demi-million de visiteurs étrangers ont aussi fait le déplacement.

Le patron du tourisme dans le canton du Tessin vient de suggérer l’organisation d’une nouvelle exposition nationale en 2020, au moment de l’ouverture du tunnel de base du Gothard. Cette galerie ferroviaire sera la plus longue du monde. Mais l’idée divise.

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