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Claude Miller et Nathan, le cinéma à quatre mains

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A Bienne, dans le cadre du Festival du film français d'Helvétie, le public a pu découvrir en première suisse «Je suis heureux que ma mère soit vivante», un film fort, co-réalisé par Claude Miller et son fils Nathan. Interview chaleureuse et en stéréo.

Alors qu’il a cinq ans, Thomas est abandonné par sa mère, avec son frère cadet. Les deux enfants vont être adoptés. Mais malgré son nouveau cocon, Thomas vivra une enfance et une adolescence fissurées, lui qui n’a qu’un seul but: revoir sa mère biologique. Il la retrouvera. Entre rêve et cauchemar.

Une histoire simple, simple comme une bonne histoire qui tient en quelques lignes quand elle est portée à l’écran par un réalisateur de talent et des acteurs convaincants (remarquable Vincent Rottiers dans le rôle de Thomas).

Une histoire simple comme un fait divers tombé de la réalité. C’est en l’occurrence le cas. L’écrivain Emmanuel Carrère en rendit compte à travers un article, que le cinéaste Jacques Audiard transmit au célèbre producteur Jean-Louis Livi, qui – Audiard ayant renoncé au projet – le proposa au réalisateur de «Garde à vue», «L’effrontée» ou «La classe de neige».

A ma droite, Claude Miller. A ma gauche, Nathan Miller, qui collabore avec son père depuis de nombreuses années. Mais là, il s’agit d’une co-réalisation. Et ça, c’est une première…

swissinfo.ch: Comment se fait-il que vous avez amorcé ce projet en tant que co-réalisateurs?

Nathan Miller: C’est tout à l’honneur de Jean-Louis Livi. C’est lui qui est venu vers moi, une fois que le film avait été signé entre lui et mon père. Je pense qu’il y avait de sa part (mais pas de la nôtre) l’idée qu’un sujet comme celui-ci, qui aborde la filiation, pouvait nous être associé, que ce serait un ‘plus et plus’. C’est donc Jean-Louis qui m’a ‘réquisitionné’ pour ce film. Et c’était nécessaire pour que je puisse faire ce pas. Je n’y serais pas allé si cela avait été à la demande de Claude.

swissinfo.ch: Vous avez une longue expérience de collaboration, mais pas sur ce plan d’égalité. Cela a donc dû demander une redéfinition de vos rôles respectifs.

Nathan Miller: Jusque là, j’avais été au service non pas de mon père, mais d’un réalisateur qui est Claude Miller, et qui souhaite que je sois présent sur ses tournages. Mais avec un statut qui était très étonnant: j’étais un cadreur absolument libre de mes choix. Claude ne voulait pas décider de ce que j’avais à faire.

Il y avait selon lui la «caméra froide», celle dont il était responsable, et la «caméra chaude», la mienne, qui me permettait d’explorer comme je le souhaitais. C’est là que j’en ai appris le plus en matière de mise en scène. Mon objectif était que l’un de mes plans soit à la hauteur de ce que lui faisait. Je me coulais donc dans sa mise en scène tout en ayant un point de vue sur lequel je n’avais pas de comptes à rendre. La différence sur ce film, c’est que tout à coup, je gérais les deux caméras. Je décidais du regard formel que j’avais à apporter sur le film.

On a vraiment travaillé de concert sur le scénario, sur le montage, et pendant le tournage, Claude veillait sur moi, ou plutôt, veillait sur le film, sur le metteur en scène qui mettait en scène le film. Ce qui me permettait d’avoir toutes les audaces, puisque au cas où mon équipe et moi nous loupions, nous savions qu’il y avait un filet de sécurité.

swissinfo.ch: Claude Miller, filet de sécurité, c’est un rôle important, mais quand on a le parcours qui est le vôtre, est-il facile pour son ego de lâcher ainsi la bride?

Claude Miller: J’ai toujours accordé un grand crédit à Nathan, raison pour laquelle je lui ai demandé pendant dix ans d’être le deuxième caméraman de mes films. Et puis on avait travaillé le scénario ensemble, on savait ce qu’on faisait.

Mon ego n’a donc pas souffert. Même si ce n’est pas moi qui adressais directement la parole aux techniciens et aux acteurs, il n’y a pas une seconde du film qui me soit étrangère. Mais il est vrai que si j’avais fait le film tout seul, il aurait été très différent. Et que si Nathan avait fait le film seul, il aurait peut-être été différent aussi.

swissinfo.ch: Nathan, le principal défaut et la principale qualité du réalisateur Claude Miller?

Nathan Miller: Sa principale qualité, c’est une capacité de travail… atomisante! Quand il fait un film, il a une capacité de production – les idées et l’énergie qu’il y met – qui est stupéfiante. Le défaut de Claude, c’est peut-être de ne pas assez aimer le tournage en lui-même, ce moment du plateau qui est pour moi une absolue félicité. Lui ne recherche pas spécialement la compagnie de la troupe.

swissinfo.ch: Claude, le principal défaut et la principale qualité du réalisateur Nathan Miller?

Claude Miller: Qualité de Nathan? La ténacité sur le plateau. La pugnacité qu’il met à obtenir ce qu’il désir obtenir. Essentiel pour un metteur en scène, il a le sens de la diplomatie. Il sait très bien parler aux gens, les rendre heureux d’être là et leur donner envie de revenir le lendemain. Son défaut est mineur, c’est un défaut de jeune metteur en scène: il ne pense pas assez aux possibilités du montage. Il a tendance à faire trop de prises, alors qu’il pourrait se rendre compte plus vite qu’avec ce qu’il a en main et grâce au montage, il aura une séquence remarquable. Mais ça lui passera dès son deuxième film!

swissinfo.ch: Vous affirmez tous deux faire totalement la différence entre votre relation familiale et votre relation professionnelle. Les choses sont-elles aussi simples que ça?

Nathan Miller: Oui, c’est aussi simple que ça. Parce que le film est plus fort, balaie tout ça. La difficulté qu’il y a à être metteur en scène sur un film, la concentration que cela requiert, fait qu’il n’y a plus ni père, ni mère, ni quoi que ce soit. Ou alors vous perdez pied. Là, l’étrangeté, mais c’est vraiment un hasard, vient du fait qu’il y a cette thématique familiale dans le film… Alors disons que je ne crois pas non plus au hasard! Mais celui qui a vu ceci, c’est Jean-Louis Livi. Jamais nous n’avons placé le film dans notre propre perspective familiale.

Claude Miller: Imaginez un père et un fils qui jouent très bien au tennis et qui tapent l’un contre l’autre. Si le match est bon, ils oublieront qu’ils sont père et fils. Même chose s’ils jouent du même côté, dans un double: ils jouent la partie avant tout. C’est dans ce sens-là que Nathan dit que le film est plus fort que le rapport père-fils.

swissinfo.ch: Au bout du compte, y a-t-il néanmoins dans ce film, Claude Miller, le sentiment d’un ‘passage de témoin’?

Claude Miller: C’est assez compliqué de vous répondre. A l’origine, je n’avais pas l’idée consciente de passation. Je pensais que j’étais intéressé, dans le sens péjoratif du mot: le film serait meilleur parce que Nathan serait dans le coup. J’étais donc intéressé presque égoïstement. Maintenant, comme je pense très sérieusement que Nathan a une vie de cinéaste à accomplir, si cette expérience lui sert de tremplin et que j’en suis un peu responsable… j’en suis très content.

Bernard Léchot, Bienne, swissinfo.ch

«Je suis heureux que ma mère soit vivante», sortie le 30 septembre

Fémis. Claude Miller est actuellement président et intervenant de l’école de cinéma française la Fémis.

IDHEC. Né à Paris en 1942, il suit une formation cinématographique à l’IDHEC dont il sort major en 1965.

Truffaut. Longtemps collaborateur de François Truffaut, Claude Miller sort son 1er long-métrage, La meilleure façon de marcher en 1976.

Charlotte G. Après les extraordinaires Garde à vue et Mortelle randonnée suivront une série de films sur la thématique de la jeune fille (L’Effrontée, L’Accompagnatrice, La Petite Voleuse, Le Sourire) où il donne à Charlotte Gainsbourg ses premiers grands rôles.

Cannes.La Classe de neige reçoit le Prix du Jury du Festival de Cannes 1998, ex-æcquo avec Festen du danois Thomas Vinterberg.

Bienne. En 2007, Claude Miller présentait à Bienne le film Le secret. Cette année, il revient avec Je suis heureux que ma mère soit vivante, en Première suisse, et également, le documentaire Marching Band, sur la dernière élection présidentielle américaine.

Acteur. Nathan Miller débute au cinéma en tant qu’acteur. Bébé dans L’Enfant sauvage (François Truffaut, 1969), il joue ensuite dans La meilleure façon de marcher (Claude Miller) ou La Chambre verte (Truffaut, 1978).

Assistant. En 1988, il devient 2ème assistant mise en scène sur La petite voleuse. Ce film marque le début d’une longue collaboration entre son père et lui puisqu’ils se retrouveront sur une dizaine de films.

Collaborations. Il collabore également avec Jean-Louis Hubert (La reine blanche) ou Tonie Marshall (Les Falbalas de Jean-Paul Gauthier).

Réalisateur. Dès 2000, il réalise plusieurs courts métrages. En 2008, il retrouve son père avec lequel il co-réalise Je suis heureux que ma mère soit vivante.

5ème. La 5ème édition du Festival du film français d’Helvétie (FFFH) a lieu à Bienne du 16 au 20 septembre.

Pont. Il se veut un pont entre les communautés romande et alémanique en utilisant le langage universel qu’est le cinéma – français en l’occurrence.

Catégories. Les films – dont de nombreuses premières, nationales ou régionales – sont répartis en trois catégories: les films distribués en Suisse, les productions suisses/coproductions avec la France et les films non distribués en Suisse.

Sous-titrés. Cette année, le FFFH propose 27 films en version originale sous-titrée en allemand.

Bilingue. Bienne (environ 50’000 habitants) est située au pied du Jura (francophone) et dans le canton de Berne (à majorité germanophone).

Langues officielles. Le français et l’allemand sont les deux langues officielles de la ville.

60-40. 60% de la population est germanophone, 40% est francophone.

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