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Sport et nature: irréconciliables?

Manifestation de «Mountain Wilderness» le 5 avril 2013 sur le site protégé de Jungfrau-Aletsch. Keystone

Protection de la nature et promotion des sports de montagne: le Club alpin suisse, qui fête ses 150 ans d'activité, doit depuis toujours s’efforcer de concilier ces deux objectifs souvent opposés. Avec plus ou moins de succès.

Faut-il oui ou non autoriser le ski héliporté? Depuis des années, cette pratique qui consiste à atteindre des régions de montagne peu accessibles en hélicoptère et de redescendre à ski fait débat, symptôme des dilemmes auxquels le Club alpin suisse (CAS) est confronté.

D’une part, la mission du CAS est d’«encourager la pratique des sports de montagne par un public large, au sens d’une expérience à vivre», comme on peut lire dans l’article 2 de ses Statuts. De l’autre, le club s’engage «pour le développement durable et la sauvegarde du monde alpin, ainsi que pour les formes de culture qui ont un lien avec les montagnes».

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L’art difficile du compromis

Concilier sport de masse et protection de la nature? C’est souvent la quadrature du cercle. A Zermatt, par exemple, contrairement au comité central du CAS, les sections valaisannes du club se sont opposées à la décision de l’Office fédéral de l’aviation civile d’interdire cette pratique sur le versant occidental de la vallée.

«L’héliski est un élément très important pour garantir une offre variée. Si nous ne pouvons plus le proposer, nous perdons surtout des visiteurs au pouvoir d’achat élevé. Et ceci se répercute non seulement sur les guides de montagne ou les sociétés d’hélicoptères, mais aussi sur les hôtels, les restaurants ou les remontée mécaniques», souligne Daniel Luggen, directeur de l’Office du tourisme de la station valaisanne.

«C’est effectivement difficile de concilier les deux aspects, admet Françoise Jaquet, nouvelle présidente du CAS. Mais nous cherchons toujours à trouver un compromis. En ce qui concerne l’héliski, nous ne sommes pas opposés à cette pratique. Cependant nous ne voulons pas de terrains d’atterrissage dans les zones protégées, même si nous sommes prêts à discuter sur d’éventuelles exceptions.»

Selon Katharina Conradin, les instances centrales du CAS se trouvent un peu entre le marteau et l’enclume. D’un côté il y a les sections des régions de montagne qui veulent un accès le plus ouvert possible, de l’autre il y a les sections urbaines favorables à une politique plus restrictive, explique la directrice de Mountain Wilderness, une association qui milite pour la sauvegarde d’espaces intacts en montagne et dont les militants ont organisé à la mi-avril une manifestation contre l’héliski sur le Mont Rose.

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«Le Club alpin a contribué à former l’identité suisse»

Ce contenu a été publié sur «Plus que de la montagne»: la devise choisie pour le jubilée du Club alpin suisse (CAS) est certainement appropriée. Créé quinze ans après la naissance de l’État fédéral, le club a joué un rôle important dans la formation de l’identité nationale, affirme Daniel Anker. Ce journaliste et alpiniste a dirigé la rédaction du livre Helvetia…

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Pour Daniel Anker, qui a dirigé la réalisation du livre Helvetia Club publié à l’occasion des 150 ans du CAS, ce fossé entre sections urbaines et montagnardes est le «miroir de la société» (voir interview ci-contre). Le même désaccord se retrouve quand il y a des décisions politiques à prendre, par exemple lors de la récente votation sur la limitation des résidences secondaires, approuvée à une large majorité dans les villes et refusée dans les régions touristiques alpines.

Mais c’est un vieux dilemme. Ou c’est même une constante dans l’histoire du CAS, depuis sa création à la fin du XIXème siècle, quand les montagnes sont devenues plus accessibles.

Le Club alpin suisse voit le jour le 19 avril 1863 à la Gare d’Olten par la volonté de 35 membres fondateurs, en majorité bâlois. Parmi eux il y a aussi le chimiste bernois Rudolph Theodor Simler, élu président.

Ce même Simler qui, un an auparavant, avait évoqué pour la première fois la nécessité d’une telle association. Dans une lettre «aux alpinistes et amis des Alpes suisses», il avait souligné qu’il trouvait «incommode, pour ne pas dire honteux», qu’il faille recourir à des livres en anglais pour s’informer sur les montagnes suisses. Car à l’époque, c’étaient principalement les Britanniques qui se rendaient dans les montagnes suisses.

Dès l’année de sa fondation, le CAS construit sa première cabane, la Grünhornhütte, dans les Alpes glaronnaises.

Réservé initialement aux élites bourgeoises, le club s’est progressivement popularisé. En 1913, il comptait 13’702 membres répartis dans 58 sections. En 1963, 44’649 dans 62 sections et aujourd’hui ils sont plus de 140’000 dans 111 groupements.

Outre le fait qu’il est propriétaire et gérant de 152 refuges, 9200 lits, le CAS finance le Musée alpin de Berne et, avec la Garde aérienne suisse de sauvetage (Rega), la Fondation du Secours alpin.

En 2012, les 152 cabanes du CAS ont réalisé 310’000 nuitées, soit autant que des sites touristiques prestigieux tels que Montreux, Ascona ou Pontresina.

Téléphériques: oui ou non?

A cette époque naissent les premiers projets de chemins de fer alpins et d’installations de remontées mécaniques. Le premier téléphérique touristique est inauguré au Wetterhorn en 1908 et, quatre ans plus tard, le Chemin de fer de la Jungfrau transporte ses premiers passagers. Pour le CAS, écrit Martin Gutmann dans un article d’Helvetia Club, «l’offense était double: à la défiguration des plus belles cimes s’ajoutait la possibilité d’y accéder pour les non-alpinistes».

Tous les membres de l’association ne voient cependant pas d’un mauvais œil ce développement. Comment, sans ces infrastructures, faciliter et promouvoir les sports de montagne? Mais c’est le parti des opposants aux trains qui l’emporte. Le CAS s’oppose, avec succès, à des projets de construction de lignes sur le Cervin, les Diablerets et le Piz Bernina. En 1907, on introduit dans les statuts un paragraphe qui stipule que l’objectif du club est de contribuer à protéger la beauté des montagnes.

Pendant plusieurs années, le CAS joue un rôle important dans la sauvegarde du paysage. «Jusqu’aux années 1970, le club était plutôt progressiste en matière de protection de l’environnement. Il a par exemple joué un rôle central dans la création de la Fondation suisse pour la protection du paysage ou de l’Inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels d’importance nationale», souligne Katharina Conradin.

«Ensuite, avec la forte croissance des sports de montagne, l’association a pris une direction un peu plus économique», observe la directrice de Mountain Wilderness. Cette association, fondée en 1987, est née elle aussi pour s’opposer à la voie suivie par le CAS.

La nouvelle cabane du Mont Rose, que le Club alpin suisse avait présentée comme étant à la pointe de la technologie et du développement durable lors de son inauguration en 2009, suscite du mécontentement.

Les eaux usées des toilettes et de la cuisine de la cabane sont déversées sur la neige, selon l’émission Schweiz Aktuell de la télévision alémanique. Le service valaisan de la protection de l’environnement demande une solution rapide.

Le CAS veut installer un filtre plus efficace. Les substances seront ensuite séchées avant d’être transportées dans la vallée par hélicoptère. L’installation de toilettes sèches est l’autre option. Les substances sont évacuées par un tapis roulant, séchées puis évacuées par hélicoptère.

Par ailleurs, l’essentiel de l’énergie de la cabane devrait être fourni par des panneaux solaires. Mais c’est surtout le générateur prévu pour les jours de mauvais temps qui l’apporte.

La cabane est victime de son succès. Presque 11’000 nuitées ont été enregistrées au cours des deux premières saisons.

Développement dans certaines limites

Aujourd’hui, l’héliski n’est certainement pas le seul problème. Un autre point de friction porte sur les zones de tranquillité, à l’intérieur desquelles on cherche à diminuer les activités humaines dans des limites tolérables pour la faune. «Il manque une définition claire, relève Françoise Jaquet. Quelques cantons et communes ont décrété une défense totale d’accès. D’autres ont par contre décidé qu’on peut y pénétrer, mais tout en restant sur les sentiers. Pour nous, c’est important de pouvoir participer aux discussions ou au moins d’être consultés avant une décision et de ne pas être mis devant le fait accompli.»

Les cabanes font aussi débat, car certains d’entre elles sont devenues quasiment des cinq étoiles et attirent donc de plus en plus de monde, selon les puristes. «Les refuges sont de la compétence des sections. Pour notre part, nous recommandons de ne pas pousser le confort trop loin. Dans une cabane, il n’y a pas besoin d’un sauna, comme on le voit parfois dans les Alpes italiennes. Quand on rénove ces bâtiments, il faut toujours prendre l’environnement en considération, en utilisant par exemple des énergies renouvelables plutôt qu’un générateur et en améliorant l’évacuation des eaux usées», explique Françoise Jaquet.

Ces considérations ne valent pas seulement pour les cabanes, mais pour les activités du CAS en général. «Dernièrement le CAS a publié un grand guide sur l’escalade dans les Grisons, où sont présentés des sites peu connus jusqu’à présent. C’est dans le prolongement de ce que le club a toujours voulu faire: promouvoir les montagnes suisses, observe Daniel Anker. D’autre part, promouvoir ces sites attire d’autant plus de gens. Si on passe de 10 personnes qui font de l’escalade à 1’000, que faut-il faire? Réglementer? Interdire? C’est difficile de s’y retrouver.»

Daniel Anker ajoute que les aspects environnementaux sont désormais bien enracinés au sein du club. «Par exemple, quand les guides préparent leurs cartes d’excursions, ils travaillent en contact étroit avec les services des forêts et de la faune. Les règlements sont beaucoup mieux respectés qu’auparavant et si les autorités disent qu’il vaudrait mieux éviter telle ou telle zone, elles sont entendues.»

(Traduction de l’italien: Isabelle Eichenberger)

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