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Comment résoudre la crise alimentaire mondiale?

Plusieurs émeutes de la faim, comme ici en Haïti, ont éclaté ces dernières semaines suite à la forte appréciation des denrées alimentaires de base. Keystone

Présenté mardi en Afrique du Sud, un rapport scientifique tire un bilan négatif des méthodes actuelles de production agricole. L'agronome suisse Hans Rudolf Herren, résume les changements indispensables pour nourrir la planète, alors que les émeutes de la faim se multiplient.

Au moment où l’explosion des prix menace de famine des dizaines de pays pauvres, le rapport des 400 scientifiques de l’International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development (IAASTD) – comparable au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – aboutit après quatre ans de travaux à une conclusion sans appel: la production alimentaire actuelle n’est pas durable.

Ce document a été approuvé à Johannesburg par 60 pays représentatifs de toutes régions, dont la Suisse, ainsi que par la Banque mondiale. Seules des multinationales comme Monsanto ou la Bâloise Syngenta s’en distancient.

Surprise: cette feuille de route vers une agriculture respectant mieux l’homme et l’environnement fait l’objet d’un consensus inespéré. Même les Etats-Unis, le Canada et l’Australie se contentent de quelques réserves, notamment sur le rôle – insuffisant à leurs yeux – attribué au marché et aux biotechnologies.

«La bonne nouvelle d’abord, annonce Herren, c’est que nous avons les connaissances pour résoudre de manière durable la faim et la pauvreté, même quand nous serons 9 milliards sur terre.»

«Nous grignotons notre capital-terre»

Et la mauvaise? «Les crises alimentaires vont augmenter tant qu’on poursuit sur la lancée actuelle, prédit l’agronome. Nos méthodes épuisent les sols et consomment trop de pétrole. Le changement climatique accentue les sécheresses et les inondations. Les politiques agricoles, le commerce mondial libéralisé et les agro-carburants défavorisent l’alimentation des plus pauvres. Aujourd’hui, l’humanité grignote son capital-terre.»

Paradoxe frappant. Depuis trente ans, la Banque mondiale incite lourdement les pays pauvres à développer des cultures d’exportation – pour rembourser leur dette – au détriment des cultures vivrières. Aujourd’hui on voit que ces cultures intensives (coton, café, soja, palme…) ont dégradé l’environnement et ruiné les petits paysans. Et la même Banque mondiale préconise maintenant de réinvestir dans l’agriculture de subsistance.

Un autre protagoniste du rapport, Achim Steiner, directeur du Programme des Nations Unies pour l’environnement, estime que nous allons dans le mur d’ici 30 ans si l’agro-industrie poursuit «la maximisation de la production au coût le plus bas. (…) Il y a une ignorance collective sur l’interaction entre l’agriculture et les systèmes naturels, et ceci doit changer.»

L’agro-industrie a boudé

«Augmenter massivement les rendements n’est pas une solution, reprend Herren. D’abord cela réclame trop d’énergie fossile et d’argent. Au niveau global, le problème principal n’est pas la productivité, mais la distribution.»

«Et le génie génétique n’a pas fait preuve de miracles jusqu’ici. De même que la chimie, ces techniques ne font que traiter – temporairement – les symptômes mais pas les causes du problème alimentaire. Le rapport ne les exclut pas, mais elles ne formeront qu’une petite partie des solutions. Les semences “à haut rendement” ne servent à rien si les sols, les marchés, la santé, les savoirs et les structures sociales ne s’améliorent pas!»

Seul bémol: l’agrochimie industrielle n’a pas trop aimé. Monsanto et Syngenta, BASF et leur association faîtière Crop Life International ont quitté les travaux de l’IAASTD. S’exprimant par communiqué, Syngenta dénonce «l’absence de vision réaliste» sur le potentiel des innovations technologiques. «Dommage pour eux, regrette l’agronome suisse. Ils avaient tout à gagner à dialoguer avec des milieux très divers. Ce processus ne rejette pas du tout l’industrie. Elle fait partie des efforts que nous devons mener ensemble pour éviter la crise.»

Reconnaissance de l’approche suisse

Que faire? Le rapport propose aux décideurs 21 constats-clé pour une agriculture plus humaine et en harmonie avec la nature, la régénération des sols, l’aide aux paysans, la diffusion de méthodes à la fois productives et écologiques, l’emplacement et la distribution de stocks lors de famines, la lutte contre la spéculation sur les céréales, une production moins gourmande en énergie, etc.

«La libéralisation du marché peut être positive, combinée à des systèmes qui protègent les paysans», affirme Herren. En fait, le principe suisse de multifonctionnalité de l’agriculture a été largement retenu par le rapport: «Il s’agit de reconnaître et rémunérer ses services écologiques – paysage, eau, air, pollinisation, contrôle des parasites par la biodiversité, tradition culturelle.»

swissinfo, Daniel Wermus/Infosud

Le rapport de l’International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development (IAASTD), c’est quatre ans de travaux, 2000 pages, 400 scientifiques auscultant l’agriculture sous tous les angles : agronomique, social, écologique, économique, commercial, politique, législatif, culturel.

Le rapport de l’IAASTD a intégré à tous les stades les milieux paysans et consommateurs, la société civile, les secteurs public et privé.

Ce processus innovateur pour définir les dangers et les solutions pour l’humanité d’ici 2050 reste une feuille de route non contraignante.

Le directeur de l’IAASTD, le Britannique Brite Robert Watson a dirigé précédemment le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qu’il a quitté suite aux pressions de l’industrie pétrolière américaine.

L’agronome valaisan Hans Rudolf Herren, 60 ans, co-préside l’IAASTD avec sa consœur kenyane Judi Wakhungu.

Herren est un chercheur de pointe dans la lutte biologique contre les parasites, qu’il a pratiquée durant 27 ans en Afrique.

Lauréat du prix mondial de l’alimentation en 1995, il a formé des centaines de scientifiques africains à la tête de l’Institut de recherche sur les insectes à Nairobi.

Le Valaisan a mis en pratique depuis des années dans le cadre de sa fondation BioVision les méthodes écologiques avec les paysans est-africains.

Citons le piège à mouche tsé-tsé, la lutte contre les moustiques porteurs de malaria, la méthode PushPull qui repousse les parasites du maïs en protégeant les sols par des combinaisons de plantes, les jardinières bio dans les bidonvilles d’Addis Abeba, le journal paysan The Organic Farmer, etc.

Depuis 2005, Hans Rudolf Herren préside le Millenium Institute, un think tank sur les stratégies de développement basé à Washington.

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